Plus
ma vie se transforme, plus la notion d'une continuité se perd, et plus - en tout paradoxe - il me devient précieux de
revenir.Ces dernières années tout a changé si vite - lieux de vie, de travail, amours, et les enfants sont passés de l'adolescence à l'âge de jeune adulte en à peine le temps de reprendre mon souffle. Et si j'ai posé mes valises dans mon nid sous les toits, à bien des égards je me sens encore nomade.
Je n'ai nulle part où revenir - pas de maison de famille (l'île de Ré, autrefois ?), pas de maison-famille, ce cocon rassurant autant que possiblement aliénant, pas de terroir ou de racines, de filiation ou d'affiliation forte à une culture, une langue, une terre - et je ne suis pas sûre qu'aujourd'hui cela me manque encore. Pourtant - je ressens un indicible bonheur à revenir. Cette semaine, c'est la maison d'Agnès et Yves qui m'a inspiré cette réflexion - la piscine bleue, le petit studio du fond de la cour, la visite à Mamé et puis bien sûr, habiter sur l'eau, le bruit du vent, la berceuse des vagues, l'horizon ouvert.
Revenir - mettre mes pas dans mes propres traces. Reconnaître. Savourer ce sentiment d'enfiler un vêtement confortable et doux, cette simplicité sereine du familier. Etre comme à la maison - mais ailleurs. Ce qui tient beaucoup sans doute à la qualité des êtres au moins autant que des lieux. Mais aussi aux détails qui n'en sont pas : parce que je connais les prénoms des enfants, l'endroit où ranger le sucre et l'histoire de la famille, et peut-être aussi le nom du chien, la façon de faire tourner la clé du portail, alors je suis un peu chez moi...
C'est bon de revenir. De retrouver - des visages, des voix, des couleurs - il y a quelque chose de très profondément nourrissant, réconfortant dans cette continuité dans la discontinuité, qui est pour moi beaucoup liée aux maisons. Celle d'Emilie, celle de Ghislaine, Pen Wern auparavant, Montlevon encore un peu, Trouville, peut-être ? Aux maisons, ou aux jardins - ce n'est sans doute pas un hasard si toutes ces maisons sont en connexion directe avec la nature ? Ou peut-être au lien - ou à l'idée que je m'en fais - peut-être ces lieux sont-ils intacts dans mon coeur parce qu'ils ne sont associés qu'à des instants lumineux ?
Des maisons à mi-chemin entre la réalité et l'imaginaire, des maisons transitionnelles - comme autant de doudous mentaux ou de madeleines invisibles - et peut-être ma terre à moi est-elle un archipel de liens, une mappemonde affective, une collection de refuges.