31 mars 2024

Toucher l'instant

Donc ce week-end nous avions des jumeaux de huit ans survoltés, un amoureux-couteau-suisse (ou kabyle ?), une grand-mère pas vraiment en état de marche (mais la tête va bien, merci), un jeune adulte récemment échappé d'un ministère (et une petite fleuriste qui brillait par son absence). Comme l'écrivait Halo : The concept of family is an interesting one. The definition that I like: a group consisting of parents and children living together in a household.

Voilà. Peut-être que c'est mon talent spécial, la création de tribus éphémères, inattendues et multiples. Ne pas être dupe de ce que chacun met de côté d'épuisement, de difficultés diverses ou de fragilité (un peu comme ici), mais réunir par le jeu, la bonne cuisine, le rire ou la beauté. La tendresse silencieuse. Les petits gestes. Prendre soin, autant que possible. C'est fatigant, parfois, mais c'est doux aussi.

Un coucher de soleil, des huîtres, des moules et des coquilles Saint-Jacques (pas le même jour !), un volley sur la plage, un nouveau jeu à découvrir ensemble, des œufs de Pâques cachés dans le jardin, une bouteille de champagne, un dessin de lune et des blagues de Toto, un brunch avec des œufs à la coque, écrire nos prénoms sur le sable (et nous faire encercler par la marée), un blind test Disney-Pixar, du bon vin, des fraises et des asperges du marché, des siestes, des ciels de toutes les couleurs (mais majoritairement ensoleillés), prendre le temps de cuisiner, de faire la vaisselle en dansant, de préparer un vrai café qui sent bon - autant de prétextes pour juste être. Là. Prendre le temps surtout de la gratitude, de la conscience de ce qui est précieux ici.

C'est tout sauf une légende, on espère juste toucher l'instant
Les quelques secondes du poète qui échappent à l'espace-temps
Les moment rares et irréels que la quiétude inonde
Rouda, n'oublie jamais notre parole du bout du monde
On ressent comme une coupure dans la vie, comme un rêve
On oublie les coups durs de la vie, comme une trêve (...)

Grand Corps Malade

26 mars 2024

Eternel retour

Pourquoi reprendre un travail sur moi quand tout va à peu près bien, quand même les secousses inhérentes à toute vie semblent pouvoir êtres accueillies avec une certaine tranquillité ?

Parce qu'on ne cesse jamais de croître, que ce travail n'a à proprement parler pas de fin, et que cette croissance nourrit aussi mon exercice professionnel.

Parce que je me rends compte que ce pli de mettre de côté mon propre ressenti, héritage de mon histoire autant que de ma pratique, ne sera jamais totalement défroissé.

Parce que dans ce métier où je me rends chaque jour infiniment disponible pour l'autre, navigant heure après heure dans des mondes plus ou moins rudes émotionnellement, il est doux pour moi de pouvoir être à mon tour accueillie.

De temps en temps, ne plus être celle qui écoute, mais celle qui est écoutée, et mieux encore, vraiment vue.

23 mars 2024

Aller vers la lumière

Je pense que le monde tient dans un équilibre, pour moi il y a autant d'ombre que de lumière sinon je pense que tout cela n'existerait pas. C'est aussi à nous ce travail à faire de vraiment d'aller voir notre lumière. Il y a le travail à faire sur l'ombre mais je dirais que le plus important...

On est une société où on cherche à guérir guérir guérir, mais je pense  que chercher la lumière, cultiver la lumière, parfois ça aide plus à guérir que de patauger dans quelque chose qui ne serait QUE "guérir, guérir" parce qu'en fait à ce moment-là vous vous envoyez un seul et même message : je veux guérir guérir ben c'est que je suis malade malade malade ! Donc peut-être que de cultiver la lumière, vraiment se désidentifier de soi-même, rejoindre cette part intérieure qui  est vraiment une présence-absence aimante, quand on goûte, quand on touche, quand on fait cette expérience, on est changé pour la vie ; et à ce moment-là, de surcroît, arrivent des guérisons par miracle.

Audrey Fella, interview Zeteo

Oui. C'est ce qui m'a fait passer de la psychanalyse, de sa fascination stérilisante pour le meurtre et l'inceste, de son goût grandiloquent pour la tragédie antique (en toute humilité) et pour le pire du pulsionnel en nous, à la psychothérapie relationnelle et transpersonnelle. 

15 mars 2024

Avance sur printemps


Premiers repas dehors, premières balades en t-shirt, cette année à Cassignas j'ai rencontré trois chats câlins, un prof de yoga, une potière transgenre et un incroyable chêne multi centenaire. Nous sommes si petits...

03 mars 2024

Prendre soin

Bien sûr, il s'agit de moments rares, et pas du tout de mon quotidien professionnel. Et, en l'occurrence, de deux patients que j'ai suivi sur des années, et qui m'ont je crois appris autant que ce que je leur ai apporté. Au-delà du cadre, des rencontres.

Le premier est revenu hier pour une séance de clôture profondément émouvante, nommer ceci : oui, je lui ai sauvé la vie le jour où je l'ai fait hospitaliser en urgence. S'en est suivi un échange très fort sur le lien thérapeutique, ce drôle de rapport asymétrique où l'un ne sait rien de l'autre, et qui peut pourtant être un repère décisif, une rencontre qu'on n'oubliera pas. Sur ce métier où l'on accueille avec ce que l'on est, où l'on ne travaille bien qu'en acceptant d'être touché, ému par l'autre. Sur la juste distance thérapeutique, qui n'est ni amitié ni froide neutralité, mais accueil et pas de deux, travail d'équipe. Ex-enfant profondément blessé et autrefois amer, il s'apprête aujourd'hui à fonder une famille, et cultive son jardin au sens propre comme au sens figuré. "J'ai beaucoup grandi", me dit-il.

Pour la seconde, j'ai aménagé le cadre comme pour personne d'autre avant elle, m'adaptant à ce que j'analyse aujourd'hui comme les besoins d'un nouveau-né entre la vie et la mort. L'espace, le temps, le contact pendant et entre les séances, il n'y a rien qu'elle ne m'ait fait interroger, ajuster, et transformer. Jusqu'à le mettre en œuvre dans la réalité, lors d'une séance par téléphone au décours d'une hospitalisation pour une tentative de suicide, lors de laquelle nous ne savions pas si elle allait survivre à son geste. Séance dont elle dit aujourd'hui que c'est le seul contact humain ressenti comme réel qu'elle ait eu pendant cette semaine-là. Aujourd'hui la "nouvelle-née", a bien grandi, (se) pose de toutes autres questions, et interroge d'elle-même la possibilité de commencer à se séparer, et d'espacer nos rencontres. Et je suis d'accord, c'est juste.

(Elle n'a pas tout à fait fini de grandir cependant ; avant une séparation d'un mois pour des raisons professionnelles, elle a évoqué Zou le petit zèbre, un album pour enfants dans lequel ses parents lui préparent une boîte à bisous pour chaque jour d'absence. :-))