Ça fait trois semaines, et jusqu'ici je n'ai pas écrit une ligne. Trois semaines que je vis dans un espace-temps où il est difficile de penser, de formuler, de prendre du recul. Trois semaines que j'essaie de le faire cependant pour les étudiants de la permanence, pour ceux des patients du cabinet qui ne sont pas eux-mêmes trop sidérés pour poursuivre la rencontre. Trois semaines qu'après le dernier entretien de la journée, je n'ai plus assez de mots ni pour moi ni pour les autres.
Pourtant ici tout est calme. La vie à la maison est paisible, je sais Léo en sécurité aussi, le jardin prend ses couleurs de printemps, et nous savourons cet immense luxe d'une ouverture vers l'extérieur - nous déjeunons sur la terrasse, je travaille quelquefois au soleil, assise sur un tapis de pâquerettes. Elsa n'est plus seule, nous posons des jalons pour sa rentrée de septembre, là où nous semblions être dans l'impasse il y a encore quelques semaines.
Les nôtres vont bien - nous avons aussi cette immense chance - quelques amis, quelques patients ont été bien malades mais sont déjà en convalescence, nos parents et proches sont en bonne santé à ce jour.
L'actualité ne rentre que de manière filtrée - pas de télévision, peu de radio, les articles du Monde auquel je me suis enfin abonnée - moins de bruit, plus de fond, et surtout, choisir - le moment, le thème, la qualité de l'information - enfin, dans les vertigineuses limites des incertitudes actuelles.
Un temps inédit, arraché aux transports, à un agenda perpétuellement surchargé, mais un temps pour le moment finalement peu créateur, en tout cas sur les journées travaillées. Mon cerveau est indisponible - assez peu d'angoisse en tant que telle - une vague qui monte le soir parfois, ou un réveil précoce, la gorge serrée ou les larmes aux yeux à la lecture d'un article - mais pas davantage.
Peut-être aussi ce sentiment qu'il y aurait une forme d'indécence, dans ce contexte, à se montrer par trop affecté : nous ne sommes pas en danger ; nous ne sommes pas en première ligne ; notre environnement est incontestablement privilégié sur tous les plans.
Cette angoisse, je la ressens cependant dans ce ralentissement sournois, silencieux, ce bruit de fond constant dont j'essaie de me désengluer parfois - par un temps de méditation ou de prière, quelques postures de yoga, une lecture apaisante, un coup de fil affectueux.
Dans tout ce qui précède il y a de la gratitude à reconnaître, à ressentir - pour tout ceci, merci. Pour la santé, pour les liens, pour l'environnement de vie, pour ce rythme différent - malgré les inquiétudes financières j'apprécierais de travailler moins, pour pouvoir aller plus loin sur ce chemin qui nous oblige à nous tourner vers l'intérieur, à puiser dans nos ressources, notre imaginaire, à redécouvrir une certaine forme d'humilité aussi - comme en mer, il nous faut faire avec les éléments.
Dans tout ce qui précède il y a de la gratitude à reconnaître, à ressentir - pour tout ceci, merci. Pour la santé, pour les liens, pour l'environnement de vie, pour ce rythme différent - malgré les inquiétudes financières j'apprécierais de travailler moins, pour pouvoir aller plus loin sur ce chemin qui nous oblige à nous tourner vers l'intérieur, à puiser dans nos ressources, notre imaginaire, à redécouvrir une certaine forme d'humilité aussi - comme en mer, il nous faut faire avec les éléments.
Je ne vois déjà plus comment ce monde pourrait revenir à une supposée normalité ; mais là encore, les suites économiques, politiques, sanitaires, sociales, écologiques sont à la fois tellement imprévisibles, démesurées et communes qu'à ce jour j'ai du mal à m'en faire pour nous individus - j'avance pas à pas, interrogative mais pour le moment tranquille. Non pas sereine - cette tranquillité n'exclut pas la peur, ni l'accueil de la peur - mais tranquille.