30 juillet 2015

Le plein d'amour siou'plaît !

Ça pourrait être un billet de vacances comme les autres, plein de photos et de petits moments magiques. Ça en sera peut-être un, il y a matière : les enfants en voilier, le sentier aquatique de Port-Cros, le feu d'artifice depuis le bateau à Toulon, les lumières de l'aube au mouillage à Porquerolles, le café du matin sur le port, le Mucem et la Cité Radieuse, la maison de Fontvieille avec sa piscine et son immense jardin, les longues heures de lecture paisible au bord de l'eau, le festival d'Avignon, le week-end chez les cousins, l'émerveillement de Victor devant les villages provençaux qui me les a fait revoir d'un oeil neuf : les Baux, Gigondas, Séguret...

Ça pourrait être un billet de gratitude (ou de légère frime ;-)) - météo optimale, paysages somptueux et variés, luxueuse maison d'échange (piscine, clim, écran géant, vrai baby-foot, barbecue, verger et potager... jusqu'au chat intérimaire, pour ne pas être en manque de Chamade :-)). 

Ça pourrait être un billet Télérama :
- la réconfortante expo du Mucem sur les lieux saints partagés (un espoir dans ce monde de brutes ?), son introduction aux spécificités de la culture méditerranéenne (j'ai bien retenu ma leçon : berceau de l'agriculture, des monothéismes, de la démocratie et des grands voyages) et l'architecture exceptionnelle du musée
- la visite inespérée d'un appart de Le Corbusier resté intact à la Cité radieuse et mis à disposition par sa propriétaire, une galeriste parisienne (ces instants inespérés qui surgissent au hasard des vacances)
- trois spectacles à Avignon (de l'art de choisir un spectacle qui puisse convenir à une pré-ado, un ado, et un anglophone certes littéraire et francophile mais anglophone tout de même) 
- un parcours Van Gogh à Arles (mais pas les Rencontres de la Photographie, trop chères)
- le plaisir de la lecture : un Vargas, Sous les vents de Neptune, le meilleur à ce jour ; Les Brumes de l’apparence, bien meilleur que le roman de gare qu'il semblait être ; l'auto-biographie de Depardieu, Ça s'est fait comme ça ; et prendre le temps de relire, Le comte de Monte-Cristo à cause du Château d'If, Les Mots pour le dire, Cent ans de solitude...

Mais l'essentiel de ces vacances pour moi, ce qui aura sans contexte été un bonheur, un cadeau, une ressource, ce qui a fait de ces vacances une réussite, un vrai lieu de re-création, c'est l'humain. Etre accueillis par Yves et Agnès comme par une famille de cœur - leur attention aux détails, aux enfants, leur profonde bienveillance. Ce joli moment où Yves a pris le temps d'aider Elsa à apprivoiser les sombres herbiers de Posidonie, afin qu'elle ne se prive pas du plaisir de la baignade, qu'elle ne reste pas dans sa peur : ensuite, elle ne voulait plus sortir de l'eau, mission accomplie ! Ce qu'on sent de vie amicale, chaleureuse autour d'eux, bateau ouvert, maison ouverte - un peu comme à la maison...

L'improbable, transitoire et bilingue famille formée avec Victor les deux semaines suivantes - un drôle de pari, cohabiter avec un ami étranger, et deux ados, et finalement, une évidence : même sur un mode amical, c'est bon qu'il y ait un homme autour - un autre adulte à qui parler, un relais, quelqu'un à qui déléguer deux choses que je n'aime pas faire, à savoir conduire et... préparer le barbecue (oui, c'est un cliché sexiste, et alors ? :-)), mais surtout une présence discrète et respectueuse, des échanges sincères, un intérêt commun pour la culture sous toutes ses formes, des regards similaires... une étonnante et parfois légèrement troublante douceur. Et puis, Victor est probablement le seul des mes amis à discuter de Derrida au petit-déjeuner, ou à évoquer spontanément des poèmes "dans la vraie vie" : voir ici et là. 

La visite de Marcel venu pour nous de Montpellier (ou comment CouchSurfing a changé notre vie, nous créant des liens partout dans le monde - je me souviens de Theresa faisant le trajet OKC-New York pour nous revoir : ici Marcel, la rencontre avec Victor, le prochain départ de Léo pour le Colorado, merci qui ?), les retrouvailles avec les cousins (y a-t-il de bonnes vacances sans passage à Cairanne ? là aussi, maison et table ouvertes, joyeux bordel, etc.), la journée simple et lumineuse avec David quand il est venu chercher Elsa, le croisement impromptu avec la Flying Mémé à la gare d'Avignon : le plein d'amour, siou'plaît !

28 juillet 2015

Monet refuses the operation

Ca marche aussi pour les autres génies, Van Gogh était omniprésent dans nos paysages de Provence... Un cadeau de Victor, qui fait écho au texte de Milena Busquets sur le regard ci-dessous : "Ce que nous pensons n'est pas si important que ça, c'est ce que nous voyons qui compte"...

Doctor, you say there are no haloes
around the streetlights in Paris
and what I see is an aberration
caused by old age, an affliction.
I tell you it has taken me all my life
to arrive at the vision of gas lamps as angels,
to soften and blur and finally banish
the edges you regret I don't see,
to learn that the line I called the horizon
does not exist and sky and water,
so long apart, are the same state of being.
Fifty-four years before I could see
Rouen cathedral is built
of parallel shafts of sun,
and now you want to restore
my youthful errors: fixed
notions of top and bottom,
the illusion of three-dimensional space,
wisteria separate
from the bridge it covers.
What can I say to convince you
the Houses of Parliament dissolves
night after night to become
the fluid dream of the Thames?
I will not return to a universe
of objects that don't know each other,
as if islands were not the lost children
of one great continent. The world
is flux, and light becomes what it touches,
becomes water, lilies on water,
above and below water,
becomes lilac and mauve and yellow
and white and cerulean lamps,
small fists passing sunlight
so quickly to one another
that it would take long, streaming hair
inside my brush to catch it.
To paint the speed of light!
Our weighted shapes, these verticals,
burn to mix with air
and change our bones, skin, clothes
to gases. Doctor,
if only you could see
how heaven pulls earth into its arms
and how infinitely the heart expands
to claim this world, blue vapor without end.

Lisel Mueller

05 juillet 2015

Un endroit où se cacher

En feuilletant le bouquin en partant de la fin, j'ai pensé : N'importe lequel d'entre nous pourrait être un sujet de roman, sans savoir comment l'histoire se termine. Par contre, quelqu'un qui ne vous connaît pas du tout pourrait le savoir, rien qu'en feuilletant les feuilles de votre vie d'une main indifférente. Et ça m'a fait flipper. 

Joyce Carol Oates, Un endroit où se cacher

03 juillet 2015

Résonances

Nous voyons tous des choses différentes, nous voyons tous toujours les mêmes choses, et ce que nous voyons nous définit absolument. Nous aimons instinctivement ceux qui voient comme nous, et nous les reconnaissons tout de suite. Mettez un homme au milieu d'une rue et demandez-lui : "Qu'est-ce que tu vois?". Dans sa réponse il y aura tout, comme dans un conte de fées. Ce que nous pensons n'est pas si important que ça, c'est ce que nous voyons qui compte (...).

...nous ne sommes jamais aussi forts que lorsqu'on est amoureux et que l'on nous aime, et cette expérience met la barre si haut que, dans mon cas du moins, seule la brève étincelle du sexe peut servir de substitut, l'amour de basse intensité ne marche pas, parce qu'il n'existe pas (...). 

- Mais les types qui me plaisent sont ceux qui me donnent envie d'être plus intelligente.
J'ajoute à voix basse :
- En temps normal, ils me donnent envie d'être plus bête.
- Eh bien, ma petite chérie, s'exclame la fille en riant. Tu es bien exigeante. 

Milena Busquets, Ca aussi, ça passera.