Enfant j'étais tellement sûre que ce ne serait pas pour moi, un amour, une famille, l'inscription dans une vie partagée. Très jeune, je me souviens avoir aimé cette chanson-là, qui me semblait le seul chemin probable, et même, l'avoir partagée avec mon amie d'adolescence...
Est-ce toi la femme dans ce jardin
Est-ce moi qui ce soir encore prendrai le train
Est-ce toi qui a des enfants et des chiens
Est-ce moi celle qui toujours choisi son chemin
À l'école on se donnait la main
En ce temps-là nous chantions les mêmes chansons
En ce temps-là nous parlions des mêmes garçons
Et nous rêvions alors de tout avoir
Tu as une maison et moi mon piano noir
Est-ce à toi cet amour sous le mûrier
Est-ce à moi de n'avoir que le temps d'y penser
Est-ce à toi les saisons à savourer
Est-ce à moi les platanes que je vois défiler
À l'école on nous confondait
Au cinéma nous pleurions au même moment
Dans les cafés nos ambitions changeaient tout le temps
Et nous rêvions alors de tout avoir
Tu as un amour et moi un piano noir
Pense à moi si tu éprouves un regret
Comme à toi le bonheur ne m'a pas tout donné
Toi tu vis toujours au même midi
Moi je vis quand s'allument les lumières dans la nuit
Et pourtant parfois on s'écrit
Toi tu m'envoies quatre pages avec des photos
Moi je t'écris une carte postale en trois mots
Et tu retournes alors à ton histoire
Et je retrouve alors mon piano noir
Marie-Paule BelleJe n'ai à nouveau plus de famille, en tout cas au sens de cette communauté de vie, de projets, de sécurité, de créativité - et le piano noir est parti lui aussi - et j'ai le vertige - parce que j'ai l'impression et l'inquiétude de m'en retourner vers le monde auquel j'appartiens - celui d'une relative solitude, d'une certaine sauvagerie - de m'en retourner vers la petite fille à la fenêtre, petite fille au regard interrogateur. J'ai de merveilleux enfants, j'ai tant gagné en tendresse et en confiance, je suis entourée d'amour et d'amitié - et pourtant je me sens ramenée là, incapable à ce jour de me projeter dans une autre vie de couple, parfois tranquillement heureuse dans le silence, parfois dans des petits moments d'une grâce inattendue, souvent le coeur serré, affolé.