Déjà, le titre, ça commençait bien.
Pourtant, j'étais prête à ricaner : juste à côté de l'entrée de la galerie, il y avait un authentique espace en travaux sans ouvriers qui aurait pu amplement prétendre à un label du genre "Installation-happening sur la disparition de l'homme manuel à l'ère post-moderne". Bref. Du coin de l'oeil on pouvait distinguer les oeuvres de la première artiste, qui ressemblait justement à une collection de parpaings délicatement empilés.
Et puis... je me suis fait happer par cette première exposante, Bridget Polk - ses équilibres invraisemblables, cette notion d'oeuvre fragile aux matériaux forts. Puis par la variété des univers, démultipliée par la thématique de l'exposition - ces créateurs au bord des mondes, scientifiques, techniques, plastiques - pas tout à fait en marge (même si on n'est parfois pas loin de l'Art Brut), pas tout à fait en dedans (la veille, j'avais vu l'expo Jeff Koons à Pompidou qui m'avait laissé un net sentiment d'exaspération : art ? contemporain ? que vaut un "art" qui ne génère ni beauté ni surcroît de sens ?)
Au Palais de Tokyo j'ai tout aimé ou presque : les cristaux de larmes de Roselyn Fisher, qui rappellent le travail d'Emoto ; le cercle inachevé du manque du "mathématicien existentiel" Laurent Derobert ; la vidéo sur ce village turc où les hommes parlent oiseau ; les poétiques pièges à brume d'Espinosa (non seulement beaux, mais utiles) ; les invraisemblables Strandbeests de Jansen et les Chindogu de Kawakami (qui mériteraient un billet à eux tous seuls) ; la toile d'araignée de Saraceno et les robes imaginaires d'Iris Van Herpen. J'ai oublié le temps - comme cela faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé dans une exposition ; comme si je me tenais vraiment sur le rivage des mondes.