28 février 2012

Convictions

Le texte qui suit est l'exact reflet d'une politique qui impacte, et aujourd'hui menace, chacune de mes activités professionnelles - qu'elles soient individuelles ou groupales, destinées aux ados ou aux adultes, et qu'elles soient tournées vers la prévention, le soin ou l'accompagnement des équipes. Une hospitalité de la folie... si je ne travaille qu'à la marge de la psychiatrie dite "hospitalière", je crois que cet appel vaut tout aussi bien pour une hospitalité de la fragilité, qu'elle soit liée à l'âge, au statut social, au niveau d'éducation, à la situation familiale, aux représentations de la société.

...Nous leur dirons aussi combien la politique sécuritaire amalgamant les malades mentaux à des délinquants ou à des criminels potentiels est, au-delà du caractère insultant et erroné de cette affirmation, une entrave majeure à une politique de soins digne de ce nom.

Nous leur dirons comment la dimension relationnelle, spécificité centrale de la pratique soignante, ne peut pas être standardisée, protocolarisée, normée, référencée à des « normes qualité » comme des objets, ou des produits de consommation, promue comme tel par les procédures d’évaluation, d’accréditation.

Nous leur transmettrons à quel point ces procédures ont généré depuis une dizaine d’années dans les établissements, une bureaucratie tatillonne, abêtissante, détournant la mission de soins vers des critères comptables et de productivité deshumanisante.

Nous leur expliquerons qu’hélas la Haute autorité de santé (l’H.A.S.), à travers ses conférences de consensus, de recommandation ou de processus de certification, tente de faire appliquer des conceptions opposées et étrangères à ce qui fait le fondement de nos pratiques cliniques.

Nous leur démontrerons que les pratiques évaluatives prônées par L’H.A.S. tentent d’exclure la dimension psychopathologique du champ de notre discipline.

Nous leur dirons comment l’utilisation abusive et idéologique de découvertes scientifiques récentes envahit le discours social ambiant, toujours en quête de sensationnalisme, espérant des issues rassurantes aux inquiétudes del’époque. Ces excès tentent de détourner les soignants, les patients et les familles des vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés : pénurie de moyens, insuffisance de la formation, conception réductrice de la souffrance psychique.

Nous leur dirons aussi combien la psychanalyse a été et reste une compagne fidèle et indispensable de la psychiatrie, ou tout au moins pour ceux qui pensent que la maladie mentale est une maladie de la relation aux autres, à soi-même, au monde. La psychanalyse n’est pas une technique comme une autre. Elle représente un apport culturel indispensable à la compréhension du fonctionnement psychique humain. Ses concepts peuvent être d’une aide précieuse dans le travail au quotidien pour les équipes soignantes dans leur confrontation avec la psychose, avec les angoisses et les complexités des enjeux institutionnels.

Nous dirons avec force que nous refusons ce système qui demande en permanence de se plier à la norme des «trois P»:

- apporter la preuve de résultats immédiats quant on sait que l’évolution pour les pathologies les plus complexes se mesure dans la durée,

- prédire l’avenir,

- instaurer la peur à l’égard des malades mentaux.

De telles perspectives sont inconciliables avec une hospitalité de la folie.(...)

Texte complet ici.

27 février 2012

Malhabile

Il y a une idée qui me trottait dans la tête depuis un moment - ce constat qui m'émeut entre tous, celui de la précarité de nos vies, de la vulnérabilité de nos corps. Corps désirant ou désiré, corps en souffrance, corps en sommeil, corps vieillissant, corps menacé - ce mystère si souvent oublié, le battement de nos coeurs, la profondeur de notre souffle. De cette émotion je voulais écrire quelque chose - qui m'est venu à peu près comme suit : la main sur le coeur, un souffle ténu / celui de l'amant encore endormi / celui de l'enfant qui sourit en rêve / celui du mourant battement têtu / celui du vivant, un souffle fragile.

Parce que...

...la misère, mais aussi la solidarité humaine, ici pour les Restos du Coeur, ce n'est pas seulement ailleurs ou hier, mais aussi ici et maintenant.

(Et un petit merci à Marie-Madeleine, chez qui j'ai trouvé cette bonne idée ;-))

Libertés

Après l'été en hiver, le printemps avant le printemps, et les vacances le temps d'un week-end - ce week-end, un soleil timide mais lumineux... une expo photo sur le Mexique à la fondation Cartier-Bresson, des crêpes délicieuses à Montparnasse, un brin de shopping rue de Rennes (il y avait longtemps que je ne m'étais pas donné ce temps), une balade à vélo le long du canal Saint-Martin puis aux Buttes-Chaumont, il y avait dans l'air tant de douceur.

Et puis, le remarquable film d'Angelina Jolie sur la guerre en Bosnie - Au pays du sang et du miel, glaçant et sans complaisance, mais aussi subtil et poignant - universel je pense - si cette guerre-là a été particulièrement atroce, l'incroyable sauvagerie des hommes ne me semble pas différente en Syrie aujourd'hui, au Rwanda hier - ni les dilemmes humains auxquels elle confronte.

J'en suis sortie émue, plus consciente que jamais du privilège de vivre dans un pays en paix, dans lequel je suis libre de mes opinions et de mes croyances, libre de voter, de m'instruire, libre d'être une femme sans que cela fasse de moi une victime désignée par
avance, libre d'aimer qui je choisis.

23 février 2012

Senti(mentale)

Centre d'hébergement d'urgence, un groupe de très jeunes femmes, intervention de prévention autour de la sexualité (que j'étends -!- toujours aux questions relationnelles, d'estime de soi, etc.), et LA question récurrente :
- Mais alors, qu'est-ce qui compte, si ce n'est pas les centimètres ?
- Les sentiments ! me répond l'une d'entre elles du tac au tac. Joli, non ?

20 février 2012

Another day in paradise

L'été en hiver, une bulle de rêve dans un hiver de tristes réalités : huit jours d'exception à tous points de vue... Maintenir ce projet en famille - décidé il y a plus d'un an - était une gageure - et une bonne décision. Huit jours durant j'aurai oublié les questions sans réponse, la surcharge de travail, les inquiétudes financières, le sentiment parfois de ne plus supporter la misère du monde (et l'envie de changer de métier corrélative), et mon coeur en éclats de verre, pour juste me laisser porter.

J'ai nagé au milieu des coraux et des poissons tropicaux, fait du ski nautique sur la lagune (avec les crocos, pour plus de mordant), me suis envolée au trapèze, ai navigué sur catamaran et kayak de mer, et j'en oublie ! Dégusté des plats délicieux, bu des mojitos et des pina colada jusqu'à plus soif (open bar every night and day), parlé anglais avec les touristes américains et canadiens, profité de la joie des enfants enchantés, et de la belle énergie de G.O très charmants. Le Club vend du rêve, mais tient ses promesses et même dépasse toute attente - buffets pharaoniques, soirées féeriques, sens du détail et du service inégalés, gentillesse réelle, vrai talent à faire naître de la beauté et de l'émotion, dans les lieux, dans les fêtes, entre les êtres.

je n'ai rien vu du Mexique (excursions hors de prix) à part Chichen Itza, remarquable site maya restauré et classé par l'Unesco comme une des sept merveilles du monde actuel ; et, à la même occasion mais à travers les vitres du bus, un peu de la réalité du pays : cabanes au sol de terre battue, enfants et chiens pouilleux, alcool et violence domestique, rebelles mayas et nids de serpents.

Elsa m'a dit ensuite, mais, le Club Med, c'est un mensonge, le pays n'est pas comme ça ? Exact ma chérie... mais c'était un merveilleux mensonge (et il fait vivre la quasi-totalité de la population de cette province). Quant à la fin du monde annoncée pour cette année, les descendants des Mayas rigolent doucement - mais les Occidentaux achètent, ce qui est le but du jeu, après tout.

Ces huit jours auront été une double leçon, à la fois sur le plaisir possible et un goût de la vie retrouvé, une forme d'apaisement aussi, et sur la misère réelle (est-elle si différente de celle que je côtoie au quotidien ?) - une belle façon de relativiser : il y a tant d'autres façons de vivre.

02 février 2012

Dis-moi ce que tu chantes

Lors d'un séminaire récent, le psychiatre parlait du long chemin qu'il nous faut parcourir pour reconnaître ce que nous ressentons vraiment, et de la dimension... pédagogique des chansons populaires à ce titre - qui nous permettent d'identifier les émotions d'abord chez les autres, avant de le faire pour nous-mêmes.

C'est ce qui me fait aimer la chanson je crois - cette puissance d'évocation immédiate, même et surtout quand elle est apparemment naïve.

Une de mes patientes ne rêve pas, en tout cas se souvient rarement de ses rêves, mais arrive très souvent avec la chanson du moment, qui nous renseigne sur ses humeurs plus ou moins pré-concientes - au point où j'en arrive à lui dire, alors, quelle est la bande-son aujourd'hui ?

Pour ma part, je fredonne fréquemment - quand je vais bien, quand je vais mal, souvent sans m'en rendre compte - et quand je prête attention à ce qui s'est mis à me trotter dans la tête, le message est souvent explicite. Au point qu'il m'est arrivé de changer d'air (!) afin que l'autre n'entende pas ce qui m'habite à ce moment-là - c'est comme si je me baladais toute nue d'un seul coup...