C'était son dernier jour - menacé d'exclusion, sursitaire, changé de classe, jamais en cours, faisant le mur à chaque occasion, exclu à nouveau, définitivement ce soir, mêlé hier à une histoire de départ de feu dans le collège, puis à une bagarre à coups de livres - j'avais parlé de lui déjà, ici. Je l'avais reçu ce matin - semi-dialogue, la violence du père, qui va enfin faire l'objet d'un signalement mais - trop tard ? - sa colère à lui contre l'Etat - les professeurs, les policiers, les administrations dont le père dépend pour sa carte de séjour - tous ces gens titulaires de droits qu'il n'a pas, et qu'il n'a de cesse d'outrepasser.
Aussi quand il a voulu profiter de ma sortie de l'établissement pour une fois de plus filer en douce, j'ai dit non. Un peu inquiète, un peu en colère, un peu contre lui pour sa toute-puissance, un peu contre l'institution pour son impuissance... Mais je n'étais pas prête à me démarquer de l'équipe éducative, ni prête à prendre la responsabilité de la énième sortie clandestine, toujours susceptible d'amener à la énième ânerie - qui se terminera un jour ou l'autre par la convocation dans un commissariat d'un père violent et sans-papiers - et après ?
J'ai donc résisté à la tentative de charme, et prévenu la tentative de choc - en appelant un surveillant à la grille. Car je le sentais fermement décidé à tenter le passage en force, et ne voyais aucun sens à m'opposer physiquement à cette boule de nerfs et de désespoir de treize ans...
Ce soir pourtant je m'en veux. Qu'est-ce qu'il a d'autre ce môme que sa vitalité, sa capacité à résister, à refuser, à préférer sa liberté ? Quel sens cela pouvait-il avoir, dans ce contexte, quatre heures de consigne supplémentaire ? Est-ce que je n'aurais pas été plus à ma place en lui permettant de quitter à sa manière cette école qui l'exclut et qu'il abhorre ? Est-ce que la position juste n'était pas de délivrer ce message, je comprends que tu sois infiniment en colère, et l'importance pour toi de t'en sortir par toi-même, la tête haute ? Si. Je crois. Si c'était à refaire...