29 octobre 2016

Maison de famille

Je viens de réaliser un truc que mes oncle et tante ont compris bien avant moi. Tout comme on peut se constituer une famille de coeur, qui mêle membres de la famille réelle et amis choisis, on peut s'inventer une maison de famille, une histoire totalement imaginaire. En courant les brocantes en Bretagne ce week-end, j'ai pris beaucoup de plaisir à rêver à d'autres vies que la mienne, à imaginer ce que donnerait un intérieur où chaque objet serait choisi (ce qui n'est pas forcément le cas lorsqu'on hérite !). Pas forcément pour sa valeur marchande, mais pour le coup de coeur esthétique ou l'histoire qu'on lui prête. En fait, ce serait un peu comme entrer dans un livre, ambiance exposition coloniale ou Comtesse de Ségur, traversée transatlantique ou maison de campagne, être touchée par l'idée des petites mains qui ont brodé ce drap, façonné cet objet ou soulevé ces tasses, avec ou sans petit doigt en l'air.

Et j'ai pris conscience qu'un meuble ancien plein de charme ne coûtait pas forcément plus cher qu'un cube IKEA sans âme. Et que ça pouvait être un projet sympa de se constituer petit à petit une maison de rêve, une histoire à transmettre. Ou même, d'investir dans une seule pièce ancienne mais vraiment belle, à mixer avec du plus contemporain (ma fixette à moi, ce sont les secrétaires : à tiroirs, à tambour, à plateau de marbre...). Pour un peu, ça m'aurait même donné envie de rafistoler, poncer, lazurer, d'apprendre comment détacher du linge ancien ou entretenir de la vaisselle en métal argenté. Pour le moment, je me suis contentée de tomber amoureuse d'une charmante théière anglaise.

25 octobre 2016

Rouge-gorge

Renaud en concert au Zénith hier : toute émue - pas pour la voix, esquintée par l'alcool, les clopes et une bronchite ce soir-là. Mais par ce Toujours vivant, toujours debout - j'ai toujours eu un faible pour les survivants. Les cinq premières minutes m'ont bouleversée - un Renaud aux mains tremblantes et à la voix cahotante, qui entame cash avec Toujours debout - j'ai pensé qu'il n'irait pas au bout, et puis deux heures plus tard, nous étions toujours là - toujours debout aussi !

J'ai grandi avec ses chansons, et je les connais encore par coeur. Quasiment toutes. Comme tout le reste de la salle. Je ne les écoute plus souvent, mais elles sont encore là, intactes, c'est fou ça ! 

Petite larme émue quand il a commencé En cloque - je suis d'accord avec lui, je la préfère encore encore à Mistral gagnant - et à nouveau sur Manhattan-Kaboul, partie d'Axelle Red portée par un public fervent. Et plein d'ondes de bonheur à retrouver Manu, Marche à l'ombre, Fatigué, Etudiant, Morgane de toi, et tant d'autres.

Ado, je n'étais fan de personne ; mais il est le seul chanteur dont j'aie eu un poster dans ma chambre. Je le trouvais drôle, touchant, idéaliste et provocateur, le cocktail idéal quand on a quinze ans. Ses colères et sa tendresse me touchent toujours, me confrontent aussi - aujourd'hui, l'engagement,  le collectif, l'idéalisme, la joie, que je retrouve aussi chez Leprest, chez Lantoine, chez Tryo, où est-ce que je leur fais une place dans ma vie ? Est-ce que je me vieux-conise, concentrée sur mes propres petits problèmes ? Qu'est-ce que j'ai oublié en chemin ?

PS : Cerise sur le gâteau, première partie très chouette : Gauvain Sers. Qui fait aussi des premières parties de Tryo !

23 octobre 2016

14 octobre 2016

Collège Blues

Personne n’a aimé ça. Lorsque j’interroge mes patients, c’est très souvent la période considérée comme la plus difficile à vivre – la sortie du cocon de l’enfance, la perte des repères scolaires, l’irruption de la puberté et de la sexualité. Pour les plus fragiles d’entre eux, c’est toujours là que ça déraille, la marche est trop haute, les handicaps se cumulent – plus tu es déjà fragile, plus tu es déjà perdant, déjà perdu. Si tu es différent – trop grand, trop petit, trop gros, trop maigre, trop blanc, trop noir, trop gay, trop roux, trop voyant, trop invisible – c’est dommage pour toi. Si tu es un peu plus malin, un peu plus sensible, un peu cultivé, un peu plus éduqué – c’est dommage pour toi. Si tu refuses de socialiser en bavant sur les autres, en colportant les rumeurs, en agressant les plus faibles, c’est dommage pour toi.

Tout ça, c’était déjà vrai quand j’étais au collège. Ce qui est nouveau, c’est la progression ahurissante du niveau de violence sociale, physique et verbale dans l’indifférence générale. Ce qui est nouveau, c’est que nos enfants trouvent normal de se faire bousculer, insulter, discriminer, racketter, et que la loi du silence soit respectée. Ce qui est nouveau, c’est que ces têtes blondes ou brunes se jettent à la figure leur appartenance religieuse, portée comme un drapeau en même temps que vidée de tout sens spirituel. Ce qui est nouveau aussi, c’est l’omniprésence d’un vocabulaire sexuel et sexiste ordurier, brutal, qui constitue à lui seul une agression aussi constante que banalisée, un préliminaire à une culture de la domination et du viol. Ce qui n’est pas nouveau mais va s’aggravant, c’est la banalisation de l’irrespect et du désordre, des cours chaotiques et de l’absence de travail, même pas faute de le vouloir mais, dans certains cours, faute de le pouvoir.

Ce qui me frappe c’est la gangrène de l’absence de sens : il n’y a pas d’autre rapport que le rapport de pouvoir. L’empathie pour l’autre, les interdits fondateurs (ne pas faire, ni se faire, de mal), l’idée d’un apprentissage qui a du sens en lui-même et prépare à un projet de vie, d’une spiritualité soutenue par des valeurs, d’une sexualité sous le signe du respect et du lien, d’une humanité commune, d’un sens du collectif – INEXISTANTS dans le quotidien mais je pense aussi, dans les discours qu’ils entendent.

La parole non plus n’a plus de sens – la parole donnée, l’interdit, les mots qui humanisent, bâtissent des ponts et non des murs. La parole est insulte, interjection, crachat, actes sans pensée, impulsions sans mots.

Aux élections de délégués dans la classe d’Elsa, il y  a eu 18 voix pour Dark Vador et autant pour Dora l’exploratrice. Est-ce qu’un adulte a vraiment pris le temps d’expliquer le sens de cette représentation du collectif ? Est-ce que ce n’était pas le moment de faire de cette éducation « morale et civique » un temps enfin utile ? Est-ce que nos adolescents sont à ce point écœurés des systèmes adultes qu’ils désignent les héros de leur enfance  - comme un gag triste, une provocation désespérée ?

Quand le quotidien de l’échange de couloir ressemble à « - Je nique ta mère par tous les trous / - Ta gueule puceau, je suis sûre que t’as jamais vu une chatte en vrai » (car l’élégance du langage n’est pas réservée aux garçons), est-ce que parfois un adulte réagit ?

Quand on a élevé ses enfants dans une culture de l’accueil de la différence et du dialogue, comment ne pas constater qu’on les a, peut-être, bien mal préparés à affronter la meute ? Que leur capacité d’analyse et leur niveau de langage sont, à cette étape, des handicaps ? Quels mots trouver, pour signifier l'inacceptable tout en gardant une cohérence, l'envie de soutenir la vision d'un monde qui intègre sans (se) désintégrer ?

Lu, mère en colère