Il y avait longtemps que je ne m'étais pas trouvée dans cette situation, à la fois bouleversante et exigeante, d'être en position de recevoir une histoire d'abus qui se dit pour la première fois, d'être témoin de ce courage et de ce pas vers une liberté à conquérir, la sortie d'un système totalitaire, de dix années sous terreur. Et il ne m'est jamais arrivé je crois lors d'un premier entretien d'observer une telle finesse, une telle acuité dans la parole - analyse des mécanismes de l'emprise, douleur de ce qui est perdu sans retour - l'enfance, l'innocence, les premières expériences amoureuses, cette capacité à nommer le tragique - l'apprentissage de la dissimulation, la grossesse avortée, la menace toujours agissante à ce jour et simultanément sa décision de vie : c'est fini, aujourd'hui je choisis ma vie.
Dans la même journée il y a eu aussi cette femme aux côtés de laquelle je me suis battue des mois durant, pour faire émerger une parole, un sens du gouffre au bord de laquelle elle se tenait et vers lequel je me suis plus d'une fois sentie aspirée, et qui a pu dire, "je vais bien".
Et cette autre qui m'épuise tant sa douleur est agitée, bruyante, quelle que soit la teneur de l'entretien je la perçois comme une note aiguë, discordante, blessure à vif qui s'est subitement apaisée à la suite d'un rêve où il était enfin question que cette souffrance soit vue, reconnue, nommée pour ce qu'elle est, une plaie béante et honteuse à la fois, une enveloppe déchirée, enfin rendue dicible, partageable. Depuis émerge une incroyable histoire de famille marquée par l'exil, la folie et la mort, qu'elle peut à la fois reconnaître et mettre à distance, dont elle peut progressivement se différencier.
Et cet homme confronté à la menace de récidive de son cancer, l'enveloppe de résultats qu'il vient d'ouvrir à la main - reparti apaisé - momentanément bien sûr, que faire, que dire face à la perspective de l'attente, de nouveaux examens, et peut-être, d'une nouvelle chimiothérapie - avec quel horizon ? Rien à dire, rien à faire, que d'être là...
S'il arrive que la parole de mes patients tombe parfois sur une blessure à vif, une zone fragile pour moi, il arrive également qu'ils soient une source d'émotion, voire d'inspiration. Parmi ceux-là, une flopée d'artistes - chanteuse, écrivain, peintre, photographe, costumière - d'artistes du quotidien aussi, comme cette brillante jeune femme handicapée par un problème neurologique à la naissance, douloureuse la plupart du temps, mais qui force l'admiration par sa joie de vivre, son courage, ou ce gay vieillissant, survivant étonné des premières années SIDA, qui vient se poser la question d'un avenir qu'il a toujours défié, mais qu'il ne s'était pas préparé à vivre...
S'il arrive que la parole de mes patients tombe parfois sur une blessure à vif, une zone fragile pour moi, il arrive également qu'ils soient une source d'émotion, voire d'inspiration. Parmi ceux-là, une flopée d'artistes - chanteuse, écrivain, peintre, photographe, costumière - d'artistes du quotidien aussi, comme cette brillante jeune femme handicapée par un problème neurologique à la naissance, douloureuse la plupart du temps, mais qui force l'admiration par sa joie de vivre, son courage, ou ce gay vieillissant, survivant étonné des premières années SIDA, qui vient se poser la question d'un avenir qu'il a toujours défié, mais qu'il ne s'était pas préparé à vivre...