01 novembre 2024

Toussaint

“Grief, I’ve learned, is really just love. It’s all the love you want to give, but cannot. All that unspent love gathers up in the corners of your eyes, the lump in your throat, and in that hollow part of your chest. Grief is just love with no place to go.”

― Jamie Anderson

29 octobre 2024

Déborder

C'est bizarre, j'ai objectivement connu des moments bien plus durs que celui-ci, mais cette rupture amoureuse semble toucher au cœur de... quoi ? 

Peut-être de ce qu'il y a de très petite enfance au cœur de chaque lien amoureux profond, peut-être de la blessure qui se ravive avec la fin de cette famille adoptée et adoptive, peut-être parce que dans ce chagrin-là il n'y a que moi en jeu et que ça m'autorise à flancher - personne d'autre à soutenir cette fois. 

Peut-être parce l'absence d'une vraie parole sur cette séparation vient répéter d'autres silences. Peut-être à cause de mon coeur qui déborde d'un amour encore bien vivant mais qui ne trouve plus où se poser.

Peut-être simplement c'est le cumul des dernières années, une fois retiré ce filet amoureux qui m'avait rendue si heureuse depuis bientôt trois ans...

...alors, je reste en mouvement bien sûr - déjeuners ou dîners amicaux, le concert d'Arthur Teboul et celui de Nawel, le massage à quatre mains offert par Laurence et Denis, d'autres projets encore. Et surtout, c'est nouveau, je m'autorise à ne pas faire semblant. A appeler. A demander de l'aide et/ou de la présence. A pleurer aussi souvent que nécessaire, et c'est nécessaire tous les jours. A avoir (un peu) moins peur de peser sur l'autre, à ne pas (trop) juger de la légitimité de ma peine. 

Et tout est dans ce (un peu) ou ce (trop). Oui, c'est "juste" un chagrin d'amour. Ou plutôt d'amours. Mais... s'il me permet de baisser un peu la garde, et d'accepter d'être parfois fragile, bien plus que je n'en ai l'air, alors peut-être que ça en vaut... la peine.

PS : un autre regard : Vouloir se rencontrer à l’aide d’un autre qui souhaite se fuir, revient à se choisir un bourreau qui viendra décharger tout ce qu’il refuse de rencontrer à son sujet dans l’espace que nous lui offrons, et qui est à la mesure d’un amour qu’il ne peut contacter en lui.

Cet espace devient alors une abyssale crevasse laissée en plein milieu de notre poitrine par la rupture, devenue inévitable face à notre incapacité de transmuter sa fuite en rencontre.

Stephan Schillinger

24 octobre 2024

Sourire

On n'est pas fort de sourire. Le véritable courage, c'est de faire en soi un espace à la peine. Un lieu immatériel où elle peut s'exprimer. L'autoriser à habiter le coeur et les pensées. Sans la laisser tout coloniser. Juste à sa place. A sa juste place. La vivre comme elle vient, quand elle vient (...). Son sourire d'aujourd'hui ne nie pas sa peine. Au contraire, il la révèle. Il dit la cohabitation des sentiments. Non pas la lutte de puissances que l'on croit s'opposer, mais leur compagnonnage apaisé. Elle peut vivre la joie parce qu'elle sait pleurer dans le noir. 

Anne-Dauphine Julliand, Ajouter de la vie aux jours

23 octobre 2024

Submergée

Mais – il y a une part incontrôlable dans ce chagrin. Un truc enfantin, viscéral, quelque chose du tout-petit qui panique, un arrachement – un chagrin déraisonnable, qui me fait mal physiquement, me donne la nausée, me fait perdre pied et m'effondrer en gros sanglots, quand c'est possible, et ravaler mes larmes le reste du temps. 

Un truc insensé qui cherche ta présence tout le temps, me balance à la gueule tellement de souvenirs magnifiques, et puis tu es partout, depuis que je vis ici, dans chaque pas que je fais dans la rue, dans chaque détail de ma maison. Un truc qui me retourne le cœur dès qu'on me parle d'amour, de sexualité, de famille, de liens brisés, d'incompréhension, de solitude, et je suis payée à ce qu'on m'en parle tout le temps.

Et il y a les premiers secours envoyés par les amis. Celui qui dit, cet homme ne peut pas vous rendre cela, et faire vivre cet amour avec un minimum d'équilibre et de réciprocité entre vous deux, et il le sait. Ses colères sont en fait tournées vers lui-même, car il se sait impuissant à changer. Cette autre qui évoque la petite fille qui tambourine devant la porte d'une mère effondrée - ce n'est pas qu'elle ne t'aime plus pourtant, c'est qu'elle n'est pas en capacité de manifester son amour. Celui-ci encore, qui m'écrit, Arrête de voir des belles choses dans les failles des autres, arrête ! Et cet autre qui me transmet un article qui au titre évocateur, Rescuing the rescuer. 

21 octobre 2024

Un regard perdu

Et puis le lendemain, je suis partie avant le jour à Strasbourg, pour une audience avec le juge des tutelles dans l'EHPAD où réside désormais mon père. Là aussi, mission accomplie, nous les enfants prenons la main... mais tout était trop pour mon coeur, la désorientation si visible de Gene, les larmes de Clara essayant de dire à notre père que celle-ci n'est plus en état de prendre soin de lui, la colère rentrée de Cyril - sa façon à lui de gérer son anxiété je pense.. 

Et surtout le regard perdu de Patrice, incapable de répondre à une question du juge, puis prenant lentement conscience, après le départ de celui-ci que quelque chose s'est passé - quelque chose dont il ne saisit pas les enjeux, mais dont il interprète que ce ne peut être que contre lui... ses derniers mots auront été l'expression de sa déception, il s'est fermé, nous l'avons raccompagné non sans mal dans le service. 

J'ai souri tristement à l'aide-soignante qui l'a aidé à s'installer à table, elle m'a dit, vous avez le même sourire que votre papa - il y a eu un éclair de douceur dans ce mot spontané, et l'idée que peut-être alors, il lui arrive encore de sourire. 

20 octobre 2024

We did it !


Comme dans le dessin animé que les enfants regardaient autrefois, cette petite Dora qui devait franchir des épreuves, résoudre des énigmes. On l'a fait et tout le monde a fait le job, famille et amis, parce que l'important, c'était cette belle fête, pour Léo. Le mot de Grand-Mère, la chanson de YoYo, la présence, pour la première fois depuis longtemps de ses deux parents pour lui. 

Hello , les Amigos
Je vais me faire le héraut du héros Léo
Petiot, quand nous le gardions , avec Yoyo,
Il fallait compter les " dodos" !
N'aimant pas l'eau , pour la douche, fallait le chrono !
C 'est, n'est-ce-pas Elsa, un excellent frérot ?
Puis, aux sports accro, il s'est fait des abdos
Plus beau que le lavabo, il est devenu coeur d'artichaut !
Par la suite, voyages à gogo, études avec brio
Now, banco pour le bio
Il ira haut... peut-être, jusqu'au CHÂTEAU ?...
BRAVO Léo , notre écolo !!

Moi aussi, j'y suis allée de mon petit mot, tissé de ses mots d'enfant retrouvés ici même dans la Care Box. J'ai accroché mon plus beau sourire, essayé d'oublier l'absence de Samir et des jumeaux, bu un petit peu trop de champagne, et... we did it.

08 octobre 2024

Ailes

Tu m'as donné des ailes. Et je suis terrifiée à l'idée de marcher à nouveau seule sur cette Terre désormais. 

Mais : merci pour les ailes, c'était magnifique. Et merci pour hier, c'était tellement important pour moi de ne pas rester dans la colère, l'incompréhension et le silence. De dire merci. De dire je t'aime,  même si ça doit prendre une forme différente aujourd'hui.

(Ne pas oublier : mesurer ce que ça représente pour lui, d'avoir accepté de suspendre la fuite en avant, d'essayer de mettre des mots, dans la mesure de ses possibilités. De prendre le temps de m'écouter - d'accueillir une longue déclaration de gratitude, d'amour et de chagrin infinis. De dire lui aussi merci, de reconnaître ce que nous nous sommes donné l'un à l'autre, sur tous les plans, depuis presque trois années. D'évoquer ses fragilités, et ce pourquoi il lutte - un mode de survie dans lequel il n'y a pas de place pour moi, ni pour lui d'ailleurs. De m'ouvrir ses bras pour que je m'y endorme, même en larmes, une dernière fois).

27 septembre 2024

Under pressure


Alors comment dire ? Ajouté à ce qui précède, l'exposition professionnelle au viol et au meurtre de Philippine à Dauphine, les récits détaillés de violences sexuelles de victimes de trauma qui s'exposent en boucle dans une répétition mortifère, les patients ou compagnons de patients en fin de vie, une conversation sans issue avec David et les trois heures d'échange hier avec une Elsa infiniment fragile qui planque, minimise et compense en permanence, mais laisse parfois brusquement entrevoir les abîmes en-dessous, je crois que c'est trop là... Ce matin en regardant l'agenda de cet après-midi : deux étudiants à recevoir en anglais, puis une urgence (?), et une matinée de consultations blindée demain matin (quel "week-end" ?), je me suis demandé : je fonds en larmes ? Je demande un arrêt de travail ? Je retourne sous la couette ? Je me prends une cuite monumentale ? Jusqu'à quand ça peut tenir comme ça ? 

Guess what ? Je suis dans mon bureau, bien sûr. mais je repense à cette patiente qui m'avait dédicacé son livre "Je n'avais pas vu les sables mouvants"...

PS : j'ai fondu en larmes. J'ai annulé ma consultation de l'après-midi. Je suis rentrée chez moi. Et je me suis roulée en boule sous ma couette. 

26 septembre 2024

Sur un fil

Si je me suis trompé, en disant : je t'aime, je préfère avoir dit : je t'aime. On ne me fera pas envier celui qui a eu raison sans aimer (Philippe Léotard).

Mais je ne suis pas trompée, loin de là ! Et si c'était à refaire, je referais tout pareil. Parce qu'elle est très belle cette improbable histoire entre deux êtres que tout oppose, ce petit miracle funambule que nous aurons maintenu bien au-delà de toute attente... parce qu'il est émouvant le constat que l'amour ne suffit pas, que dans la décision de prendre de la distance il peut y avoir encore tellement d'amour - la volonté de protéger, de ne pas enfermer l'autre dans ses propres impasses d'un côté, une infinie tendresse de l'autre.
 
Parce qu'il y a quelque chose de magnifique à avoir "arraché à l'impossible", comme me l'écrit une amie, autant de moments de bonheur. Et un certain panache à l'avoir tenté en connaissance de cause - choisir de vivre ce qui s'offre comme un cadeau que l'on pressent rare - plutôt que de rester à l'abri de la raison raisonnante et de ses certitudes stériles.Dans la Care Box il y a tellement de souvenirs - quelques-uns en remontant le temps :  
 
Et  aujourd'hui ? Aujourd’hui je ne sais pas, je ne sais plus. Il y a le souhait, réciproque je crois, de préserver de la douceur, dans la mesure de nos possibles. Et pour moi, cette certitude bien antérieure : je ne me souviens pas avoir jamais totalement dés-aimé un être que j'ai aimé authentiquement, profondément à un moment de ma vie. Mon cœur s'agrandit, c'est tout.

Folie dure

C'est fou oui. J'ai beau avoir des dizaines (centaines ?) d'heures de travail sur moi à mon actif, j'ai beau savoir que dans ces brusques montées de chagrin incoercible se jouent non seulement le présent immédiat, mais toute la solitude de l'enfance face à l'abandon de l'un, à la dépression de l'autre, ici parfaitement combinées, condensées comme diraient les psys, je plonge quand même.

Largement aidée par l'absorption heure après heure des mêmes détresses archaïques chez ceux que j'accueille, sans plus avoir ce lest interne du - je suis celle qui aime et qui est aimée, voir post suivant. A chaque étape douloureuse de ma vie, je redécouvre non pas l'Amérique mais à quel point il est impossible de faire ce métier sans s'enraciner dans un amour. Et je le fais quand même - quelle est l'alternative ?

Grand bien vous fasse

Il y a un brin d'ironie douce-amère, dans le titre de l'émission dont cette interview est extraite... 

...parce que l'amour c'est à la fois le sentiment le plus puissant - d'une puissance à déplacer les montagnes - ce qui fait qu'on peut aimer par exemple une personne qui n'est pas du tout faite pour nous, mais c'est la puissance de l'amour, et absolument fragile parce que comme tout dans la vie, ça passe ! Et ça je crois que quand on aime on est à la fois tenaillé et angoissé par sa puissance - y en a jamais assez, on en veut encore plus, on n'aime jamais à satiété, et en même temps on a la phobie que ça puisse finir. Pourquoi ? Parce que je crois que l'amour est le seul sentiment qui nous donne une raison d'être immédiate. C'est-à-dire, qui suis-je quand j'aime et quand je suis aimée ? Je suis celle qui est aimée et qui aime. Donc imaginez qu'on me retire ça ? Je n'ai plus de sol, je n'ai plus de raison d'être. 

Avant, les intervenantes - toutes des femmes, tiens donc - parlaient du retour de l'instabilité, de la perte de ce qui fait repère, et du fait qu'on veut par conséquent à tout prix (à tout prix...) préserver cette stabilité, quitte à se mentir ou à mentir aux autres. Plus loin, elles parlent de la fin de l'élection amoureuse qui nous rend à l'anonymat - ce sentiment d'être à nouveau perdue dans la foule...

Alors ici - peut-être n'y est-on pas vraiment à ce jour dans le désamour, ou juste au bord, ce qui n'est pas moins douloureux peut-être - dés-espoir et haine de soi d'un côté, tendresse impuissante et désolée de l'autre. Mais chacun de ces mots me parle. Oui, je sais que j'existe en dehors de ce chagrin, oui, il y a néanmoins, du sens, du lien et des joies possibles dans cette vie. Ce qui ne me préserve nullement de ces moments récurrents et incontrôlables où effectivement le sol se dérobe sous mes pas, et où c'est l'enfance qui sanglote en moi.

15 septembre 2024

L'effet mer

 

...est-il éphémère ? Pas sûr, surtout quand on est aussi gâtées - météo, maison, activités - du Festival du grand n'importe quoi, épique, au jacuzzi dans le jardin en passant par le karaoké. Ah, et puis ce Saint-Emilion Grand Cru 2003, mais lui n'a pas fait long feu. Ce qui est moins éphémère encore, c'est la profondeur de nos liens, l'existence de ces témoins de nos vies sur le long terme avec qui parler de nos enfants, de nos parents, de nos ex et de nos présents, de nos petites joies et de nos grandes peines (ou l'inverse), parce qu'elles en savent presque tout depuis toujours. Et puis aussi des trucs légers, sextoys, séries Netflix et maillots de bain.