Ce qui n'a pas été nommé, mais qui est profondément apaisant et réparateur pour moi, c'est la reconnaissance implicite de ma qualité - dans tous les sens du terme - de soignante, par un pair dont je respecte la parole - par un père symbolique (qui ne joue pas à l'être dans je ne sais quelle séduction) mais qui occupe cette place par ce qu'il incarne et par ce qu'il transmet, justement.
To care : j'aime ce mot, qui dit à la fois la précaution, l'attention, la responsabilité, le souci, l'importance, le soin. Care box : un néologisme pour quelque chose comme, boîte à attention (littéralement en anglais imaginaire, trousse de secours).
07 mai 2025
Transmission
Ce qui n'a pas été nommé, mais qui est profondément apaisant et réparateur pour moi, c'est la reconnaissance implicite de ma qualité - dans tous les sens du terme - de soignante, par un pair dont je respecte la parole - par un père symbolique (qui ne joue pas à l'être dans je ne sais quelle séduction) mais qui occupe cette place par ce qu'il incarne et par ce qu'il transmet, justement.
08 avril 2025
Sourire et pleurer
Parfois tellement de gravité, de confiance, de profondeur, de sourires et de larmes dans une seule matinée de ce boulot... La première a déposé son souhait profond de pouvoir un jour confier à un homme qu'elle rencontrerait la totalité de son histoire aux multiples traumatismes sans que cela ne bouleverse l'équilibre de la relation ; en attendant, c'est dans la sécurité du cabinet qu'elle en a déployé le cours - sans doute encore bien plus complexe que ce qui a été évoqué. Quelques jours après : Je voulais vous faire un message mais je n’ai pas osé, je voulais aussi être certaine que certains démons étaient partis. Un grand merci.
La seconde a égrené les thèmes de la honte - la nôtre ou celle que l'on hérite de nos parents, les questions des transfuges de classe, les échecs réels ou vécus comme tels, l'impression de ne jamais être à sa place - dans le bon pays, la bonne langue, le bon milieu, la bonne carrière. Mais aussi la suspicion peut-être d'un abus oublié dans la prime enfance, qui viendrait frapper à la porte sous forme de cauchemars récurrents, et au travers de l'omniprésence de cette question de la honte, et d'une menace sourde, d'une insécurité précoce.
La troisième, au-delà de la période actuelle difficile pour elle, a partagé spontanément plusieurs expériences spirituelles profondes qui nous ont amenées sur la question de la psychothérapie transpersonnelle, de la possibilité d'une souffrance qui ne concernerait pas seulement notre petit moi mais qui résulte de la coupure d'avec ce qui en nous est plus grand que nous - et des chemins qui permettent de s'y relier.
Le quatrième... a eu le bon goût d'oublier sa séance, et je l'en remercie - bouleversée, ravie, épuisée, et possiblement incapable de m'engager plus dans la relation ? Non - je sais que j'en aurais trouvé les ressources, mais, à quel prix, ces jours-ci ?
04 avril 2025
Santé mentale
La vie est trop courte
pour souffrir sans remède
se ramasser sans demander de l'aide
la vie est trop courte
pour la vivre à demi
devenir son propre ennemi...
Jeanne Cherhal, qui chante... son traitement anti-dépresseur.
Et je me suis déconnecté avec cette idée que ça allait aller. Vraiment.(...) Ca va pas forcément aller, mais on VA y aller (...). Moi j'ai toujours voulu que la vie soit 20/20, j'attendais le moment où ça allait s'aligner pour que ça devienne 20/20 mais je crois que c'est en acceptant que ce soit toujours 12 qu'en fait on se retire la pression de la note.
Panayotis Pascot, cité par deux patients cette semaine.
Et puis Nicolas Demorand, qui assume un matin pas comme les autres sa souffrance psychique devant des millions d'auditeurs "Je suis malade mental dans un monde qui ne sait pas ce qu'est la maladie mentale. Qui pense, d'ailleurs, que ce n'est pas une maladie (...). La maladie mentale, sauf cas extrême, reste prise dans un nuage de mépris, de déni et de morale", écrit-il dans son bouleversant petit livre Intérieur, nuit.
Voilà - ça bouge, je crois. Et ça ouvre enfin la parole. C'est beau.
22 mars 2025
Ordonnance de joie
C'est une question récurrente dans les métiers du soin, la façon dont nous nous chargeons de toutes sortes d'émotions qui ne nous appartiennent pas. Cette semaine, une drôle de dame m'a offert une image intéressante là-dessus - l'idée que cela repose aussi sur une croyance, celle qu'accueillir/aimer l'autre impliquerait de garder tout ce qu'il nous donne - un peu comme on se sentirait obligé de garder le cadeau moche offert par un proche. Elle dit, vous pouvez retenir l'information, sans garder la charge émotionnelle (ou lire le livre puis le faire circuler, autre comparaison intéressante).
Et elle a lourdement insisté sur ces idées vaguement révolutionnaires : votre joie n'est pas un détail / votre vie compte autant que celle des autres. Ah, oui ? Une invitation à la joie - pas uniquement au plaisir, mais à la joie, sans enjeu et paisible - quelle que soit la forme qu'elle prenne mais un peu chaque jour. A votre façon à vous - une façon de vous nourrir/recharger par vous-même et pour vous-même. Laissez venir. Créez - pas sur un mode mental ou technique mais spontané. Laissez de la place à l'espièglerie, à la magie, à la légèreté - à ma Fée Clochette intérieure donc. Ça me va très bien, comme prescription !
Ce qui m'aide et me connecte aussi, c'est la culture - récemment, Carmen., époustouflante mise en abîme - féministe de surcroît - sur la création de cet opéra qui fête ses 150 ans, Nos assemblées, jolie réflexion - terriblement d'actualité - sur les façons de faire peuple, On ira, film léger et profond sur la liberté de choisir sa fin de vie, et j'attends avec impatience Coup fatal (musique baroque et danse "sapée" congolaise), mardi prochain, qui devrait être un concentré d'énergie atypique et de bonne humeur. Ah, et puis il y a eu aussi Histoire de Souleymane, bouleversant, et Flow, très joli...
07 mars 2025
Ouvrants
31 janvier 2025
Ca recommence...
...la fatigue, la saturation, l'envie de changer de métier. Les mois d'hiver sont rudes, et je redécouvre à chaque fois non seulement combien il est difficile de l'exercer quand on est soi-même chancelant, mais surtout, ce qu'il implique de responsabilités.
J'oublie qu'heure après heure, notamment auprès des étudiants, ma disponibilité doit rester suffisamment constante pour ne pas passer à côté d'un signal faible ; et mon énergie suffisamment présente pour ensuite activer les réseaux, trouver des interlocuteurs dans un système de soins sinistré.
Et puis je me retourne, et je regarde les deux dernières semaines : un accompagnement aux urgences psychiatriques ; une gamine isolée dont l'anxiété lui fait faire des crises de tétanie terrifiantes - appel au secours d'une structure jeunes adultes dans la foulée, ouf, elle est prise ; une troisième qui flirte avec la prostitution et que je raccroche à une consultation externe où elle est déjà connue ; et cet autre dont le délire enfle sans pour le moment donner prise à une possibilité de soins, et celui-ci dont la compliance à toutes nos propositions masque mal le désespoir toujours tapi derrière son sourire poli.
Quelquefois sans qu'il y ait de drame en cours, il y a juste l'agilité mentale nécessaire pour passer d'un doctorant en informatique quantique à une étudiante en sciences de l'Antiquité qui apprend l'araméen, l'hébreu et l'égyptien, d'un futur chef d'orchestre à une jeune Martiniquaise qui travaille sur le post-colonialisme - en visio depuis Boston.
Toutes choses qui sont un magnifique cadeau et un privilège en temps normal. Mais là, comment dire, la batterie est un peu faible. Et parfois j'ai peur. Peur de passer à côté. Peur d'être trop près, plus à la bonne distance. Peur d'être trop loin, de survoler, de me défendre pour ne plus entendre. Peur d'oublier que ces jeunes adultes ont l'âge de mes enfants, peur de ne le savoir que trop. Bref, vivement les vacances.
10 décembre 2024
Maurice
Ses proches l'affublaient d'autres surnoms affectueux, mais plus la fin approchait et plus il insistait pour être appelé par son prénom, Maurice. Il était venu suite à une rechute de cancer, d'abord pour répondre à la demande inquiète d'une de ses filles, et puis il est resté.
Il est resté pour évoquer tranquillement sa mort avant que sa famille ne soit prête à l'entendre, son souhait d'arrêter les traitements, et ses retours d'espoir quelquefois. Il est resté, parce que nous nous sommes vraiment rencontrés, au-delà du cadre de plus en plus précaire des séances - d'abord au cabinet, puis à distance en visio lorsqu'il a été hospitalisé à domicile. Nous avons évoqué les drames de son histoire familiale, sa compagne et ses filles dont il parlait avec une tendresse rieuse. Mais aussi ses questionnements sur le sens de sa maladie et son rapport à celle-ci, sa représentation de la mort, la médecine chinoise et les spiritualités orientales, et sa gratitude pour la veille attentive de ses amis. La prise en charge de la douleur semblait très ajustée, et lui restait très pudique sur les limitations croissantes imposées par son état.
La dernière fois que je l'ai "vu", il portait une belle chemise blanche, et il m'a annoncé qu'il venait de se marier - chez lui, avec un officier d'état-civil dépêché là pour circonstances exceptionnelles. Rien de romantique cependant, juste le souhait de protéger sa compagne de toujours en accomplissant une formalité qu'ils n'avaient pas jugée nécessaire jusque là.
Il a annulé le rendez-vous suivant, trop fatigué, et les deux messages suivants ont été envoyés par son épouse, le premier pour m'annoncer son hospitalisation, et le second son grand départ.
Nos entretiens sont restés jusqu'au bout sous le signe d'une distance amusée, d'un profond respect réciproque, et de quelque chose de l'ordre d'une reconnaissance mutuelle - l'accompagner a été un privilège, et je me suis autorisée à le lui dire. Je pense que j'ai reçu de lui autant que ce que j'espère lui avoir apporté... Lorsque je pense à lui, je vois ce petit garçon métis sur le dos d'une tortue de mer de Guyane partir vers l'horizon... et je souris.
26 septembre 2024
Folie dure
C'est fou oui. J'ai beau avoir des dizaines (centaines ?) d'heures de travail sur moi à mon actif, j'ai beau savoir que dans ces brusques montées de chagrin incoercible se jouent non seulement le présent immédiat, mais toute la solitude de l'enfance face à l'abandon de l'un, à la dépression de l'autre, ici parfaitement combinées, condensées comme diraient les psys, je plonge quand même.
Largement aidée par l'absorption heure après heure des mêmes détresses archaïques chez ceux que j'accueille, sans plus avoir ce lest interne du - je suis celle qui aime et qui est aimée, voir post suivant. A chaque étape douloureuse de ma vie, je redécouvre non pas l'Amérique mais à quel point il est impossible de faire ce métier sans s'enraciner dans un amour. Et je le fais quand même - quelle est l'alternative ?
17 juillet 2024
Témoin
Parce que le rythme est moins dense, je retrouve beaucoup de joie à accompagner les patients ces temps-ci, et la conscience que c'est un privilège d'être ce témoin de leurs vies. Témoin de cette femme de 75 ans, confrontée à des deuils multiples et transgénérationnels, mais qui dit aujourd'hui - j'ai (re)trouvé de la légèreté, quelque chose de l'enfance qui n'avait pas pu se vivre, et je suis contente : je mourrai en étant vraiment moi-même.
Témoin de de cette autre, à l'histoire fracassée mais qui a fait mentir nombre de déterminismes pour se forger une route professionnelle pleine de sens - j'ai une profonde admiration pour son parcours et pour son intelligence. Tellement en difficulté pour donner sa confiance, mais qui me fait l'honneur de me l'accorder, permettant ainsi une émouvante alliance thérapeutique.
Témoin de cette jeune femme franco-tunisienne, jeune maman, artiste, qui vient interroger notre rapport à l'intime, à la sexualité, aux conditionnements - héritière de deux cultures, de deux époques, de l'émergence du mouvement #metoo, lectrice des textes féministes et LGBT, il y a tellement de richesse dans ses identités multiples, apparemment contradictoires, dans ce travail de l'émergence d'une individualité singulière, portée par sa création.
Ou témoin de ce monsieur en grave récidive de cancer, qui m'interroge en riant sur, à quand la fin de la lune de miel thérapeutique ? Ancien psy lui-même, il n'est pas dupe de ce qui s'engage dans le transfert ; mais il vit aujourd'hui sur un plan spirituel où il a depuis longtemps endossé la responsabilité de sa vie, traversé sa part d'ombre. Alors je ne pense pas non, que notre rencontre sera autre chose qu'un échange d'humain à humain, un endroit où parler de la mort possible et de la vie toujours là, autrement qu'avec ses proches anxieux. Et c'est parfait ainsi.
28 juin 2024
Cadeau
Elle est vraiment très chouette, cette étudiante que je suis de loin en loin depuis trois ans. Et malgré l'intermittence de nos rencontres - il s'agit du service de prévention et non d'un cadre thérapeutique - je la vois faire son miel de ces entretiens, et se souvenir avec une acuité étonnante de nos échanges. Aujourd'hui, elle m'a fait un précieux cadeau en me confiant que non seulement elle m'avait adressé nombre de ses camarades, mais qu'ils avaient tous apprécié nos rencontres. Quelle jolie façon de terminer mon année !
27 mai 2024
Poupées russes
Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur, notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toutes limites. C’est notre propre lumière et non notre obscurité qui nous effraye le plus.
Nous nous posons la question: “Qui suis-je, moi, pour être brillant, radieux, talentueux et merveilleux?” En fait, qui êtes-vous pour ne pas l’être ? Vous êtes un enfant de Dieu. Nous restreindre, vivre petit ne rend pas service au monde.
L’illumination n’est pas de nous rétrécir pour éviter d’insécuriser les autres. Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire de Dieu qui est en nous. Elle ne se trouve pas seulement chez quelques élus, elle est en chacun de nous, et au fur et à mesure que nous laissons briller notre propre lumière, nous donnons inconsciemment aux autres la permission de faire de même. En nous libérant de notre propre peur notre puissance libère automatiquement les autres.
Marianne Williamson
03 mars 2024
Prendre soin
Bien sûr, il s'agit de moments rares, et pas du tout de mon quotidien professionnel. Et, en l'occurrence, de deux patients que j'ai suivi sur des années, et qui m'ont je crois appris autant que ce que je leur ai apporté. Au-delà du cadre, des rencontres.
Le premier est revenu hier pour une séance de clôture profondément émouvante, nommer ceci : oui, je lui ai sauvé la vie le jour où je l'ai fait hospitaliser en urgence. S'en est suivi un échange très fort sur le lien thérapeutique, ce drôle de rapport asymétrique où l'un ne sait rien de l'autre, et qui peut pourtant être un repère décisif, une rencontre qu'on n'oubliera pas. Sur ce métier où l'on accueille avec ce que l'on est, où l'on ne travaille bien qu'en acceptant d'être touché, ému par l'autre. Sur la juste distance thérapeutique, qui n'est ni amitié ni froide neutralité, mais accueil et pas de deux, travail d'équipe. Ex-enfant profondément blessé et autrefois amer, il s'apprête aujourd'hui à fonder une famille, et cultive son jardin au sens propre comme au sens figuré. "J'ai beaucoup grandi", me dit-il.
Pour la seconde, j'ai aménagé le cadre comme pour personne d'autre avant elle, m'adaptant à ce que j'analyse aujourd'hui comme les besoins d'un nouveau-né entre la vie et la mort. L'espace, le temps, le contact pendant et entre les séances, il n'y a rien qu'elle ne m'ait fait interroger, ajuster, et transformer. Jusqu'à le mettre en œuvre dans la réalité, lors d'une séance par téléphone au décours d'une hospitalisation pour une tentative de suicide, lors de laquelle nous ne savions pas si elle allait survivre à son geste. Séance dont elle dit aujourd'hui que c'est le seul contact humain ressenti comme réel qu'elle ait eu pendant cette semaine-là. Aujourd'hui la "nouvelle-née", a bien grandi, (se) pose de toutes autres questions, et interroge d'elle-même la possibilité de commencer à se séparer, et d'espacer nos rencontres. Et je suis d'accord, c'est juste.
(Elle n'a pas tout à fait fini de grandir cependant ; avant une séparation d'un mois pour des raisons professionnelles, elle a évoqué Zou le petit zèbre, un album pour enfants dans lequel ses parents lui préparent une boîte à bisous pour chaque jour d'absence. :-))
22 février 2024
Humilité
La vérité, c'est que je ne sais pas. Et que je suis profondément perplexe (et parfois vaguement envieuse) lorsque j'entends des collègues thérapeutes être si affirmatifs quant à leurs théories, leurs méthodes et leur efficacité. Et déjà par principe, s'ils se réclament d'une seule, je fuis. Rien de plus terrifiant que les monomanies théoriques, l'intégrisme conceptuel, lorsqu'il s'agit de l'humain.
Pour ma part, ma conception fondamentale reste celle énoncée par Victor Raimy en 1949 : "La psychothérapie est une technique indéfinie, appliquée à des situations imprécises, avec des résultats imprévisibles. Pour l’acquisition de cette technique, une formation rigoureuse est souhaitable."
Lorsque la souffrance d'un patient diminue, ou lorsque je le vois évoluer dans ses choix et dans sa vie, qu'il s'agisse d'un suivi bref ou d'un accompagnement à long terme, je peux espérer (et parfois raisonnablement penser) y avoir contribué. Il m'arrive d'en être à peu près sûre, et aussi que cela soit confirmé par les principaux intéressés.
Mais restons modestes : je pense que la vie est thérapeutique. Que les rencontres, l'amitié, l'amour, et même parfois les accidents de parcours sont thérapeutiques. Que pour ceux de mes patients qui bénéficient de prises en charge complémentaires, qu'elles soient psychiatriques ou médicales, ou moins balisées - kinésiologues, naturopathes, mediums et autres chamanes, je serais bien en peine d'attribuer un "coefficient de guérison" à l'ensemble de leurs expériences vécues.
Formée à différentes approches, hantée par la certitude de l'être toujours insuffisamment (et c'est vrai : je ne suis pas une théoricienne), ma seule conviction aujourd'hui est celle que ce qui soigne avant tout, toutes théories confondues, c'est le lien. La qualité de l'alliance thérapeutique, autrement dit, de la présence humaine incarnée. L'expérience que je me reconnais le plus volontiers aujourd'hui, c'est celle de l'être-là. Ainsi que la liberté croissante dans l'expression de mes intuitions, dans le fond comme dans la forme.
Pas une technicienne, mais une tisserande, une passeuse, une passerelle. Et à cet endroit-là, il y a parfois des petits moments de grâce. D'inspiration. Un de mes maîtres parlait de cet instant où l'on s'efface, un autre de la transe du thérapeute, un autre encore d'un artisanat - je crois qu'aujourd'hui les seules formations qui vaillent - pour moi - sont celles qui m'amènent là.
16 novembre 2023
Rencontre
Peut-être suis-je aussi d'autant plus touchée qu'une part de sa difficulté à vivre provient du fossé créé par l'incommunicabilité de son expérience de vie à des jeunes gens de son âge, lui qui a été confronté si intimement à la question de la maladie et de la mort dès ses premières années. Et qu'ici, dans ce lieu de passage, quelque chose peut en être dit. Même si, comme je l'ai lu quelques jours plus tard à propos d'un tout autre contexte "Ceux qui ont vécu (...) n'ont besoin d'aucune explication ; quant aux autres, ils ne peuvent ni comprendre ce que les survivants ont éprouvé alors, ni ce qu'ils éprouvent aujourd'hui."
15 septembre 2023
Bibliophile et papivore
Après le temps des vacances, reviennent l'envie et l'amour de mon métier, cette curiosité insatiable pour l'être et ses méandres. Mais avec à nouveau l'envie et l'énergie d'écrire, de lire et de relire.
C'est fou, le plaisir que je retrouve à prendre le temps "d'écrire mes patients", que j'avais perdu quasi-complètement à l'époque du Covid, comme si le média téléphone nous désincarnait trop pour que j'aie encore cet élan après la séance : prendre des notes.
A lire, au hasard ou plutôt pas du tout au hasard - une piste suggérée en amène une autre, de nouveaux patients apparaissent qui viennent confirmer la nécessité d'approfondir telle ou telle de de ces thématiques (ça marche aussi avec les impasses des patients de longue date), les synchronicités s'accumulent et montrent la voie.
Et dans le nouveau je retrouve l'ancien - ces livres me renvoient à des lectures précédentes, que je relis autrement aujourd'hui, que je retrouve avec joie aussi. Comme si depuis mes débuts les ouvrages qui ont survécu à mes différents déménagements témoignaient d'une cohérence, d'un chemin de plus en plus plein.
Alors - prochaine étape, je vais proposer un partage de lectures à mes collègues, comme un rendez-vous à la fin de nos réunions - quelques minutes pour partager, prêter, recommander. Pour ne pas laisser dormir dans les bibliothèques de chacune les ouvrages qui pourraient stimuler la réflexion, tout en enrichissant nos liens (dis-moi ce que tu lis...). Des bouquins psy, mais pas seulement - tant la fiction aussi nourrit notre métier.
01 septembre 2023
Belle jeunesse
Amphi de rentrée à l'ENS, phrase attrapée au vol dans le couloir : "Mon but c'est de maximiser les chances de bonheur dans la société."
06 juillet 2023
Un lieu sûr
Depuis la première fois que j'ai fait cet exercice, mon lieu sûr, c'est l'avant d'un voilier en navigation. Il n'y a pas plus complexe ni plus apaisant pour moi en termes de sensorialité. Je vois : le bleu de la mer et celui du ciel, la voile gonflée, l'écume qui déferle et la petite girouette en haut du mât. J'entends - les vagues qui se coulent le long de la coque, le vent qui siffle à mes oreilles, le cliquetis des filins contre les haubans. Je sens la chaleur du soleil, la caresse de l'air, le contact du teck sous ma main. Mais surtout, je ressens la danse du bateau sur les vagues, le mouvement dans mon corps, cette berceuse lente et sensuelle, et, ce que j'aime par-dessus tout, cette suspension du temps et de la pensée. Enfin les mots s'arrêtent, le mental fait silence... Juste : être.
Il y a aussi des souvenirs magnifiques, le lien aux forces de la nature et à leur pouvoir de régénération, la présence d'un absent, la confiance et l'abandon aussi ; si je suis là, c'est que j'ai passé la main, confié la barre : je peux me reposer, sur l'onde et sur l'autre. Juste : respirer.
Cette année j'ai réalisé aussi que ce rythme coulé de l'étrave qui fend les flots, au-delà d'être hypnotique, avait aussi quelque chose de profondément érotique. Une vague lente et cyclique qui résonne loin au creux du ventre au portant, une sensation de puissance à peine domptée au près, et je me suis surprise à me poser la question : suis-je la vague ou bien le voilier, le mouvement ou bien l'accueil ? Les deux mon capitaine - comme dans l'amour, les frontières s'effacent, les questions n'ont plus cours. Juste : sentir.
25 mai 2023
Juste cet après-midi
Juste cet après-midi, il y a eu J, qui a perdu si brutalement sa meilleure amie, sa sœur de coeur élue, et sa joie de vivre. Dont la peine indicible croît avec cette absence qui n'en finit plus de s'imposer, et s'immisce dans chaque souvenir. J'imagine et elle me le confirme, les jumelles de Demy, qui dansent et chantent dans un monde arc-en-ciel - et puis Catherine sans Françoise...
Et puis V, une étudiante ukrainienne dont le frère est en ce moment sur la ligne de front, et qui présente pour sa fin d'études le projet d'un centre de soins psychiques à destination des traumatisés de guerre inspiré du kintsugi : dans un bâtiment éventré par un missile, ne pas chercher à restaurer à l'identique mais utiliser l'espace ainsi créé pour proposer de nouvelles circulations, un tissu cicatriciel visible mais créateur de nouveaux possibles.
Et puis A, livrée à elle-même depuis toujours, poly-consommatrice à quinze ans, sous emprise à dix-sept, submergée par l'angoisse aujourd'hui - logorrhéique, insomniaque, infiniment fragile et pourtant si résistante, résiliente. Une maturité bien trop précoce aussi - je la vois comme un petit esquif dans la tempête, sur une mer sombre dont elle seule sait ce qui se dissimule dans les abysses.
Et puis L, ce petit génie mathématique chinois à l'anglais traînant avec qui je poursuis depuis presque trois ans un dialogue intermittent (car à qui adresser cet ovni ?), qui gagne en profondeur à chaque rencontre, et révèle un questionnement existentiel et un humour insoupçonnables autrefois. Et je vois progressivement émerger du gamin terrifié de nos tout premiers échanges autrefois un jeune adulte qui revendique de plus en plus son indépendance de pensée et d'action.
Et encore J, une autre intelligence affûtée autant que perturbante, qui tente désespérément de trouver le chemin qui lui permettrait de ressentir une émotion, quelle qu'elle soit, sans pour cela avoir à se plonger dans des situations où la souffrance, la sienne ou celle de l'autre, parvient seule à lui donner la sensation d'être un peu vivante.
Chez tous, la rapidité de pensée, la lucidité sont vertigineuses. Et le désespoir, tout autant. Leur intelligence, leur beauté, leur jeunesse ne les sauvent de rien, les sauveront peut-être. Ils sont incroyables. Ils sont bouleversants.
30 janvier 2023
Air-Bag
En supervision, je râle après la perte de temps voire la perte de chances que peut représenter, pour un patient, un premier contact avec un psychanalyste caricatural qui l'abandonne à la solitude du divan et se contente de faire hum hum, ce sera tout pour aujourd'hui, au revoir. Et j'aime bien la réponse de mon interlocutrice qui me dit, moi quand je les vois arriver après une première mauvaise expérience, je ne ressens pas de colère, mais de la joie devant l'élan qui pousse cette personne à continuer à chercher de l'aide, à garder foi en la possibilité d'une parole.
De la même façon, lorsque je lui partage mon ras-le-bol d'avoir parfois le sentiment d'éponger toute la misère du monde, elle me renvoie aussi à la joie de voir dans le long terme émerger la vitalité, la créativité chez les patients, et la façon dont cela sollicite aussi ces dimensions chez le thérapeute. Et je suis d'accord, bien sûr !
C'est juste qu'actuellement... je suis un peu fatiguée.
28 janvier 2023
Cruche et fière de l'être !
Ce matin, j'ai eu l'insigne honneur d'être invitée dans le groupe des cruches, dont voici le manifeste :
L’art d’être une cruche
La cruche expose sa rondeur et sa stabilité. Certaines masquent leur contenu comme celles en terre permettant maturation dans leur ventre abrité dans l’ombre, tandis que d’autres laissent la lumière traverser leur corps de verre exposant leur intérieur en toute transparence et infusant ainsi la clarté céleste.
La cruche a une grande ouverture. Ouverture à ce qui peut la remplir. Son espace intérieur accueillant sans réserve ce qui vient la remplir, parfois même à en déborder. La cruche distribue avec générosité ce qu’elle a reçu sans déverser à tort et à travers grâce à son bec verseur courbé de douceur et à sa poignée qui la rendent ergonomique et saisissable.
La cruche est concave et non vide, réceptacle de fluides nourrissants. Elle a cette capacité à reverser ce qui l’a remplie pour se remplir à nouveau et redistribuer légèrement imprégnée de ce qui l’a déjà traversée, infusant à son tour tel un tonneau ancien redistribuant un peu de ses essences.
Sa stabilité donne un socle solide aux fluides instables. Elle est contenante mais non « retenante ». La cruche se doit d’être ouverte, prête à accueillir généreusement ; si elle fermée hermétiquement, elle n’est plus cruche, elle devient un pot plein de vide, ou bien remplie sans espace intérieur. Ce n’est plus une cruche.
Grande ou petite, la cruche a des formes et tailles diverses mais toutes ont en commun aussi la simplicité.
Tellement cruche !
Annabelle C.