Accepter de ne pas comprendre. Et d’offrir à celui ou celle qui parle cette capacité à ne pas savoir ensemble – partager un espace d’impuissance, humanisé d’être partagé. Pressentir que quelque chose est à l’œuvre, qui ne se laissera pas saisir comme cela - et que ce n’est peut-être ni le lieu ni le moment - ou déjà le lieu, mais pas encore le moment.
Ou bien - comprendre et n'en rien dire, laisser cet autre qui parle suivre son propre chemin, qui conduira peut-être vers de toutes autres issues, inédites - accepter, jusqu'à un certain point, de se laisser modeler par son attente...
Cette femme qui souffre depuis des mois d’une "relation" qu'elle désigne de ce nom mais qui n’existe que dans ses rêves – non que cet homme n’existe pas, mais elle n’a (ni n’a eu) d’autre contact avec lui que des textos épisodiques et banals.
Cette autre qui pleure de renoncer à une grossesse non désirée d’un compagnon qu’elle n’aime pas – sans vouloir ou pouvoir dire quoi que ce soit de ce chagrin.
Cette autre encore qui s’étonne qu’à l’annonce d’une grossesse imprévue, son très sporadique amant ne lui dise pas simplement « fais ce que tu veux, ça m’est égal… » - comme si l’annonce d’une paternité possible était un non-événement, et l’embryon une réalité simplement biologique qui ne concerne qu’elle seule (alors même qu’elle n’a pas de désir d’enfant très défini, ni ne se projette dans un avenir où cet enfant semble avoir la moindre réalité).
Cet homme qui revient à quelques mois de distance après un unique rendez-vous, dépose un récit de rêve trop transparent pour le prendre au pied de la lettre, et repart sans vouloir reprendre date.
Cet autre qui ne vient que pour faire le compte-rendu de l’avancement de ce qu’il appelle « ses dossiers » - une enfance violente et malheureuse, des prises de risques aux conséquences graves, un deuil à venir et… son projet d’arrêt du tabac – le tout traité avec la même impassibilité, et de manière à ne laisser aucun espace à la question, à l’émotion, au vacillement qui pourraient surgir…
Et tant d'autres encore...