Ce matin, j'étais aux urgence psychiatriques, dans l'espoir de faire hospitaliser un patient violemment délirant (éviter les passages à l'acte du patient comme de l'institution ; garder le souci d'une intervention humainement acceptable).
Dans la salle d'attente, une très jeune femme sanglotante, schizophrène ? toxicomane ? les deux ? interroge en boucle : Mais qu'est-ce qu'il y a à faire sur la Terre ? et pleure son impuissance et son échec, avec des gémissements qui me prennent à la gorge, aux tripes - sortie contre l'avis des médecins, la voici revenue à la case départ. Sa mère l'accompagne, grise et usée.
Une autre mère, celle d'un jeune homme bipolaire, en attente d'un entretien avec l’infirmier psychiatrique, probablement suite à une tentative de suicide, l'exhorte et le rassure tour à tour, à voix basse de soignante-malgré-elle, lui parle d'un philosophe vu la veille à la télévision qui disait ceci : Ne pas choisir, c'est déjà avoir fait un choix. Il lui répond doucement, évoque des projets dérisoires, je suis touchée par ce qu'il faut d'amour pour s’accrocher à ces miettes d'espoir sans cesse relancé, toujours déçu.
Comme un écho à cette scène, il y a quelques années : dans le bus un homme - alcoolique ? psychotique ? marmonne en boucle d'une voix pâteuse : "Un qui, qui suis-je ? il y a toujours un qui... Malraux disait - il est mort Malraux : juger, ce n'est pas comprendre... qui je suis, moi ? Est-ce que j'aime la vie que j'ai ? Un qui, il y a toujours un qui..." - Les voyageurs l'ignorent, sourient vaguement, ou baissent la tête ; et je me demande : combien sommes-nous à nous sentir concernés par ce qu'il interroge ?
Dans ces lieux de souffrance de l'âme, c'est toujours l’essentiel qui surgit : où ailleurs l'humain s'interroge-t-il avec une telle crudité ? Dans quelles officines la parole en attente du médecin se fait-elle si instinctivement existentielle, philosophique ?