Ce chercheur en philosophie, qui consulte parce qu'il s'enfonce dans une apathie dépressive, procrastine sans fin, fuit sur le web, ne rédige plus et donc ne publie pas, refuse les invitations - et qui travaille sur... notre rapport au temps, la réalité relative de celui-ci, et ce qu'il est convenu de nommer présent. Comme il le dit très consciemment, ce sujet qu'il n'a évidemment pas choisi au hasard est devenu une lente torture.
(dans le même ordre d'idée, cette jeune photographe élevée entre mère et sœurs qui n'en finit plus d'explorer la question du double, et celle du rapport des filles à l'image - dans l’œil de qui ? - ou cette chanteuse qui danse sur le fil tendu entre la patrie du père et celle de la mère, dans la langue inventée de l'enfance - ou cette femme auteur de chansons et de livres, partie à la recherche d'elle-même pour les besoins d'un documentaire)
Cette jeune femme au père psychiquement si malade, puis si absent, qui s'est vue chercher sur Google "père de substitution", a erré sur des forums, trouvé des pistes de lecture, et puis qui revient, éclate en sanglots jusque-là retenus et peut dire, entre rires et larmes : "J'aimerais passer une petite annonce, recherche père adoptif".
Cette jeune soignante en burn-out, faute d'une institution suffisamment contenante, bien-traitante : quand on est confronté quotidiennement à la psychose et à l'autisme, dans un lieu sans espace d'élaboration, ni supervision, et que l'on est soi-même doté d'une perméabilité particulière, comment ne pas flancher ? Et comment trouver des mots pour nommer ce qui circule, quand c'est justement la capacité de penser qui en est altérée ?
Cette jeune femme à n'en pas douter psychotique, qui a trouvé une voie de passage dans le travail avec les chevaux (qu'elle trouve infiniment plus simples et fiables que les humains), au bout du monde (l'Australie !), et qui vit le souffle coupé dans l'attente du renouvellement de son visa de travail (or l'enjeu est clair : c'est le visa ou la médicalisation).
Cette petite fille de 40 ans, encore abasourdie par cette mère qui non seulement ne lui a pas offert les souliers dont elle rêvait, il y a bien longtemps, mais les a achetés pour elle-même (je pensai à Dietrich et Maria Riva : pas de place pour deux).
Cette femme sans mots, bouleversée par la petite phrase d'un des soignants qui prennent soin de son père Alzheimer, "il ne dit jamais rien..." - et tout ce qui rejaillit de ce silence - de son silence à elle, de son silence à lui, de ce qui, compte tenu de son état, ne pourra jamais plus être dit : la folie, possible, probable, de la mère.
Ce couple infiniment souffrant, infiniment touchant, avec lequel j'ai pu sourire de ceci : si nous maintenons cahin-caha le lien thérapeutique, alors qu'ils ne vivent désormais plus à Paris, c'est bien grâce à l'endroit où nos parts de folie peuvent se rencontrer.