Juste cet après-midi, il y a eu J, qui a perdu si brutalement sa meilleure amie, sa sœur de coeur élue, et sa joie de vivre. Dont la peine indicible croît avec cette absence qui n'en finit plus de s'imposer, et s'immisce dans chaque souvenir. J'imagine et elle me le confirme, les jumelles de Demy, qui dansent et chantent dans un monde arc-en-ciel - et puis Catherine sans Françoise...
Et puis V, une étudiante ukrainienne dont le frère est en ce moment sur la ligne de front, et qui présente pour sa fin d'études le projet d'un centre de soins psychiques à destination des traumatisés de guerre inspiré du kintsugi : dans un bâtiment éventré par un missile, ne pas chercher à restaurer à l'identique mais utiliser l'espace ainsi créé pour proposer de nouvelles circulations, un tissu cicatriciel visible mais créateur de nouveaux possibles.
Et puis A, livrée à elle-même depuis toujours, poly-consommatrice à quinze ans, sous emprise à dix-sept, submergée par l'angoisse aujourd'hui - logorrhéique, insomniaque, infiniment fragile et pourtant si résistante, résiliente. Une maturité bien trop précoce aussi - je la vois comme un petit esquif dans la tempête, sur une mer sombre dont elle seule sait ce qui se dissimule dans les abysses.
Et puis L, ce petit génie mathématique chinois à l'anglais traînant avec qui je poursuis depuis presque trois ans un dialogue intermittent (car à qui adresser cet ovni ?), qui gagne en profondeur à chaque rencontre, et révèle un questionnement existentiel et un humour insoupçonnables autrefois. Et je vois progressivement émerger du gamin terrifié de nos tout premiers échanges autrefois un jeune adulte qui revendique de plus en plus son indépendance de pensée et d'action.
Et encore J, une autre intelligence affûtée autant que perturbante, qui tente désespérément de trouver le chemin qui lui permettrait de ressentir une émotion, quelle qu'elle soit, sans pour cela avoir à se plonger dans des situations où la souffrance, la sienne ou celle de l'autre, parvient seule à lui donner la sensation d'être un peu vivante.
Chez tous, la rapidité de pensée, la lucidité sont vertigineuses. Et le désespoir, tout autant. Leur intelligence, leur beauté, leur jeunesse ne les sauvent de rien, les sauveront peut-être. Ils sont incroyables. Ils sont bouleversants.