27 février 2022

Normal People


Comme Les jeunes amants, vu récemment au cinéma, Normal People est un petit trésor de tendresse mélancolique, un hymne aux amours aussi profondes que maladroites (maladroites parce que si profondes ?), aux détails touchants, aux regards qui en disent long, à une authentique sensualité - dans l'un comme dans l'autre, les scènes de sexe sont infiniment érotiques et bouleversantes à la fois, parce qu'anti-pornographiques : il n'y est question que d'intimité, de respect - d'amour...

26 février 2022

Soeurs

Pour moi la "fiction" et le "réel" sont indissociables. Ils ne forment qu'un, un seul univers, un jardin des Délices, un jardin des Supplices, ils sont entremêlés. Pour moi le réel EST la fiction, et la fiction est réelle. Sans doute suis-je folle ? Je suis identifiée à TOUT ! Je suis perpétuellement extensible, habitée, imagée. Je ne m'appartiens pas (...)

Et nous on est rien, sinon de vagues petites gouttes de gelée consciente, ce qui est énorme et fragile.

Grisélidis Réal, citée par Nancy Huston

25 février 2022

Vignettes

Une matinée de consultation auprès des étudiants c'est...

Discuter avec un physicien de la possibilité que la théorie des cordes - ou toute autre théorie nécessitant un niveau d'abstraction inaccessible au commun des mortels, et un questionnement sur la nature même de la réalité - puisse être une construction délirante au sens clinique du terme. Puis échanger sur la possibilité que le revers de sa médaille dépressive soit sa sensibilité à la beauté des créations humaines, qu'elles soient artistiques ou intellectuelles - ce qui l'amènera à dire que, s'il avait la possibilité de recommencer sa vie, il ne souhaiterait pas forcément éviter ses périodes de grandes angoisses et tentations suicidaires, puisqu'elles ont fait de lui ce qu'il est aujourd’hui. Puis de son étonnement de la nécessité d'être incarné lorsqu'on a une pratique musicale - et que cette mise en jeu pleine du corps soit la condition non seulement du plaisir mais aussi de l'excellence...

Explorer avec une jeune philosophe qui travaille sur Schpoenhauer, le rapport au corps et les expériences limites (soit aussi sur Bataille, Artaud, etc.) le lien vital et mortifère qui l'unit à un frère aîné pas moins auto-destructeur qu'elle, mais moins armé sans doute pour négocier avec cette pulsion, trouver des voies de passage créatrices, et peut-être, peu à peu, s'en déprendre... 

Interroger (en anglais) un très jeune mathématicien chinois - dont je pensais l'année dernière qu'il allait beaucoup trop mal pour poursuivre des études aussi exigeantes loin de chez lui - sur les liens possibles entre ses angoisses et le fait qu'il se soit extrait simultanément d'un triple système d'oppression, ou tout au moins de contrôle : système familial, avec la figure d'un père enseignant, exigeant et austère, du système éducatif chinois (centré sur l'examen de fin d'études dès l'âge du primaire), et du système politique aussi évidemment... et que cette soudaine et totale liberté l'emmène dans un relatif chaos faute de structure imposée ? Un petit génie de la théorie des nombres, assez inadapté aux contraintes du quotidien (sommeil, alimentation, régulation du temps de portable), mais cependant capable de se questionner sur ces points - il ne cesse de me surprendre...

Approcher sur la pointe des pieds la question du trouble du comportement alimentaire chez une autre étudiante en philo qui consulte initialement pour anxiété et dépression ; l'inviter à peut-être différer la prise d'un anti-dépresseur prescrite dès la première consultation par un médecin inconnu (le chagrin l'accompagne depuis longtemps, il n'y a pas d'urgence...), privilégier la mise en place d'une psychothérapie. Obtenir finalement la reconnaissance d'une interrogation sur l'aménorrhée, la part du corps dans l'épuisement psychique - et l'acquiescement à une consultation somatique ciblée.

23 février 2022

Candide

Je découvre. Enfin non, très certainement je redécouvre, mais avons-nous vraiment la mémoire de ces émois lorsqu'ils ne se conjuguent pas ou plus au présent ? Que le désir, et même le sentiment amoureux, ne répondent en rien à la raison. Qu'ils ne s'embarrassent pas de logique, d'affinités sociales, culturelles ou intellectuelles, de possibilités d'avenir - ou même de réciprocité, en tout cas à l'identique. Que la seule vraie condition, en ce qui me concerne, est l'intelligence (la bêtise serait un tue-l'amour). 

Non, ce n'est pas tout à fait exact - la douceur et la fragilité, et la part d'irréductible mystère, et la différence sous toutes ses formes sont aussi de puissants déclencheurs - en bonus, les moutons noirs et vilains petits canards, les transfuges et les grands blessés auront toujours ma préférence.

Mais ce désir - cette obsession douce et sévère à la fois, délicieuse et exaspérante, sur laquelle l'ego se heurte (comment ça, ce n'est pas moi qui décide ?) alors que le corps dit si simplement OUI - et cette joie enfantine, ce sourire aux lèvres qui ne naît pas que du plaisir partagé mais aussi d'une émotion adolescente, maladroite et exquise à la fois, si vivante - j'avais oublié, et ça me ravit. Et si ça devait s'arrêter demain ? Ce qui est fort possible, et même, probable ?  

"Si je me suis trompé, en disant : Je t'aime, je préfère avoir dit : je t'aime. On ne me fera pas envier celui qui a eu raison sans aimer." - écrit Léotard. C'est vrai aussi même lorsque ce n'est pas dit, d'ailleurs.

Ariane

Cette patiente que je suis depuis des années peut devenir quasi mutique, voire catatonique, dans les périodes où elle va le plus mal. Mais même au plus fort de ses dépressions, elle a toujours gardé une extraordinaire capacité à rêver ; des rêves infiniment parlants, dont la description, sans associations, constituait la seule parole accessible pour elle. Charge à moi ensuite de transformer l'essai, de lui prêter mon appareil psychique pour que nous puissions nous rencontrer là. 

 Elle va beaucoup mieux ; mais cette semaine elle est à nouveau venue avec un rêve - celui d'un labyrinthe en noir et blanc, très sombre, entouré de murs aveugles - et sans issue aucune ; et à nouveau, sa description était si vivante que je pouvais voir ce qu'elle voyait, errer avec elle dans cette pénombre. Et désormais, elle est en capacité de suivre son propre fil d'Ariane, et elle a amené aussitôt cet insight : j'ai pris conscience que je n'avais jamais été consolée - déroulant ensuite souvenirs d'enfance et chagrins d'adulte. Ce qui m'a fait associer sur cet enseignement reçu en formation : une dépression qui dure toute une vie, c'est un chagrin qui n'a jamais été consolé...

Quoi qu'il en soit, cette mise en mots l'a réanimée, au plus joli sens du terme. Quant à savoir si le chagrin est le Minotaure qui la poursuit, ou le labyrinthe lui-même, c'est une autre histoire...

19 février 2022

Aller voir la mer

 

Respirer loin de Paris. Savourer des amitiés qui durent respectivement depuis mes 13, 17 et 20 ans. Goûter les meilleures huîtres que j'ai jamais mangées. Boire un café au soleil en terrasse entre deux tempêtes. Échanger sur l'art de voir le verre à moitié plein (de champagne, si possible). Que demander de plus ?

16 février 2022

Hugo

"Il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens." (Vincent Van Gogh). C'est beau comme une fausse citation internet, mais je crois qu'elle est authentique. C'est ce qui nous relie aussi, cet ami et moi - la poésie au sens large du terme, et la capacité à se laisser toucher par l'autre, amicalement, amoureusement, humainement... une de ces amitiés où la discussion peut reprendre plus d'un an après comme si nous nous étions vu la veille, avec la même confiance et la même gaieté, où l'amour sous toutes ses formes est au centre - qu'il s'agisse de celui de nos métiers, de la littérature ou de l'autre, parce que, de quoi parler d'autre sinon ? Deux sales gosses hypersensibles et rieurs.... et puis avec qui d'autre évoquer Tilda Swinton errant dans les rues de Tanger dans Only lovers left alive - à six heures du matin dans une cuisine ? 

14 février 2022

Rose rouge et fleur bleue

Bonnes fêtes à tous les cœurs solitaires. On n’a pas Valentin, ni Valentine. On fait ce qu’on peut. C’est une grâce de savoir se lier aux autres. Ça ne vient pas que du hasard. Pas que d’un projet. C’est vraiment une grâce. La solitude c’est beau aussi, même si c’est vertigineux. Je vous aime, vous les cœurs remplis de tant d’hélium que la ficelle n’a pu tenir. It means : lonely hearts, I love you.

Ça, c'est ce qu'écrit la gracieuse Sophie Fontanel à la date de ce jour. Je la rejoins. Mais ce soir, je me suis laissée émouvoir par une rose que je n'attendais pas.