C'est un homme en profonde souffrance, qui décrit sa difficulté à se lier, se relier aux autres comme un handicap, une "malformation" - ce sont ses mots - qui s'enracine dans un deuil traumatique à l'âge de quatre ans. Il déploie cette thématique de l'attachement impossible, d'une incapacité première à maîtriser ce qui lui semble être une évidence pour tous les autres - c'est comme si je n'avais jamais appris à faire mes lacets ! dit-il. Et soudain l'image fait sens, il associe sur l'âge de ce traumatisme qui est justement celui où l'on apprend à faire ses lacets, à nouer des liens... nous sommes émus tous les deux par la justesse de cette intuition - par cette pensée qui relie.
C'est une jeune scientifique probablement Asperger, enchantée d'être confinée chez elle, ce qui lui permet de poursuivre ses recherches sans être perturbée par les interactions humaines souvent indéchiffrables pour elle. Aujourd'hui notre échange a porté sur les avantages comparatifs entre être un humain et être un robot (nous avions des points de vue différents...) et son regret de ne pas pouvoir se mettre sur Off ; sur l'organisation sociale des fourmis ; sur la possibilité de l'émerveillement devant le monde naturel, qu'elle préférerait à l'activisme destructeur de l'homme : simplement observer ; sur les limitations trop humaines de nos systèmes de compréhension du vivant. Elle est dans l'incapacité de répondre à la question : comment allez-vous ? qui suppose un décodage des émotions qui lui est étranger et la plonge dans la perplexité. Mais elle s'anime sur ces sujets, se laisse rencontrer là, dans un touchant mélange de rigueur scientifique et de poésie involontaire.
C'est une élève infirmière faisant fonction d'aide-soignante dans un service Covid, qui attire mon intention sur un autre effet secondaire de l'interdiction des visites en réanimation : comment investir un patient sédaté s'il n'y a personne pour nous raconter son histoire, pas d'entourage pour l'inscrire dans un réseau de sens, de liens, nous le rendre proche, émouvant ? Et de me raconter l'histoire d'une collègue qui s'était attachée à un patient à travers le récit si amoureux que lui en faisait sa femme lors de ses visites - mais ça, c'était avant...