31 juillet 2019

Shira

C'est l'histoire d'un transfert de confiance - une ostépathe consultée pour moi, qui m'a sollicitée pour un un drôle de challenge : patiente franco-américaine, trauma vieux de 35 ans + situation de crise au présent, à Paris pour un mois. Un cercle de femmes en quelque sorte : je me souviens avoir beaucoup aimé cette ostéo, je suis touchée qu'elle m'adresse une patiente, et... avant même le premier contact avec la personne adressée, j'ai un bon pressentiment : ça va le faire.

C'est une prise de risque aussi : ne pas se louper sur cette première adresse, ne pas promettre la lune sur un temps si court, donner un espoir raisonnable cependant, sans rien savoir à l'avance ni des traumas ni de la personne. J'ai bien fait. Je n'ai pas ressenti si souvent auparavant une alliance thérapeutique de cette qualité - ni que lorsque cette collaboration advient, devient responsabilité partagée, écriture commune, tout est possible.

Il y faut un peu de chance sans doute - ici une femme forte et touchante, un mélange rare entre un fonctionnement intellectuel de haut niveau et une possibilité de descendre dans l'émotion, de la soutenir et de la déployer par les mots, de se laisser associer et créer - le travail mené ensemble se terminera par "J'ai envie de raconter des histoires..." J'espère de tout coeur qu'elle le fera : elle a la générosité, l'intelligence et l'énergie vitale nécessaires.

Pari tenu : trauma traité - via l'EMDR, irremplaçable ici, ouverture sur la situation actuelle, pistes pour poursuivre le travail là-bas, de l'autre côté de l’Atlantique. 

Elle a revu l'ostéopathe avant son départ : le plus beau cadeau pour moi, c'est que celle-ci a constaté le changement énergétique, la levée du blocage inscrit dans le corps depuis si longtemps, la liberté retrouvée. Mais - cadeau aussi, la confiance donnée, l'intuition suivie, la prise de risque acceptée,  l'engagement dans le travail, pour cette femme comme pour moi - le cadeau ici est d'abord une rencontre, que je n'oublierai pas.

27 juillet 2019

L'ivresse des hauteurs


(...) tu savais que beaucoup de femmes
Ont une âme de guérisseuse
Elles ont posé leurs mains sur nous
On a tout de suite senti une chaleur se répandre
Dans tout le corps
Un courant d’énergie pure
Agissait à l’intérieur
Ce qui était tordu se redressait
Ce qui était obscurci s’éclaircissait
Ce qui était cadenassé se déverrouillait
Après tout a changé, on était
Vif, léger, ouvert, lumineux (...)

Arthur H

21 juillet 2019

Les Furtifs

"Les furtifs nous ont appris une chose : il n'y a pas de lendemains qui chantent. Il n'y a que des aujourd'huis qui bruissent."

Je ne lis jamais de SF. J'ai tort, peut-être. Mais le message autour des Furtifs est allé croissant, jusqu'au moment où je me suis laissée tenter. Je suis tombée dedans, j'ai avalé les sept cents pages en trois jours, et j'ai déjà envie de recommencer, parce qu'il est impossible d'embrasser tous les niveaux de lecture en une seule fois. C'est un livre-monde, foisonnant, incroyablement créatif et poétique - dans le genre, seul Hypérion m'avait fait cet effet-là, emmenée littéralement sur d'autres planètes.

Ici, c'est bien notre Terre, à peine avancée dans le temps, un brin augmentée, légèrement dystopique - à la Black Mirror : trop peu différente de ce que nous vivons pour ne pas être effarés par ce futur déjà si présent. Cest bien un roman, mais c'est aussi un essai - suffisamment pour que j'aie cherché (en vain) une bibliographie en fin d'ouvrage, avec l'envie d'approfondir, d'aller à la source - philo, socio, politique, critique radicale d'un libéralisme fou et sympathies évidentes pour toutes les ultra-gauches bigarrées, foutraques et rebelles. 

C'est bien un roman mais c'est aussi un poème, un texte oulipien, un calligramme où le fond, la forme, le son et l'écrit se répondent, se complètent, se poursuivent - à chaque personnage son lexique, ses signes, son registre de langage, il y a un boulot de fou là-dessous, un rythme, une musique, d'ailleurs le texte est accompagné d'un album, de créations radio qui brouillent encore la frontière entre les genres, entre la fiction et la réalité.

Pour moi l'histoire est presque secondaire - si ce n'est dans cette magnifique idée du furtif, de la réhabilitation de l'angle mort - les personnages sont indéniablement séduisants, mais tout cela est aussi un prétexte à déployer un monde, une ou plutôt des pensées multiples, des possibles, un hymne au vivant qui échappe à tout contrôle, un antidote au technococon qui nous isole et nous éteint, un appel à l'insurrection joyeuse. 

Tâtonner. Rater. Essayer encore. Rater mieux. Faire que nos expériences prennent corps, s'offrent le temps, ouvrent l'espace. Faire que quelque chose enfin se passe. Faire qu'il existe un dehors, une jungle, des ZAG et des zouaves, au zoo libéral qui nous encage. Du possible, sinon j'étouffe !

17 juillet 2019

A la claire fontaine

Ça fait un petit moment que je l'apprivoise, cet étudiant pakistanais avec qui nous communiquons en anglais, hypersensible, probablement HPI, traumatisé par des années de harcèlement au pensionnat dans l'enfance, cinquième d'une fratrie de six où semble-t-il, seul le premier et le dernier-nés ont trouvé grâce aux yeux d'une mère mariée bien trop tôt. Venu parce qu'il contrôle mal ses accès de rage, sa frustration, sa dépression qui prend parfois des accents mélancoliques, il peut aussi se montrer drôle, percutant, éminemment touchant.

La pension, il y est allé seul, parce qu'il était le plus prometteur, porteur des espoirs de la famille ; et de France, sur son maigre salaire de job d'étudiant, il envoie de l'argent à toute la famille, bien sûr. Pression financière immédiate ET obligation de réussite dans un environnement exigeant, parfois hostile : la norme, pour beaucoup des étudiants étrangers.

La semaine dernière, il m'avait émue en me restituant, à ma demande, ce qu'il avait retenu du chemin parcouru depuis quelques mois (quasiment tout, avec un degré de finesse et de précision inespéré). J'ai mesuré l'importance de nos rendez-vous, le repère qu'ils sont devenus dans une vie où tout ces derniers temps semble lui échapper - et l'ampleur de sa solitude, et par conséquent ce qui dans le lien est déjà soin - du simple fait d'être accueilli là, autrement.

Et cette semaine, je l'ai découvert "écriveur" - des pages et des pages d'un blog non publié,  littéraire (le blog est truffé de citations), et, alors qu'il termine une licence d'informatique, capable de citer de mémoire le cours optionnel de littérature française à son arrivée en France - les Calligrammes d'Apollinaire, la scène de la cassette dans l'Avare - et parmi les citations du blog, j'ai retrouvé un poème d'Eluard, et... le refrain d'A la Claire Fontaine. "But, did you know that is a sad love song, and not only a nursery rhyme ?" - oui, il savait. Il était même capable de le fredonner. Incroyable petit moment de grâce. 

14 juillet 2019

Atypical

Je me suis fait cueillir. Ou séduire. Ou les deux. J'ai souri souvent, ou été émue par cette famille pas moins tendre ni moins branque que celle de This is us.

Parce qu'au-delà des troubles autistiques, tout ça me parle. Etre parent d'un adolescent pas exactement comme les autres. L'impact sur le couple, sur la fratrie, le regard des autres. La navigation entre des professionnels plus ou moins bienveillants, plus ou moins compétents. Etre une mère anxieuse et coupable par principe, prête à tout (et n'importe quoi) pour amortir la violence de la réalité, mais qui étouffe aussi sous la charge, cherche désespérément à faire exister la femme au-delà de la mère. La relation fusionnelle d'Elsa (!) avec Sam - parce que le père fait défaut, et qu'elle est seule à gérer le quotidien,  à affronter la réalité du handicap - tout au moins au début de la série.

Parce qu'au-delà des adolescents en souffrance, la série est aussi pleine de détails bien vus sur la façon dont tout système familial est violemment bousculé par le passage à l'adolescence puis vers l'âge adulte, l'entrée dans la vie amoureuse, les revendications d'indépendance, la perspective du départ de la maison. Cette solitude que chacun doit affronter, une fois tournée la page de l'enfance, l'âge de la famille idyllique (ou presque ;-)). Le divorce y confronte plus tôt, et bien plus durement - sans le refuge d'une continuité malgré tout - mais les questions sont les mêmes : comment les liens trouvent-ils une nouvelle forme ? Comment établir de nouveaux repères pour tous ? Car c'est Sam le dit : "That's what rituals do : they make everything OK."

10 juillet 2019

GPS

Bonjour Lucile, j'ai écrit. J'ai le sentiment de renaître au monde. Merci.

Tu m'es source de vie.

I hope this slope ends here (...). Perhaps, the first two words of this sentence are keeping me alive: ‘I hope’.

Eh bien moi je le trouve très beau ce portrait !

Et quelques autres, pro ou perso. Derrière chaque phrase, une histoire, un contexte, un cheminement. En commun, la sensation que ces mots indiquent la même direction : celle où je suis juste, où je suis à ma place, celle où je peux donner, ou montrer, ou déployer, à ma très modeste échelle, le meilleur de ce que je suis. Le cadeau, c'est moins la gratification narcissique au passage que la boussole offerte : c'est par là qu'il me faut aller, c'est par là que je veux aller. C'est la conviction que ce qui m'en éloigne m'éteint, que ce qui m'en rapproche m'illumine. 

09 juillet 2019

Se regarder en face

Drôle d'idée, que de faire du portrait de face, noir et blanc, sans sourire, un thème de travail déclinable à l'infini : sexagénaires, barbus, asiatiques, femmes sans maquillage, et aujourd'hui, quadragénaires - nés entre 1969 et 1979, c'est tout nous, ça ! J'ai d'abord été interrogative à la découverte des portraits de mes amies, incertaine de me sentir suffisamment bien dans ma peau ces jours-ci pour me confronter à une image que je trouvais sévère. Et puis finalement - plus je les regardais, et plus je les trouvais intéressants, dans leur nudité, dans leur vérité, dans ce qu'il supposaient justement d'acceptation, de pacification. Dans la force des regards aussi. Dans leur façon de dire voilà, c'est moi, sans mimiques et sans coquetteries, sans l'éclat du mouvement ou du rire, moi sans paravents et sans masque. 

Je suis contente d'avoir finalement tenté l'expérience : photographe ouvert, curieux des autres, qui prend le temps de la rencontre - peut-être la photo n'est-elle qu'un prétexte, et/ou un moyen de circonscrire la rencontre, de ne pas s'y perdre - il raconte que lors de la préparation de la série des femmes sans maquillage, il a été quelque peu débordé par les récits de vie, tant ce choix de se montrer totalement à nu n'arrivait pas au hasard dans le temps... je peux imaginer - femmes en rupture, en maladie, en deuil... des regards encore plus nus, une confrontation à soi plus radicale encore. La démarche est belle - et je suis contente de ce portrait.

08 juillet 2019

Mike !

Ou Mik, ou Michaële. Amie depuis trente ans, pas croisée depuis six ans, relativement perdue de vue depuis dix, et retrouvée comme hier. En escale à Paris car actuellement à Wuhan avec son mari et ses quatre enfants - 9000 kilomètres entre nous,  et malgré tout cela, des chemins de vie et des questions qui se répondent, se ressemblent. Le temps d'un déjeuner place du marché Sainte-Catherine, pour un léger shoot de vie parisienne, une petite mousse en terrasse, un ciel vraiment bleu, cette ville si belle, et la liberté de tout (se) dire - autant de choses qui manquent semblent-il dans la lointaine Chine, mais pas dans notre lien ;-)

04 juillet 2019

La grille de l'évier, théorie

Ou comment un vieux monsieur désorienté par la mort toute récente de son épouse nous donne à vivre ce qu'est le déplacement en termes psychiques. Les obsèques ont eu lieu la veille, et voilà qu'il ne retrouve plus la grille de l'évier - ce petit morceau de métal qui filtre les débris alimentaires et protège les canalisations. Il s'inquiète, s'agite, interroge, retourne la poubelle, puis la cuisine : elle n'y est pas. Elle était là, depuis si longtemps, on ne fait plus ce modèle, elle est irremplaçable, où est-elle ? Il s'énerve, s'obsède, personne ne semble mesurer l'importance du problème - quelque chose de familier a disparu, qui ne peut être retrouvé.

Les mouvements psychiques ne sont pas toujours aussi transparents ; mais que nous les reconnaissions ou non, nous avons tous ces petites fixettes apparemment irrationnelles, ces préoccupations-écrans à ce que nous ne pouvons mettre en pensée : nos "petites grilles de l'évier".

01 juillet 2019

Peut-être

Cette femme dans ce film accomplissait exactement le même travail que toi, exactement le même : elle reliait les uns aux autres. Elle écoutait, veillait, confortait, acclimatait, tempérait. Elle faisait tenir ensemble une vie toujours en voie de morcellement.

Christian Bobin, La plus que vive