04 mars 2015

L'aède

J'aime beaucoup son blog. Et aussi le jeune homme caché derrière. Et j'aime ses portraits de proches (ou plus lointains), oniriques, littéraires, décalés, et parfois un peu tout ça à la fois. Alors être le modèle de l'un d'eux, c'est un très joli cadeau de printemps...


Je me suis retourné et j’ai vu son visage. La ligne pure et sereine de sa mâchoire, la mèche de cheveux sombres qui balayait son front, et ses yeux qui fixaient sur ce petit groupe de profs égarés dans un aéroport un regard plein d’une surprise amusée. Elle nous a dit que oui, elle aussi allait, comme nous, se perdre dans les montagnes de Sicile durant quelques jours. Je n’ai pas écouté. J’ai entendu. Sa voix qui se déployait, timbre sur timbre, sur timbre. Grave et frêle, triste et gaie, pleine de sérieux et d’ironie. Une aède aux cordes vocales pleines d’histoires. Elle m’a impressionné. Et pendant qu’on sautait par-dessus les flots, je me suis dit qu’on n’était pas du même monde. J’ai laissé les autres profs, les grands, partager avec elle.

Mais on s’est retrouvé côté à côté, un peu par accident. Et comme toujours quand je suis nerveux, j’ai sorti de mes poches deux ou trois univers fictifs. C’est là qu’elle s’est mise à danser. Le long des allées du château de Peau d’Âne, autour des salles de répé d’improbables lycées américains. J’ai inspiré, tourné la tête, et l’ai regardée. 

L’aède a tous les âges.

Je l’ai croisé parée de tant d’atours. Les pas hésitants de la jeune danseuse, les mains croisées de celle qui scrute, le rire de la compagne de soirée. Parce que l’aède est restée. Elle ne noue pas de liens, elle ne demande rien, jamais. Mais parfois, elle propose une escapade, une aventure. Une blague de collégiens, un dîner d’adultes. Et chaque fois que je la retrouve, le cou toujours droit, la plus douce des ironies au coin des lèvres, le monde paraît un peu moins marécageux. Ses phrases, son ton donnent de la substance. De la campagne sicilienne au Casablanca rêvé de Bogart.