Parce qu'il faut vivre au quotidien, et essayer dans la mesure du possible de ne pas additionner nos angoisses, parce qu'il faut soutenir l'espoir, la possibilité d'un projet, j'oublie - provisoirement.
J'ignore plus ou moins délibérément les stratégies d'évitement, pourtant omniprésentes. Je dénie l'anormalité de la situation, sa durée, les traumas cumulés, la fragilité de chaque moment, le traitement médicamenteux. Parce que ce n'est pas vivable autrement - pour personne. Parce qu'il faut donner une chance au meilleur. Parce que rien n'est certain, mais qu'il est nécessaire de croire. Parce que chaque petit moment de dialogue, de légèreté, de soins, est une maille retissée, une conquête provisoire mais toujours émouvante.
Je propose - des appuis, du soin, des aménagements. C'est une attention constante, un questionnement sans fin sur le trop, le pas assez, le judicieux instant après instant. J'essaie. Et j'échoue sans cesse, bien sûr.
Et puis... il suffit d'un détail, pour que les paravents tombent, et que le vertige revienne. L'impossibilité de faire seule une course simple, d'aborder même de loin un aspect scolaire, la souffrance qui explose en détresse ou en colère devant le constat commun de cette insupportable vulnérabilité envahissent à nouveau l'espace. L'impuissance réciproque, face à l’humeur incontrôlable comme aux angoisses paralysantes, ajoute à la peine, à l'inquiétude quant à l'avenir.
Je ne souhaite à aucun parent d'être confronté à la souffrance profonde, durable de son enfant, tout en étant dans l'impossibilité de le soulager. A fortiori si celui-ci a toute l'intelligence et la sensibilité requises pour en mesurer les implications possibles. Je suis bouleversée par son courage, dont je sais qu'il n'est pas forcément perçu comme tel par notre entourage, parce que comme le dit le Petit Prince, c'est tellement mystérieux, le pays des larmes. Celui de la souffrance psychique aussi.
Je sais que je vais retrouver le mien, de courage. Et que nous allons continuer à remonter nos manches, réajuster nos sacs à dos, et reprendre la marche. Et que comme le dit mon amie Lalie, on n'est pas à l'abri d'avoir de la chance ! Mais ce matin... j'avais besoin de poser cette douleur, là.