28 octobre 2018

Chagrin d'amour

C'était ma Cité bien-aimée. Sans aucun doute l'expérience professionnelle que j'ai le plus investie - à ce jour - le lieu et surtout le projet pour lequel j'aurai été le plus fière de travailler. Une utopie - faire se rencontrer les élites de demain, toutes nations et disciplines confondues. J'y aurai donné du temps, de l'énergie, de la créativité, de la disponibilité - sans compter et sans regrets.

Et fait de belles rencontres, à commencer par celle d'une grande dame qui a su me faire confiance et me donner la possibilité de grandir en même temps que les nombreux projets que j'ai initiés là-bas.

Aujourd'hui c'est une histoire si tristement banale - l'arrivée d'une nouvelle hiérarchie qui veut imprimer sa marque sans prendre le temps de saisir les enjeux, l'illusion de pouvoir faire plus avec moins, la fragmentation des tâches et la négation des liens. Couper les têtes qui dépassent, surtout si elles pensent trop bien, pour manager par la peur et dissimuler sa propre incompétence. Piètre calcul, vision court-termiste, drame ordinaire.

Aujourd'hui j'ai tous les symptômes d'un vrai chagrin d'amour, consécutif à une rupture aussi brutale que traumatique. Insomnies, ruminations obsédantes, accès de rage ou de chagrin, incompréhension, incrédulité. Anxiété aussi - moitié de mon temps, trois quarts de mes revenus, pas de chômage. La perte d'un repère qui pour moi était bien plus que professionnel, depuis six belles années, et l'incertitude sur l'avenir - comment repenser celui-ci ? Trouver l'énergie d'y penser déjà, parce que les conséquences sont immédiates, quand je suis encore en état de choc ?

Avant de dire le premier mot, penser les possibilités d'avoir le dernier.

17 octobre 2018

Sagesse marine

Quand on est en mer, on raisonne pas pareil. C'est-à-dire qu'on est obligé de prendre ce que la nature vous propose. La force des vagues, la direction du vent, tout ça vous n'êtes pas maître du truc. Donc vous prenez ce que la nature vous donne, et avec ça, vous essayez de fabriquer un truc qui vous amène là vous voulez.

Isabelle Autissier dans le Grand Atelier

Peut-être c'est ça, il faudrait avoir la même sagesse à terre qu'en mer. Parce que de fait, nous ne maîtrisons pas grand-chose - ni notre naissance, ni notre mort, ni notre corps, ni ce monde gouverné par des impératifs de plus en plus insensés, ni la volonté d'autrui, ni les éléments. "Donc vous prenez ce que la vie vous donne, et avec ça, vous essayez de fabriquer un truc qui vous amène là où vous voulez." - ça fonctionne très bien aussi, non ?

14 octobre 2018

Dernière saison

Partir.
Préparer son départ.
Partager son départ.
Ne pas partir, rester avec vous, partager ce moment où nous ne sommes pas partis, avec vous.
Dire au revoir.
Une dernière tournée, une dernière saison (...)
Par essence, l’éternité qui nous est donnée est celle de la lecture, la vision, le partage d’un poème.
Quelle qu’en soit sa forme, il peut être un vol de freux sur un champ de blé.
Le regard d’un renard sur le chemin de la promenade, une goutte d’eau dans une feuille de rhubarbe, pour reprendre des images fondatrices de notre histoire.
Et puis les poèmes des humains, les livres, les bibliothèques. L’art et la vie.
La vie vivante, consciente de vivre, présente.
Etre présent.
Nous serons présents.
Vous aussi (...)

Pour le Cirque Plume
Bernard Kudlak

08 octobre 2018

Vivant et espérant

"Vous ne pourrez jamais vous débarrasser de l'amour. Nous venons de là, du lien, nous naissons encordés comme les alpinistes, attachés à un ventre, d'une femme, des tripes, d'une voix, nous venons du deux (...). Et même si votre mère vous avait rejetés, abandonnés, ce que j’appelle ici amour, est la possibilité d'un souffle qui a fait de vous un être vivant plutôt que mourant, vivant et espérant."

Anne Dufourmantelle citée par Nancy Huston dans Remèdes à la mélancolie, et celle-ci ajoute :  

...c'est très fort pour quelqu'un comme moi qui a effectivement été abandonné par sa mère (...) néanmoins elle a raison - elle a laissé quelqu'un de vivant et d'espérant (...) et j'ai toujours su, malgré mes tentations nihilistes plus tard, j'ai toujours su quelque part que cette chose-là était vraie, et importante, que nous sommes parce que vous êtes. 

Ce que j'ai transmis cette semaine à une de mes patientes en lui proposant d'écouter l'émission dans son entier, pour ce cadeau (mère mélancolique, dépression post-partum etc.) : "Un souffle qui a fait de vous quelqu'un de vivant plutôt que mourant, vivant et espérant." C'est magnifique non ? Et c'est une telle possibilité de sortir de la plainte pour aller vers la vie...

01 octobre 2018

Journal

(...) Tout ce qui reste de ma vie ce sont les notes. J'écris un journal intime pour lutter contre l'oubli, offrir un supplétif à la mémoire. Si l'on ne tient pas le greffe de ses faits et gestes, à quoi bon vivre : les heures coulent, chaque jour s'efface et le néant triomphe. Le journal intime, opération commando menée contre l'absurde.

J'archive les heures qui passent. Tenir un journal féconde l'existence. Le rendez-vous quotidien devant la page blanche du journal contraint à prêter meilleure attention aux événements de la journée - à mieux écouter, à penser plus fort, à regarder plus intensément. Il serait désobligeant de n'avoir rien à écrire sur sa page de calepin. Il en va de la rédaction quotidienne comme d'un dîner avec sa fiancée. Pour savoir quoi lui confier, le soir, le mieux est d'y réfléchir pendant la journée.

Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie