18 mai 2018

Alliés

Dans ce métier, il y a des moments où c'est chaotique, laborieux, confrontant - est-ce que je sers à quelque chose, est-ce que je suis à ma place, est-ce que c'est la bonne intervention, la distance juste, le bon timing ? Est-ce que j'ai vraiment l'envie, ou la force, de supporter l'agressivité à peine voilée de celle-ci, la noirceur obstinée de celui-là ?

Et puis il y a des moments où c'est tout simplement fluide. Des moments où l’alliance dans le lien donne des ailes, allège, éclaire - et je suis de plus en plus persuadée que quel que soit le référentiel théorique, c'est elle qui fait à minima la moitié du chemin. Hier matin quatre patients, dont deux retrouvés - ils reviennent après un an, deux ans, la vie a changé mais le lien interne demeure, et le dialogue reprend.

Il y a cette jeune femme que j'ai rencontrée au bord de la décompensation après un drame familial, bataillant pour terminer une thèse, et que je retrouve mariée, jeune maman, avec un travail intéressant et gratifiant ; cet homme gay qui s'est défait d'une relation maltraitante et s'apprête à devenir père ;  cette patiente toujours en crise mais dont je sens comme elle s'accroche à la bouée de nos rencontres, et dont le courage me touche ; cette autre dont je pensais que je n'arriverais jamais à la sortir du deuil mortifère de sa mère (il y a vingt ans de cela), et qui aujourd'hui me donne une leçon de vie alors même qu'elle est à son tour atteinte par la récidive d'un cancer. Les humains sont incroyables... et les accompagner, un privilège.