31 janvier 2007

Inconditionnel

Parce que nous n’aimons jamais nos enfants, nos conjoints, nos familles d’un amour si inconditionnel, ni si totalement désintéressé, m’est venue l’idée que le seul amour inconditionnel peut-être, est celui que nous accordons, ou tendons à accorder, à nos patients, celui que nous recevons de nos thérapeutes. A ébaucher quelques lignes autour de cette idée – la place du thérapeute, et ce qui m’anime, je retombe sur ceci (2004) :

Ce serait si beau si pour chaque être, il existait quelque part un autre être pour veiller sur lui de loin, une présence constante mais invisible, un souffle d'air, une veilleuse allumée. Un être à qui il ne serait rien qu'on ne puisse dire, vers qui aller quand nous serions ou perdus ou blessés, quelqu'un dont nous puissions dire, il ou elle ne me fera jamais de mal.

Quelqu'un auprès de qui trouver ce que jamais nous n'aurions trouvé ailleurs, quelqu'un auprès de qui reprendre des forces avant de repartir vers la vie, plus légers et plus forts. Quelqu'un pour accueillir nos timides tentatives d'être et de dire, nos retours en arrière et nos avancées maladroites.

Quelqu'un à qui confier le plus fragile et le plus vulnérable en nous, dans une absolue confiance. Quelqu'un auprès de qui abaisser nos armes, déposer nos armures. Quelqu'un auprès de qui trouver, retrouver, la paix profonde d'après les sanglots, le sentiment d'être enfin arrivés - mais pour mieux repartir.

Quelqu'un qui serait porteur d'un respect et d'une tendresse infinie, bien au-delà des liens de l'amitié, de l'amour ou du sang. Quelqu'un vis-à-vis duquel être dans une absolue liberté réciproque. Quelqu'un qui nous prenne par la main et nous ouvre les yeux, qui berce nos chagrins et nous pousse vers la vie.

27 janvier 2007

Avis d'absence

Ai suivi, en direct, les cérémonies pour l'Abbé Pierre ; les compagnons d'Emmaüs, édentés, échevelés, mal fringués, au 1er rang à Notre-Dame, devant les Grands ( petits? ) de ce monde ; beaucoup d'émotion. Sur sa tombe : "j'ai essayé d'aimer" ...le voilà, en "grandes vacances", selon son expression. Copyright : Mum.

Chasseur d'instants


Ce qu'il y a de bien avec Doisneau, c'est la tendresse dans son regard, qui transfigure ceux qu'il photographie - enfants, commerçants, prostituées, simples passants... Ce qu'il y a de bien avec Doisneau, c'est que ses photos évoquent toujours un peu nos albums de famille. Au hasard de l'exposition de l'hôtel de ville, ce sont des mots que j'aurais voulu retenir, des extraits d'interviews radio, perles sonores sur le sens de ce travail, retenir l'éphémère - et aussi, "j'ai photographié la vie telle que j'aurais voulu qu'elle soit, une vie où la tendresse dont j'ai besoin serait présente" (je cite de mémoire !) - et encore, son humilité "J'ai fait peut-être, 300 bonnes photos ? Au 100ème de seconde, ça fait 3 secondes volées à l'éternité - pas de quoi pavoiser...".

23 janvier 2007

N'importe quoi :

Expression d’angoisse professionnelle chez les psychothérapeutes relationnels et psychanalystes, désignant la sortie inopinée de cadre. Cette expression pointe le souci constant de disposer au cours du processus de suffisamment de repères, même en période de confusion et de chamboulement, de stabilité ontologique et de sécurité de base, pour pouvoir poursuivre le travail. Une bonne supervision peut aider à se retrouver quand la situation tend à devenir erratique. L’alliance d’audace et de maintien en conformité avec un modèle de référence est toujours limite, la progression clinique requérant une inventivité constante et une insécurité sûre parfaitement paradoxale.

Invitation à la méditation, sur le Glossaire du Cifp

20 janvier 2007

Formation : miscelléanées

"L'important n'est pas que vous les compreniez (de l'art de renoncer au désir de savoir), mais qu'ils se comprennent..." et puis, sur le ré-examen des supposées "évidences", voir Eliacheff : "C'est quand je comprends que je pose des questions !"

"Le sujet n'a pas d'âge."

Autour de l'IVG - une sage-femme confrontée à ces questions du point de vue du soignant explique qu'elle s'aide de l'idée que l'embryon fait partie intégrante du corps de la mère, qu'il ne survivrait pas sans elle - la formatrice précise, qu'à la différence de la vie animale, la vie humaine ne se soutient que du désir de l'autre... et aussi, cette expression attrapée au vol : la grossesse non désirée, "un désir indésirable".

A une interpellation sur l'ennui au cours de la session, une multitude de pistes proposées, toutes ramenant à l'enfance : désir d'être sollicité, sentiment de n'être pas assez investi, souhait de présence, incapacité à jouer seul, ennui qui viendrait en lieu et place de la colère, temps constructif de la rêverie et du fantasme ou espace mortifère et dévitalisé...

"La tolérance est TOUJOURS secondaire". Apprendre à faire la place de l'autre, ne va pas de soi... la différence heurte, toujours.

Et où je retrouve Prévert - "Soyez heureux, ne serait-ce que pour donner l'exemple" - mais dans une lecture inédite, celle de la place possible des parents, dans leur rôle d'adultes vivants et désirants.

19 janvier 2007

Gare ta g... à la récré

Elsa raconte, ils ont mangé une galette des rois à l'école maternelle cet après-midi. C'est Alicia qui a eu la fève. Ah bon, et qui a-t-elle choisi comme roi ? Elle a choisi Camille, répond Elsa. Et, sur un ton subitement combatif : Moi ze vais lui casser la binette elle a pas le droit parce que Camille c'est MON amoureux et que moi je vais me marier avec lui parce que c'est le plus beau !!!

Et ajoute-t-elle un peu plus tard, je veux me marier avec mon copain Camille parce qu'il est pas de notre famille ! (de l'interdit de l'inceste bien compris...)

... et boule de gomme

Une intervention scolaire ordinaire, un adolescent de 4ème se lance dans un schéma anatomique représentant le sexe féminin. Il nomme les grandes et les petites lèvres, le clitoris, l'urètre... arrivé à l'ouverture du vagin, il inscrit la légende suivante : Mystère.

La phrase du jour

"On ne peut pas être toujours déraisonnable."

18 janvier 2007

Donne-moi ta main

Quand nous partons à l'école, le plus souvent Léo marche devant, genre je les connais pas la dame et la naine derrière. Mais ce matin, moitié nostalgique, moitié taquine, je le prends par la main, et quand il se dégage, je lui fais une scène tragi-comique sur le mode, mais mon bébé chéri, tu n'as que 7 ans, tu es trop petit pour lâcher la main de ta môman, etc, etc... Et là, le Léo hilare me répond d'un ton sans appel : "Maman, tu as trente-quatre ans maintenant !" - i.e t'es quand même ASSEZ grande pour me lâcher la main (et arrêter tes clowneries, je pense).

16 janvier 2007

Free hugs

C'est la tendance qui court tout autour de la planète et se propage à l'aide de vidéos diffusées sur internet. Tout a commencé par un gros coup de blues : il y a deux ans, un jeune Australien, de retour chez lui après un long séjour à Londres, se rend compte qu'il n'y connaît plus personne. En quête d'affection, il lui vient l'idée de se balader dans la rue avec une pancarte où il a écrit en grosses lettres Free Hugs. Au bout de quinze minutes, une dame inconnue vient l'embrasser. La première campagne d'accolades spontanées est née, qui sera suivie de beaucoup d'autres.
(Edito du ELLE de cette semaine.)

Je ne résiste pas au plaisir d'y ajouter la citation du mois sur le site, qui par ailleurs vaut le détour (how to hug, hugstories, and so on).

"Twenty years from now, you will be more disappointed by the things you did not do than by the things you did do. So, throw off the bowlines. Sail away from the safe harbor. Catch the trade winds in your sails. Explore. Dream. Discover."- Mark Twain

Nickname

J'ai appris avec un certain amusement que les jeunes du quartier avaient donné un délicieux petit nom à mon scooter, doté d'une alarme particulièrement sensible : Maggie. Et pourquoi Maggie ? "Parce qu'elle couine dès qu'on la touche." No comment.

11 janvier 2007

La lune et le miroir

Un proverbe local dit : ce n'est pas être patient que de ne pas s'énerver quand vous appelez quelqu'un trois fois et qu'il ne répond pas. Etre vraiment patient c'est quand on vous appelle trois fois et que vous ne répondez pas. Laissons le temps à l'oreille de se tendre. Laissons le temps de mûrir aux mots. (...)

J'avais fait ma devise d'une pensée notée dans mes carnets : "je choisis tout" sans trop insister sur le fait qu'elle était de sainte Thérèse de Lisieux... Parce que choisir bien évidemment c'est renoncer. (...) Je ne savais pas dire non parce que je ne savais pas dire oui. (...) Ma seule excuse est que la première victime de cette façon de fuir la vie en lui courant après était moi-même.

Jean-François Deniau, La lune et le miroir

Confiance

17 ans, à l'extrême limite du délai légal pour l'IVG - et quasi-muette. J'explore piste après piste, tirant parti des moindres indications - mais quelque chose fait barrage - peut-être sa propre impossibilité à penser une situation qui la dépasse. Elle n'est pas hostile, mais dans un repli majeur - jusqu'au moment où elle peut verbaliser ceci - puisque elle a été déçue au-delà de l'imaginable par ses propres parents (placement en foyer, parents déchus de leur autorité parentale), au nom de quoi ferait-elle confiance à quelque travailleur social que ce soit ? Et au-delà je devine - comment accorderais-je à des étrangers la confiance que j'aurais tant aimé donner à ceux qui auraient dû en être les dépositaires ? Comme si demeurait une forme de loyauté, puisque ceux-ci n'ont pas pu m'aider, alors je n'accepterai l'aide de personne - aussi, de peur d'une intolérable nouvelle déception.

10 janvier 2007

Quand la littérature rejoint la clinique

- Mais c'est possible ? demanda Adénar. Il est possible de vivre sans âme ?
- Oui, bien sûr que c'est possible, dit le mage. C'est possible. Mais quand on n'a pas d'âme, la vie se réduit de moitié, les choses perdent de la couleur, l'espérance et l'amour sont substitués par l'ennui et la rancoeur... Quand on vit sans âme, on a l'impression que les choses n'ont pas de sens, et que tout est régi par le hasard. Quand on vit sans âme, on pense que la vie est laborieuse et fatigante, et on attend sans arrêt, on attend que quelque chose de bon arrive, on attend que quelque chose arrive, quoi que ce soit...! Oui, prince aimé, il est possible de vivre sans âme, mais ce n'est vraiment pas un état à souhaiter.

(...) Il y a deux façons de vivre : terrorisé et soumis aux caprices du destin, ou bien en cherchant et en tentant l'impossible. La première vie ne vaut pas la peine d'être vécue, mais la seconde est magnifique.

L'ombre de l'oiseau-lyre, Andrés Ibànes

05 janvier 2007

Mots doux

* Elsa grimpe sur mes genoux : Maman, tu me fais un câlinfourchon ?

* Léo a 7 ans, Mamie 70 ans. Léo, conciliant : - Mais c'est pas grave Mamie, les zéros ça compte pas vraiment...

De fil en aiguille

Il était une fois, une jeune femme venue pour un retard de règles, une inquiétude par rapport à une grossesse pourtant bien hypothétique. Inquiétude qui cachait mal le souhait finalement relativement conscient d’un éventuel bébé, derrière une demande rationnelle autant que raisonnable concernant une possible prescription de contraceptifs.

Une demande elle-même conditionnée par un climat familial conflictuel - prendre le « risque », avec l’ambivalence que l’on a vue, d’être enceinte, ou prendre le risque d’aggraver les tensions si jamais la plaquette de pilules n’échappait pas à la vigilance maternelle ? (D’expérience, les jeunes filles qui VEULENT que leur contraception reste un secret y arrivent parfaitement. Celles qui se font surprendre, ne le sont jamais au hasard…)

Sur le pas de la porte, arrive la demande d’une rencontre aussi avec le compagnon, resté dans la salle d’attente, je propose de le recevoir avec ou sans la jeune femme, mais il apparaît que celui-ci préférerait s’adresser à un médecin homme. Je lui demande alors si elle-même aurait d’autres questions… et nous refermons la porte, pour évoquer l’absence de plaisir pendant les rapports. Et son interrogation concernant une éventuelle excision (elle est d’origine malienne).

Le terrain ainsi libéré, je lui propose de ré-inviter son compagnon à se joindre à nous s’il le souhaite, ce qu’il accepte. Et nous avons alors un premier entretien sur les différentes pistes possibles qui pourraient éclairer ces questions – un entretien relativement bref car je sens combien il est déjà courageux pour ces deux jeunes africains d’évoquer des choses aussi intimes devant une étrangère, dans tous les sens du terme – une personne inconnue, étrangère à leur couple comme à leur culture…

Ils sont étonnamment matures, délicats l’un envers l’autre, attentifs à ne pas être involontairement blessants, et dans une volonté d’avancer ensemble que pourraient leur envier bien des adultes – vraiment émouvants. Je leur ouvre la possibilité d’une nouvelle rencontre, après celle avec la gynécologue, sans imposer de date.

Et je souris intérieurement : dans la recherche de la réponse à la question, « Mais que vient-elle, que vient-il réellement demander ? », il y a toujours quelque chose du jeu de piste, de la chasse au trésor – et quand celle-ci aboutit, ce qui est loin d’être toujours le cas, le trésor est toujours multiple, complexe, et de l’ordre de, plus d’humanité, plus de vérité.