On pourrait se dire que c'est un samedi ordinaire - quelques patients, un déjeuner de copines, faire des courses, une lessive, finir un film sur Netflix, récupérer un bouquin à la librairie et tomber dedans : pas de grandes dépenses, pas de sortie culturelle, pas de dîner en ville, pas de fête jusqu'au bout de la nuit - juste la maison pour moi seule.
Et pourtant l'émotion à fleur de peau, touchée dix fois dans cette journée - par le désespoir de telle patiente à la séparation de ses parents. Par la confiance de tel autre qui se laisse entraîner dans un état hypnotique profond à la rencontre d'un traumatisme oublié.
Par l'authenticité des échanges avec mon amie - la vie, la mort, l'amour, pas de small talk entre nous. Par le discours de Julianne Moore dans le bouleversant Still Alice, sur la maladie d'Alzheimer : qui sommes-nous encore lorsque nous perdons la mémoire ? Par le magnifique L'année de la pensée magique, journal de deuil de Joan Didion (le bouquin de la librairie).
Par les associations d'idées qui m'ont fait plonger, via la musique (ce bonheur d'être seule pour écouter à plein volume et chanter), d'abord dans mes années chorale de gospel, en commençant par This little light of mine puis The storm is passing over et Song in my soul. Puis ramenée vers d'autres temps - c'est fou la puissance d'évocation de la musique, comme celle des parfums - Illumina, Days like this, Calma y tranquilidad, Rude, Alegria, juste les premières mesures suffisent à me connecter à des états, à des visages, à l'atmosphère de ces journées-là - ce soir je réalise à quel point je suis comme une éponge gorgée d'émotions, de blessures à peine cicatrisées, mais je me sens pleinement vivante.