Depuis la première fois que j'ai fait cet exercice, mon lieu sûr, c'est l'avant d'un voilier en navigation. Il n'y a pas plus complexe ni plus apaisant pour moi en termes de sensorialité. Je vois : le bleu de la mer et celui du ciel, la voile gonflée, l'écume qui déferle et la petite girouette en haut du mât. J'entends - les vagues qui se coulent le long de la coque, le vent qui siffle à mes oreilles, le cliquetis des filins contre les haubans. Je sens la chaleur du soleil, la caresse de l'air, le contact du teck sous ma main. Mais surtout, je ressens la danse du bateau sur les vagues, le mouvement dans mon corps, cette berceuse lente et sensuelle, et, ce que j'aime par-dessus tout, cette suspension du temps et de la pensée. Enfin les mots s'arrêtent, le mental fait silence... Juste : être.
Il y a aussi des souvenirs magnifiques, le lien aux forces de la nature et à leur pouvoir de régénération, la présence d'un absent, la confiance et l'abandon aussi ; si je suis là, c'est que j'ai passé la main, confié la barre : je peux me reposer, sur l'onde et sur l'autre. Juste : respirer.
Cette année j'ai réalisé aussi que ce rythme coulé de l'étrave qui fend les flots, au-delà d'être hypnotique, avait aussi quelque chose de profondément érotique. Une vague lente et cyclique qui résonne loin au creux du ventre au portant, une sensation de puissance à peine domptée au près, et je me suis surprise à me poser la question : suis-je la vague ou bien le voilier, le mouvement ou bien l'accueil ? Les deux mon capitaine - comme dans l'amour, les frontières s'effacent, les questions n'ont plus cours. Juste : sentir.