10 décembre 2024

Maurice

Ses proches l'affublaient d'autres surnoms affectueux, mais plus la fin approchait et plus il insistait pour être appelé par son prénom, Maurice. Il était venu suite à une rechute de cancer, d'abord pour répondre à la demande inquiète d'une de ses filles, et puis il est resté.

Il est resté pour évoquer tranquillement sa mort avant que sa famille ne soit prête à l'entendre, son souhait d'arrêter les traitements, et ses retours d'espoir quelquefois. Il est resté, parce que nous nous sommes vraiment rencontrés, au-delà du cadre de plus en plus précaire des séances - d'abord au cabinet, puis à distance en visio lorsqu'il a été hospitalisé à domicile. Nous avons évoqué les drames de son histoire familiale, sa compagne et ses filles dont il parlait avec une tendresse rieuse. Mais aussi ses questionnements sur le sens de sa maladie et son rapport à celle-ci, sa représentation de la mort, la médecine chinoise et les spiritualités orientales, et sa gratitude pour la veille attentive de ses amis. La prise en charge de la douleur semblait très ajustée, et lui restait très pudique sur les limitations croissantes imposées par son état.

La dernière fois que je l'ai "vu", il portait une belle chemise blanche, et il m'a annoncé qu'il venait de se marier - chez lui, avec un officier d'état-civil dépêché là pour circonstances exceptionnelles. Rien de romantique cependant, juste le souhait de protéger sa compagne de toujours en accomplissant une formalité qu'ils n'avaient pas jugée nécessaire jusque là.

Il a annulé le rendez-vous suivant, trop fatigué, et les deux messages suivants ont été envoyés par son épouse, le premier pour m'annoncer son hospitalisation, et le second son grand départ.

Nos entretiens sont restés jusqu'au bout sous le signe d'une distance amusée, d'un profond respect réciproque, et de quelque chose de l'ordre d'une reconnaissance mutuelle - l'accompagner a été un privilège, et je me suis autorisée à le lui dire. Je pense que j'ai reçu de lui autant que ce que j'espère lui avoir apporté... Lorsque je pense à lui, je vois ce petit garçon métis sur le dos d'une tortue de mer de Guyane partir vers l'horizon... et je souris.

09 décembre 2024

Madeleines

 

D'abord il y a eu l'avant-première du documentaire sur Michel Legrand au MK2, avec son contrebassiste qui nous a joué en live la Chanson de Maxence, et puis un karaoké surprise à la fin avec le Cake d'amour et la Chanson des jumelles. Et dans la foulée, j'ai fait découvrir Yentl à Elsa et Sissou.

Et puis ce dimanche, dans un Châtelet entièrement rénové, il y a eu le retour des Misérables en version originale, quarante après. Magnifique mise en scène, voix remarquables, et une vraie émotion à retrouver ces mélodies que je connais toutes par cœur. Un peu trop par cœur - le livret a été entièrement remanié et je trépignais de ne pas y retrouver les textes d'origine - en rentrant j'ai trouvé en occasion sur le net un coffret de la version de 1981, ah mais !

01 décembre 2024

Cœur de verre

(...on peut tout voir à travers... disait Voulzy). Cœur de verre, pas de pierre... Ce n'est pas sur les bras qu'il me reste cet amour, mais sur le coeur, et ça pèse trop lourd. Ce qui me rend dingue, me fait me taper la tête contre les murs, c'est l'absence de raison apparente.

- Je ne sais toujours pas quoi te dire...
- Tu sais mais tu ne peux pas ou ne veux pas me dire ?
- Non, je parle pour moi, je ne sais pas déjà pour moi. 
(Mais - je ne veux pas te faire de peine, mais, je ne veux pas t'enfermer dans mes impasses, etc.)

Ca sonnait infiniment sincère, et l'espace de quelques heures, ça m'a apaisée, un peu. Dans cette optique, il n'y ni fautifs ni reproches - mais des mouvements psychiques qui nous dépassent...

Ma tête à moi gamberge sans fin, la psy s'en donne à coeur (sans) joie - un attachement évitant arrivé à la limite de ses possibilités, un trouble de l'attention lassé de sa dernière histoire et empêtré dans sa mésestime de soi, les traces mémorielles traumatiques réouvertes pour tous les deux cet été, l'impossibilité de prendre plus longtemps la main tendue qui voudrait le tirer vers le haut, l'anesthésie émotionnelle grandissante de la vie sous substance, ou juste un mode survie qui laisse de moins en moins la place à toute autre chose qu'à l'urgence permanente ? Un peu de tout cela à la fois sans doute. 

Le défi de ce jour c'était - dire au revoir aux jumeaux sans sombrer dans le pathos, en laissant la porte ouverte à un contact ténu peut-être là aussi - mais aujourd'hui, un temps de jeu partagé, un petit mot écrit pour chacun dont ils n'ont sans doute pas tout à fait mesuré la portée, un moment doux cependant - c'est ce que nous pouvions faire de mieux. 

24 novembre 2024

Quelques grammes de douceur

Cette année, pas trop le cœur à porter une organisation alors aujourd'hui, j'ai été invitée chez moi ! Menu conçu et réalisé par les enfants, plein de détails soignés - jolie table, assiettes bien présentées - Elsa à la direction artistique, Léo à la mousse au chocolat et Maman aux vin et champagne. La maison est toute fleurie, les cadeaux très bien choisis - je ne sais pas vivre sans Télérama ;-) et j'étais toute contente de retrouver Rien, parfum porté pendant de longues années et qui, pour mes enfants, reste "l'odeur de maman". Un doudou olfactif, parfait pour l'hiver.

23 novembre 2024

Traversée

52 ans pour construire l'Arche ? Pour le moment ce serait plutôt le déluge... il n'y a plus qu'à envoyer la colombe pour voir s'il y a quelque part une terre où me (re)poser.

08 novembre 2024

Res-source

J'avais cette intuition que ce serait la bonne personne, au bon endroit, au bon moment. Et ce qui est encore mieux, c'est que c'était vrai pour toutes les deux. Un week-end plein de douceur avec des échanges à coeur ouvert, des joies simples - barboter en thalasso, aller au marché, au ciné, découvrir un atelier de yoga-danse, marcher pieds nus dans la mer. Organiser le Nouvel An avec nos deux autres complices (mais quelle joie là de se découvrir à deux...). Partager nos questionnements "psy et spi", découvrir qu'ils se rejoignent...

J'ai redécouvert que les églises étaient aussi ce lieu où il est simplement possible de s'asseoir en silence et de laisser venir ce qui vient - émotions, pensées, larmes, prière, aussi longtemps et aussi librement qu'on le souhaite. Expérimenté qu'il est possible d'aller bien en allant mal, et d'être pleinement accueillie dans mon chagrin, sans pour autant en charger l'autre (et réciproquement). Très touchée par cette phrase dans le film "Sur un fil" : Je crois que je ne suis plus étanche... je crois qu'il y aurait beaucoup à dire là-dessus. Un prochain billet peut-être... En tout cas, c'était délicieux, ce mélange de profondeur et de légèreté. 

06 novembre 2024

Enchantement


...ou comment retrouver son âme d'enfant devant la magie renouvelée du Cirque du Soleil. Quand les lits s'envolent au ciel, que les marionnettes prennent vie et que les lustres dansent, comment résister ?

01 novembre 2024

Toussaint

“Grief, I’ve learned, is really just love. It’s all the love you want to give, but cannot. All that unspent love gathers up in the corners of your eyes, the lump in your throat, and in that hollow part of your chest. Grief is just love with no place to go.”

― Jamie Anderson

29 octobre 2024

Déborder

C'est bizarre, j'ai objectivement connu des moments bien plus durs que celui-ci, mais cette rupture amoureuse semble toucher au cœur de... quoi ? 

Peut-être de ce qu'il y a de très petite enfance au cœur de chaque lien amoureux profond, peut-être de la blessure qui se ravive avec la fin de cette famille adoptée et adoptive, peut-être parce que dans ce chagrin-là il n'y a que moi en jeu et que ça m'autorise à flancher - personne d'autre à soutenir cette fois. 

Peut-être parce l'absence d'une vraie parole sur cette séparation vient répéter d'autres silences. Peut-être à cause de mon coeur qui déborde d'un amour encore bien vivant mais qui ne trouve plus où se poser.

Peut-être simplement c'est le cumul des dernières années, une fois retiré ce filet amoureux qui m'avait rendue si heureuse depuis bientôt trois ans...

...alors, je reste en mouvement bien sûr - déjeuners ou dîners amicaux, le concert d'Arthur Teboul et celui de Nawel, le massage à quatre mains offert par Laurence et Denis, d'autres projets encore. Et surtout, c'est nouveau, je m'autorise à ne pas faire semblant. A appeler. A demander de l'aide et/ou de la présence. A pleurer aussi souvent que nécessaire, et c'est nécessaire tous les jours. A avoir (un peu) moins peur de peser sur l'autre, à ne pas (trop) juger de la légitimité de ma peine. 

Et tout est dans ce (un peu) ou ce (trop). Oui, c'est "juste" un chagrin d'amour. Ou plutôt d'amours. Mais... s'il me permet de baisser un peu la garde, et d'accepter d'être parfois fragile, bien plus que je n'en ai l'air, alors peut-être que ça en vaut... la peine.

PS : un autre regard : Vouloir se rencontrer à l’aide d’un autre qui souhaite se fuir, revient à se choisir un bourreau qui viendra décharger tout ce qu’il refuse de rencontrer à son sujet dans l’espace que nous lui offrons, et qui est à la mesure d’un amour qu’il ne peut contacter en lui.

Cet espace devient alors une abyssale crevasse laissée en plein milieu de notre poitrine par la rupture, devenue inévitable face à notre incapacité de transmuter sa fuite en rencontre.

Stephan Schillinger

24 octobre 2024

Sourire

On n'est pas fort de sourire. Le véritable courage, c'est de faire en soi un espace à la peine. Un lieu immatériel où elle peut s'exprimer. L'autoriser à habiter le coeur et les pensées. Sans la laisser tout coloniser. Juste à sa place. A sa juste place. La vivre comme elle vient, quand elle vient (...). Son sourire d'aujourd'hui ne nie pas sa peine. Au contraire, il la révèle. Il dit la cohabitation des sentiments. Non pas la lutte de puissances que l'on croit s'opposer, mais leur compagnonnage apaisé. Elle peut vivre la joie parce qu'elle sait pleurer dans le noir. 

Anne-Dauphine Julliand, Ajouter de la vie aux jours