01 décembre 2017

Ex Anima

Présenté comme l'ultime spectacle par Bartabas - de fait, quand on est passé du joyeux et foisonnant bordel tzigane des premiers cabarets équestres à ce degré d'épure et de beauté, que peut-on encore ajouter - à part le silence ? Les cavaliers se sont effacés, c'est à peine si on reconnaît le maître des lieux parmi les silhouettes vêtues de noir qui viennent saluer à la fin - ne restent que les animaux, âmes incarnées, ex anima - la vie, la liberté, l'humour, ce sont les chevaux qui les portent - avec une grâce infinie. Un hommage au dieu Cheval, dédramatisé par le burlesque d'une ultime saillie.


Un hymne à l'amour entre les chevaux et les hommes - quelle invraisemblable confiance réciproque pour rendre ces tableaux possibles à partir de si peu - un geste dans l'ombre, un son récurrent, un encouragement discret - et de tant - la complicité avec l’animal qui se tisse jour après jour, un travail  respectueux et infiniment patient qui ne connaît pas de dimanches. Un hymne à l'amour entre les bêtes aussi, joueuses, taquines, amoureuses, féroces parfois, puisque leur liberté permet le coup de sabot, la morsure esquissée.

Bartabas convoque en moi l'émerveillement de l'enfant devant tant de beauté, et le plaisir de l'adulte tant les tableaux qui se succèdent viennent parler directement à une mémoire collective - à peine a-t-on le temps de voir passer l'ombre d'un tableau, l'écho d'une scène de film, le clin d'oeil à un spectacle précédent que déjà il nous emporte ailleurs, propose un autre rêve.

Quelques moments forts : deux chevaux d'écume irréellement blancs au rythme des vagues qui enflent et déferlent - des chevaux devenus vagues, devenus mer...

Un champ de bataille où gisent hommes et chevaux, la sauvagerie des hommes bientôt éclipsée par la nature qui reprend ses droits - devant la salle médusée et les chevaux allongés, impassibles, des loups traversent la piste, dévorent les cadavres, et s'en vont.

Angelo le bien nommé, immense cheval de trait noir qui dessine patiemment un jardin zen, accueille une famille de colombes sur son large dos et plus tard s'envole au sommet du chapiteau de bois, placide et bienveillant.


Bartabas c'est un mythe, le créateur d'un monde-unique-au-monde ; un rugueux, un solitaire, un bourreau de travail, un homme à la culture aussi vaste que non-académique, un jusqu'au-boutiste, un fou. Je ne sais si l'homme ressemble à la légende qu'il s'est forgée. Mais je le crois, j'ai envie de le croire, parce que l'idée que de tels hommes existent éclaire le monde.

Ce serait bien dans sa manière, de tenir parole et de disparaître sur ce mystère... une sortie qui cultiverait une fois encore le paradoxe, humilité et panache, pour galoper vers d'autres horizons.

Mais je ne peux pas me faire à l'idée que ce lieu enchanté disparaisse, et je voulais tellement en garder quelque chose... je me suis laissée tenter par le coffret DVD qui reprend tous les spectacles à l'exception du dernier. Ca ne remplacera jamais le spectacle vivant, la spiritualité, la poésie et le tragique qui émanent de ces rendez-vous depuis trente ans ; mais c'est un caillou de Petit Poucet, à l'instar de cette spectatrice partie avec une poignée du sable noir de la piste.