31 mai 2022

Presque rien

C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup... ce dîner d'anniversaire face à des jumeaux espiègles et intrigués. Des Spritz, des ballons verts et bleus, une pochette surprise de petits cadeaux et une lettre à lire un peu plus tard. Guère plus d'une heure, pour ne pas lasser la patience des enfants au restaurant, mais un petit moment qui compte.

29 mai 2022

Emergency exit

Ça devenait urgent en effet, les symptômes de burn-out devenant insistants : vertiges, migraines constantes, nausées... trop d'émotions absorbées, d'affects ingurgités, il était temps de détoxifier ! Deux luxes, la solitude, le bord de mer. 

Du temps pour lire (le fabuleux "Come as you are", d'Emily Nagoski) ;  pour chiller sur Netflix : revoir La Leçon de Piano (j'avais oublié la fin), ressentir un indéniable malaise devant le néanmoins désopilant Ni juge ni soumise ; pour écrire - une lettre d'amour, et une bouteille à la mer ; pour réfléchir : et si... j'arrêtais le salarié : travailler moins pour gagner plus, être entièrement libre de mon organisation et de mes choix, pourquoi pas ? Et aussi pour traîner au marché de Deauville, boire une bière ou un café en terrasse, et même m'offrir une douzaine d'huîtres et un verre de vin au soleil, juste pour moi.

21 mai 2022

Tissage

Cousu dans l'ourlet des semaines, il y a ce lien improbable qui perdure et se tisse, se cherche, s'interroge, depuis plus de quatre mois maintenant. Un petit miracle funambule qui rompt deux solitudes, un apprivoisement fragile qui ne se projette pas et pourtant s'affirme semaine après semaine comme un espace-temps de douceur tendre, un rêve semi-éveillé, si déconnecté des contraintes du quotidien. Des souvenirs se créent - des huîtres à Trouville, une cabane dans les arbres, une sieste sur la terrasse, un dîner au pied du Sacré-Coeur... des rites aussi, les mardis soirs, la moto, le sommeil partagé...

Je ne sais pas, où cette histoire nous mène, et je devine que la question serait plutôt, je ne sais pas, quand cette histoire se terminera ; je ne sais pas non plus si je préfère qu'il en soit ainsi, ou non ; je bataille (intérieurement) avec la conviction qu'il faut la laisser être, renoncer à poser trop de questions, ce qui est un exercice excessivement difficile pour moi. Mais je sais que cette rencontre nous fait du bien... qu'elle est un cadeau, à bien des titres.

"Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves..."
W. Shakespeare

ou encore :

"It's under my skin but out of my hands..."
Tears for Fears

13 mai 2022

Quel métier...

Après les émotions aiguës de la semaine passée (voir ce billet), et cette histoire est malheureusement loin d'être terminée, il y a eu aussi cette scène surréaliste face à une jeune femme en furie, attaques au scalpel et délire à bas bruit, dont la violence des affects était telle qu'elle se traduisait à même mon corps au fur et à mesure, pic de rage, tremblements... de toute ma vie professionnelle, je n'ai rencontré cette violence d'impact émotionnel qu'à trois reprises ; et les trois fois, c'était absolument diagnostique : paranoïa, voire perversion en face. 

La veille, j'avais reçu en urgence  une étudiante franco-chinoise signalée par l'infirmière de son établissement ; entretien de crise suicidaire, clignotants tous au rouge - avec discours explicite : si cet entretien ne me retenait pas, je passais à l'acte aujourd'hui - pas comme une menace perverse pour le coup, mais comme un constat désespéré, l'appel à un arrêt immédiat de la souffrance. J'ai négocié le départ dans la foulée en service d'urgence, notre infirmière l'a accompagnée, elle est hospitalisée.

Ce même vendredi, il y a eu aussi cet étudiant en lettres qui attribue ses difficultés à son statut sociologique (le syndrome Edouard Louis), là où son inadaptation, sa déconnexion crèvent les yeux - nous avons fini par établir une communication fragile, mais là aussi je fais l'hypothèse d'une psychose encore endormie...

Puis en fin de journée les messages appels au secours de cette patiente expat' dont je n'avais plus de nouvelles, en crise comme c'était prévisible, couple de personnalités si fragiles et leur nouveau-né, seuls dans un pays étranger.

Ce n'est pas tous les jours comme ça, fort heureusement. Mais ce n'est pas tous les jours non plus que trois jours après, je reste migraineuse, nauséeuse, semi-déprimée-anxieuse, sans pouvoir attribuer cet épuisement à autre chose qu'aux détresses rencontrées ces deux dernières semaines - majoré peut-être par l'ouverture émotionnelle laissée par les jours de formation à l'hypnose. Quel métier...

10 mai 2022

Chamanes du langage ou médecine des mots

CE QU’IL Y A DERRIÈRE LE CŒUR 

On m’a parlé
des mots qui sont des pièges.
Le cœur en est un : l’âme vient deuxième.
L’important,
quand on écrit le mot cœur c’est de savoir
ce qu’il y a derrière. 

Pour moi, derrière, il y a trente ans de grands mystères
à propos de l’amour qui vient quand il veut et qui n’obéit
qu’aux flammes de son propre feu
il y a bien sûr ces hivers interminables où tout est gelé
en soi : on confond le passé et l’innocence,
on se persuade qu’enfin, à l’avenir, on saura vivre au chaud
dans les plis du silence. 

Derrière le cœur j’entasse des colères vivaces et des joies débordantes,
je cache des royaumes de fleurs séchées et des empires d’étoiles,
je protège des histoires que j’ai peur d’abîmer
et je me fiche qu’elles soient ou non des histoires vraies.
J’imagine plus que je ne réfléchis :
c’est là ma façon d’être au monde,
de ranger derrière un mot le dictionnaire entier,
de construire des maisons souterraines
et des cabanes perchées,
de faire d'un berceau une tombe
et d’un vieillard un nouveau-né. 

Ce qu’il y a caché tout près du cœur
c’est une peine d’un autre temps,
une mélancolie qui vient d’ailleurs –
une émotion coincée
entre l’ennui et la stupeur.
Alors je fais des barrages d’amour infini, de moments lumineux,
je dévie des vagues immenses sur des rochers de nuit,
le soir quand la lumière est rouge j’appelle en moi
la force des légendes,
des contes et des mirages,
j’accroche à mes oreilles des boucles de cheveux blonds
plus secs que le foin, plus blancs qu’un blanc matin, 
et je chuchote pour qui entend :

derrière le cœur
 il y a ce qui fut brisé et gardé là
pour ne point perdre les morceaux de la beauté.

Cécile Coulon

07 mai 2022

04 mai 2022

Choisir le lien

Cette semaine, il y a eu aussi la tentative de suicide d'une patiente à laquelle je me suis profondément attachée. Elle est sauvée - pour le moment. Mais les échanges que nous avons eus durant cette semaine, lorsque le pronostic était encore incertain, sont sans doute les plus bouleversants que j'ai vécus à ce jour dans ma vie professionnelle. Rien dans mon parcours ne m'a préparée à une telle situation : quand on n'a plus que son humanité et ses mains nues pour faire face, sans certitude sur l'issue. J'ai écrit ensuite bien sûr, pour moi, pour retrouver une distance plus juste, relancer ma capacité de penser cette situation et donc de l'accompagner au mieux de mes possibilités. Si cet écrit dans sa totalité n'a pas sa place ici, il me tenait à coeur d'en dire quelque chose, de garder une trace... 

Au-delà de son histoire singulière, cet accompagnement m'a définitivement confirmée dans une posture assumée, celle du sur mesure. Avec elle j'ai accepté de négocier point par point les diktats de la distance dite professionnelle officielle (...). Elle était parfaitement au clair avec ce qui était ou non de l'ordre du cadre classique et en comprenait le sens. Chaque décision d'un pas de côté a été nommée, et argumentée entre nous. Elle a pu me dire à quel point elle pensait essentiel, après avoir posé les bases du cadre, de pouvoir s'en abstraire pour établir un lien, créer la rencontre. 

(...) à quel point ma façon de chercher en permanence à me mettre à sa hauteur, à inventer des façons de nous rencontrer avait été précieuse, et à quel point elle avait été déçue de la distance (et parfois du rejet ou de la culpabilisation, tant son contact peut être déroutant parfois) de tous les autres soignants auxquelles elle a été confrontée, et il y en a eu beaucoup (...). J'ai pu lui dire que j'avais infiniment appris grâce à elle, et à sa question de savoir si je pensais que l'avoir rencontrée avait modifié ma pratique, j'ai pu répondre sincèrement, OUI.