Je me sens si perdue ces jours-ci quand la nuit tombe. Je n'ose pas regarder en arrière, je n'ose pas regarder en avant.
J'ai peur du passé ancien, du temps des avancées confiantes, la main dans la main, des éclats de rire des enfants, du temps où tout était possible, où le mot foyer avait un sens, où la créativité amoureuse et réciproque allait de soi. Je m'interdis d'y penser. Je ne pense qu'à ça.
J'ai peur du passé récent, des espoirs déçus, d'un gyrophare dans la nuit, de cette maison où la vie s'enlise, où la parole ne circule pas. Je m'interdis d'y penser. Je ne pense qu'à ça.
J'ai peur de l'avenir, qui oscille entre une vie éteinte et une vie précaire, mais toujours dans une solitude croissante ; j'ai peur de ne pas trouver la force de continuer à accompagner mes enfants, seule - j'ai peur de la trouver aussi, comme c'est en fait déjà le cas depuis des années. Je m'interdis d'y penser. Je ne pense qu'à ça.
J'ai peur que le meilleur ne reste pas à venir - à l'échelle individuelle, familiale, sociale, à l'échelle de notre Terre aussi. Je m'interdis d'y penser. Je ne pense qu'à ça.
En attendant...quoi ? je ne sais pas, il me reste cette étincelle de vie qui me caractérise, cette envie de bonheur qui me remet debout sans cesse, m'invite à semer le chemin de mille petits instants précieux, un pas après l'autre, toujours.
Chanter à tue-tête en voiture avec Elsa. Savourer un pot-au-feu de YoYo. Prendre un train, partir quelques jours. Marcher seule sur la plage. M'offrir une poignée de crevettes, une sole fraîche. Revoir un film de Sautet, un verre de Médoc médaillé à la main. Papoter des heures au téléphone, confronter les regards, me sentir accompagnée par la tendresse attentive de ceux qui m'aiment.
Lire, écrire, chanter, danser. Travailler aussi, mais oui : être émue aux larmes par une patiente, portée par une équipe stimulante et chaleureuse. Est-ce que ça suffit ?