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08 juin 2025

Comment il sait tout cela, lui ?

Elle pense à tout, tout le temps.

Elle pense à tout, comme si le monde dépendait d’elle, comme si le quotidien des autres reposait sur ses épaules. Elle se dit que si elle lâchait, ne serait-ce qu’un instant, tout s’effondrerait. Alors elle ne lâche rien, jamais.

Elle tient, elle soutient, elle retient.

Elle s’occupe des rendez-vous, des devoirs, des courses, des Post-its sur le frigo. Elle pense à ce qu’il faut faire, mais aussi à ce qu’il ne faut pas faire, pas dire - pour ne pas déranger, pour rester cette femme qui assure, qui pense à tout, et qu’on oublie de remercier justement parce qu’elle le fait trop bien (...).

Elle pense à cette colère qu’elle maquille en bonne humeur pour ne pas contrarier.

Elle pense à tout ce qu’elle ne dit pas, à tout ce qu’elle ne demande pas, à tout ce qu’elle attend en retour – qu’on remarque, qu’on prenne le relais, qu’on la devance peut-être, qu’on la libère enfin d’avoir toujours à penser pour tout le monde sauf elle.

Mais elle ne dit rien, parce que dire, ce serait se plaindre, ce serait expliquer, ce serait affronter ce regard-là : celui qui ne comprend pas pourquoi elle est épuisée alors qu’elle n’a « rien fait de spécial ».

Et pourtant, elle fait. Elle fait sans qu’on voie. Elle pense sans qu’on sache. La nuit, quand le monde dort, elle le porte en serrant les dents…

Il lui arrive d'imaginer ce que ce serait de ne plus rien penser, de s'asseoir sans lister dans sa tête, de ne plus faire l'horloge, la boussole affective, le moteur humain qui tourne pour les autres jusqu'à dérailler.

Et malgré tout elle continue. Elle continue parce qu'elle aime, parce qu'on compte sur elle, parce qu'elle est devenue cette femme qu'on admire pour sa force, sans voir combien cette force est faite de milliers de pièces fragiles.

Elle pense à tout, tout le temps. Et elle aimerait juste qu'on pense à elle avec la même tendresse, le même dévouement. 

Elle espère qu'on la voie pour ce qu'elle est, et pas pour ce qu'elle fait. Elle espère qu'on la tienne. Qu'on la soutienne. Qu'on la retienne. Qu'on lui tire la chaise et qu'on lui dose :"Repose-toi. Je suis là."

Valentin Auwercz, alias ptitcrayon

22 mars 2025

Ordonnance de joie

C'est une question récurrente dans les métiers du soin, la façon dont nous nous chargeons de toutes sortes d'émotions qui ne nous appartiennent pas. Cette semaine, une drôle de dame m'a offert une image intéressante là-dessus - l'idée que cela repose aussi sur une croyance, celle qu'accueillir/aimer l'autre impliquerait de garder tout ce qu'il nous donne - un peu comme on se sentirait obligé de garder le cadeau moche offert par un proche. Elle dit, vous pouvez retenir l'information, sans garder la charge émotionnelle (ou lire le livre puis le faire circuler, autre comparaison intéressante). 

Et elle a lourdement insisté sur ces idées vaguement révolutionnaires : votre joie n'est pas un détail / votre vie compte autant que celle des autres. Ah, oui ? Une invitation à la joie - pas uniquement au plaisir, mais à la joie, sans enjeu et paisible - quelle que soit la forme qu'elle prenne mais un peu chaque jour. A votre façon à vous - une façon de vous nourrir/recharger par vous-même et pour vous-même. Laissez venir. Créez - pas sur un mode mental ou technique mais spontané. Laissez de la place à l'espièglerie, à la magie, à la légèreté - à ma Fée Clochette intérieure donc. Ça me va très bien, comme prescription !

Ce qui m'aide et me connecte aussi, c'est la culture - récemment, Carmen., époustouflante mise en abîme - féministe de surcroît - sur la création de cet opéra qui fête ses 150 ans, Nos assemblées, jolie réflexion - terriblement d'actualité - sur les façons de faire peuple, On ira, film léger et profond sur la liberté de choisir sa fin de vie, et j'attends avec impatience Coup fatal (musique baroque et danse "sapée" congolaise), mardi prochain, qui devrait être un concentré d'énergie atypique et de bonne humeur. Ah, et puis il y a eu aussi Histoire de Souleymane, bouleversant, et Flow, très joli...

15 mars 2025

"Emerveillable"

C'est ma grande aptitude. Comme on disait "apte au service militaire", je suis apte à l'émerveillement. En quête. Je me fabrique des étonnements heureux. Je veux toujours voir apparaître le soleil à travers les arbres. 

Je suis sans cesse en recherche de lieux, d'instants qui vont déclencher ma capacité d'enchantement. C'est mon savoir-vivre. Je jubile fréquemment. Ma capacité jubilatoire peut naître sur un coup de vent, sur le ronflement particulier de la mer. 

Certaines lumières m'enflamment. Alors je vibre. Mais ça peut être aussi bien le chant d'une alouette.

Pour un guetteur de ma sorte, il peut y avoir beaucoup de moments pleins de perfection absolue. J'ai l'oeil. Je me le suis fait.

Olivier de Kersauson
De l'urgent, du presque rien et du rien du tout

24 octobre 2024

Sourire

On n'est pas fort de sourire. Le véritable courage, c'est de faire en soi un espace à la peine. Un lieu immatériel où elle peut s'exprimer. L'autoriser à habiter le coeur et les pensées. Sans la laisser tout coloniser. Juste à sa place. A sa juste place. La vivre comme elle vient, quand elle vient (...). Son sourire d'aujourd'hui ne nie pas sa peine. Au contraire, il la révèle. Il dit la cohabitation des sentiments. Non pas la lutte de puissances que l'on croit s'opposer, mais leur compagnonnage apaisé. Elle peut vivre la joie parce qu'elle sait pleurer dans le noir. 

Anne-Dauphine Julliand, Ajouter de la vie aux jours

23 mars 2024

Aller vers la lumière

Je pense que le monde tient dans un équilibre, pour moi il y a autant d'ombre que de lumière sinon je pense que tout cela n'existerait pas. C'est aussi à nous ce travail à faire de vraiment d'aller voir notre lumière. Il y a le travail à faire sur l'ombre mais je dirais que le plus important...

On est une société où on cherche à guérir guérir guérir, mais je pense  que chercher la lumière, cultiver la lumière, parfois ça aide plus à guérir que de patauger dans quelque chose qui ne serait QUE "guérir, guérir" parce qu'en fait à ce moment-là vous vous envoyez un seul et même message : je veux guérir guérir ben c'est que je suis malade malade malade ! Donc peut-être que de cultiver la lumière, vraiment se désidentifier de soi-même, rejoindre cette part intérieure qui  est vraiment une présence-absence aimante, quand on goûte, quand on touche, quand on fait cette expérience, on est changé pour la vie ; et à ce moment-là, de surcroît, arrivent des guérisons par miracle.

Audrey Fella, interview Zeteo

Oui. C'est ce qui m'a fait passer de la psychanalyse, de sa fascination stérilisante pour le meurtre et l'inceste, de son goût grandiloquent pour la tragédie antique (en toute humilité) et pour le pire du pulsionnel en nous, à la psychothérapie relationnelle et transpersonnelle. 

22 février 2024

Sujet de philo


 Vrai ou faux ? Argumentez. (Vous avez quatre heures...)

27 décembre 2023

Lumilutine !

21 décembre 2023

Sacré

Il y a depuis la petite enfance jusqu’à la tombe, au fond du cœur de tout être humain, quelque chose qui, malgré toute l’expérience des crimes commis, soufferts et observés, s’attend invinciblement à ce qu’on lui fasse du bien et non du mal. C’est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain.

Simone Weil

07 décembre 2023

Dans un souffle

Ce qui compte c’est le spirituel, et le spirituel c’est le noyau sauvage, la pudeur affolée dont les religions ne sont qu’une piètre traduction, un apprivoisement.

L’esprit c’est le vent, les rafales de vent sur les dunes des phrases des livres saints. La grande, l’unique liberté. On voit passer l’esprit dans les yeux en flammes de quelques gitans, de quelques poètes, de nombreuses personnes simples et ignorées du monde, dont le rayonnement dans l’invisible est plus fort que celui d’une étoile à son apogée...

Est spirituel ce qui, en nous, ne se suffit pas du monde, ne s'accommode d'aucun monde. C'est quand le spirituel s'affadit qu'il devient du «religieux».

Je n'aime pas ceux qui parlent de Dieu comme d'une valeur sûre. Je n'aime pas non plus ceux qui en parlent comme d'une infirmité de l'intelligence. Je n'aime pas ceux qui savent, j'aime ceux qui aiment.

Christian Bobin
Autoportrait au radiateur

16 octobre 2023

Sur le bout de la langue

J'aime bien quand au hasard des lectures il y a des phrases qui me sautent aux yeux, me parlent au cœur. Cette semaine, dans l'interview d'une jeune chanteuse neuroatypique : "Je n'en reviens pas de me rendre heureuse". J'adore. Et ça me parle. Cette stupéfaction d'une capacité de bonheur autonome.

Et puis, dans un cartel d'expo : "Chez les Dogons, le même mot signifie tisser et parler. Et dessiner revient à tisser les mots entre eux mais aussi les associations d'idées, les affects, les interrogations, avec les pleins et les vides que le tissage produit, en un "donner forme" original et aléatoire." (Une psy qui gribouille en séance sur les dossiers de ses patients) - Moi qui suis une inconditionnelle de la métaphore du lien, du tissage, de la reprise, cette polysémie m'enchante.

Et parfois ce sont les patients qui me les donnent, comme cet étudiant qui, après un riche échange sur les thématiques existentielles, m'a déclamé de mémoire les premiers paragraphes du texte de Stieg Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Un petit moment de grâce suspendu au-dessus de son désespoir. Il m'a signalé une version enregistrée par Les Têtes Raides du texte intégral, je l'ai dirigé vers Yalom en échange.

Ou cette autre, à qui un médecin étranger a demandé, après une série de malaises consécutifs au deuil récent de son père : c'est une "héritation" ? Oui, voilà, exactement : une héritation. La même s'était émue/amusée (émusée ?) d'une annonce RATP sur son trajet, signalant un ralentissement de la ligne pour cause de petit colis délaissé (le pauvre).

29 septembre 2023

Câlin

On dit que “apapachar” (“cajoler”, dans son sens le plus proche en français) est l’un des mots les plus jolis qui existent et l’action qui consiste à “caresser avec l’âme” l’est encore plus.

Ce magnifique mot provient du mot nahuatl “apapachoa” (une langue indigène du Mexique) et a déjà fait le tour du monde. Le terme en nahualt n’a pas ce sens si émotionnel, mais celui celui qui est utilisé en espagnol (“apapachar”) a accentué l’aspect “caresse de l’âme”.

Un “apapacho” est plus qu’un câlin et qu’un bon moment, c’est plutôt une complicité, une rencontre émotionnelle, quelque chose qui va au-delà d’un simple contact affectueux. Peut-être que pour la plupart d’entre nous, caresser avec l’âme est très clair mais pour beaucoup, l’intensité est plus ou moins grande selon la culture ou la vision de la tendresse.

(Merci Guilou !)

25 juillet 2023

(Couldn't agree more)

I think midlife is when the Universe gently places her hands upon your shoulders, pulls you close, and whispers in your ear:

I’m not screwing around. It’s time. All of this pretending and performing – these coping mechanisms that you’ve developed to protect yourself from feeling inadequate and getting hurt – has to go.

Your armour is preventing you from growing into your gifts. I understand that you needed these protections when you were small. I understand that you believed your armor could help you secure all of the things you needed to feel worthy of love and belonging, but you’re still searching and you’re more lost than ever.

Time is growing short. There are unexplored adventures ahead of you. You can’t live the rest of your life worried about what other people think. You were born worthy of love and belonging. 

Courage and daring are coursing through you. You were made to live and love with your whole heart. It’s time to show up and be seen.

Brené Brown

04 juillet 2023

S'adapter

Beaucoup plus tard, devenue adulte, la cadette s'entendrait dire à une amie : "Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres". Avant d'ajouter, pour elle-même : "Car les bien-portants ne font pas de bruit, s'adaptent aux contours cisaillants de la vie qui s'offre, épousent la forme des peines sans rien réclamer. Ils seront les gardiens du phare détestant les vagues mais tant pis, refuser serait déplacé. Un sentiment de devoir les guide. Ils se tiendront là, vigies dans la nuit noire, se débrouilleront pour n'avoir ni froid ni peur. Or, n'avoir ni froid ni peur n'est pas normal. Il faut venir vers eux."

(...) Dira-ton un jour l'agilité que développent ceux que la vie malmène, leur talent à trouver chaque fois un nouvel équilibre, dira-t-on les funambules que sont les éprouvés ?

(...) Il sentait qu'une frontière le séparait des enfants de son âge. Il perçait l'épaisseur humaine très facilement. Il attrapait un regard, une mélancolie, une attente, un sentiment d'infériorité, un amour secret, une peur. Il flairait autrui à la façon d'un animal. Mais il veillait à rester humain pour éviter le rejet car, il le devinait, les grands sensibles sont des proies.

Clara Dupont-Monod, S'adapter

02 juillet 2023

Les Tisserands

Les créatifs culturels ont entrepris de créer une nouvelle culture, fondée sur la restauration de la qualité de tous les liens endommagés ou rompus : le lien d'écoute et d'estime entre soi et soi, le lien de solidarité et de fraternité avec autrui, le lien de symbiose avec la nature (...) L'ensemble forme ce que j'appelle le triple lien (à soi, à autrui, à la nature). Il y a donc trois grandes familles de Tisserands : celle du lien intérieur, celle du lien social, celle du lien écologique. Leur engagement complémentaire est fondamental parce que la mère de toutes les crises que connaît actuellement notre civilisation humaine est la menace d'une déchirure du monde.

Abdennour Bidar, Les Tisserands ou Réparer ensemble le tissu déchiré du monde

Un petit essai qui me va droit au coeur - ce titre merveilleux... et rejoint mon intuition et ma conviction que si espoir il y a, il passera par la reconnaissance et l'amplification de ce travail de tissage à tous les niveaux, dans un monde marqué par les clivages et les ruptures. Cette question du lien et de sa réparation me tient tellement à coeur, qu'elle explose dans toutes les dimensions de ma vie, affective, professionnelle, et à travers mon écriture aussi - forcément, je suis réceptive ! Réceptive aussi à sa conscience aiguë de l'interdépendance de ces dimensions, et à la conviction de l'auteur que cette conscience croissante pourrait amener vers une spiritualité nouvelle, multiple, nourrissante car au service du vivant sous toutes ses formes - sa compréhension du lien à soi dépassant largement le cadre du développement personnel ou du soin psychique pour ouvrir à la transcendance.

Résolument de la première famille, celle des tisserands du lien à soi, j'espère aussi apporter un peu, à ma modeste mesure, un peu au lien social comme au lien écologique... à tout petits pas, à tout petits points, comme un fil de plus dans la trame du monde.

27 mai 2023

Le prix de la liberté

Arrivée à la cinquantaine, juste au moment où ma vie était censée se ralentir, se stabiliser et devenir plus prévisible, elle s'est accélérée, est devenue instable et imprévisible (...).

Je ne voulais pas restaurer le passé. Ce dont j'avais besoin, c'était d'une construction toute neuve (...) Il était vain de vouloir faire entrer une ancienne vie dans une nouvelle (...).

Cependant, créer ce foyer, un espace pour une mère et ses filles, a été une telle leçon d'humilité, une expérience si dure, profonde et intéressante qu'à ma grande surprise j'ai découvert que je travaillais très bien au milieu du chaos. J'avais les idées claires, j'étais lucide ; l'installation en haut de la colline et la nouvelle situation avaient libéré en moi quelque chose jusque-là enfermé et étouffé. J'ai gagné en vigueur à cinquante ans, à un âge où mes os étaient censés se fragiliser. J'avais de l'énergie parce que je n'avais pas d'autre choix que d'en avoir (...).

La liberté n'est jamais libre*. Quiconque s'est battu pour être libre sait ce qu'il en coûte. 

Déborah Lévy, Le coût de la vie

La première fois, j'aurais voulu restaurer le passé - comme Déborah Lévy l'écrit ailleurs dans le texte, "Pour moi, il n'y aura pas de fin au deuil de ce vieux désir de vivre un amour durable qui ne réduirait pas ses personnages principaux à moins que ce qu'ils sont."

La seconde - j'avais compris je crois, et je me suis sentie portée par cet élan vers une construction neuve, ce regain d'énergie incontournable lorsqu'il faut à nouveau tout assurer seule (mais aussi par la fierté qui l'accompagne). Et le plaisir d'explorer une identité nouvelle, lorsqu'on n'est plus la compagne et, les enfants ayant grandi, lorsqu'on a moins besoin d'être la mère.

Déborah Levy écrit longuement sur le bonheur que lui apporte son vélo électrique, qui lui donne des ailes et le sentiment de maîtriser sa vie (dans une modeste mesure) : je suis tellement d'accord !

*La traduction perd à mon sens l'essentiel : Freedom is never free : la liberté n'est jamais gratuite...

21 avril 2023

Haut-le(s)-coeur(s)

"Un ordre social est machinal. Il nous agit. On l'a toujours déjà oublié.

Mais toute machine est machinée. Un ordre social est machiné par quelques hommes pour machiner tous les autres hommes. Et plus il va machinalement, moins il va humainement. Ainsi, des intérêts humains - très humains - produisent des rapports inhumains.

Ce qui se voit uniquement en s'extirpant de la langue générale : depuis un ailleurs, le machinal ressemble souvent à une torture énigmatique.

(...) La norme une fois posée, elle n'est plus questionnée. C'est comme ça qu'on fait. La norme est invisible, même si elle est partout, même si elle est atroce. On ne la voit plus, on la prolonge." 

Sandra Lucbert, Personne ne sort les fusils

Un livre coup de coeur mais aussi coup de poing. Qui relate le procès Orange, mais aussi bien plus largement dénonce la novlangue néolibérale, et la façon dont elle soutient, justifie, invisibilise la violence du monde du travail et la folie destructrice du capitalisme forcené. C'est brillant - et terrifiant. Ce mépris assumé de l'humain, que l'actualité politique, sociale, écologique met en évidence jour après jour - les quelques hommes qui machinent et dirigent ne prenant même plus la peine de faire semblant d'être au service du collectif. 

Personne ne sort les fusils - et pourtant il y aurait de quoi.

25 mars 2023

Qui êtes-vous ?

"Quand je demande à ceux que je rencontre de me parler d'eux- mêmes, je suis souvent attristée par la pauvreté de ma moisson.

 On me répond: je suis médecin, je suis comptable...j'ajoute doucement: vous me comprenez mal.

Je ne veux pas savoir quel rôle vous est confié cette saison au théâtre mais qui vous êtes, ce qui vous habite, vous réjouit, vous saisit ?

 Beaucoup persistent à ne pas me comprendre, habitués qu'ils sont à ne pas attribuer d'importance à la vie qui bouge doucement en eux. 

On me dit: je suis médecin ou comptable mais rarement: ce matin, quand j'allais pour écarter le rideau, je n'ai plus reconnu ma main...ou encore: je suis redescendu tout à l'heure reprendre dans la poubelle les vieilles pantoufles que j'y avais jetées la veille; je crois que je les aime encore...ou je ne sais quoi de saugrenu, d'insensé, de vrai, de chaud comme un pain chaud que les enfants rapportent en courant du boulanger. 

Qui sait encore que la vie est une petite musique presque imperceptible qui va casser, se lasser, cesser si on ne se penche pas vers elle ?

Les choses que nos contemporains semblent juger importantes déterminent l'exact périmètre de l'insignifiance: les actualités, les prix, les cours de la Bourse, les modes, le bruit de la fureur, les vanités individuelles. 

Je ne veux savoir des êtres que je rencontre ni l'âge, ni le métier, ni la situation familiale; j'ose prétendre que tout cela m'est clair à la seule manière dont ils ont ôté leur manteau.

 Ce que je veux savoir, c'est de quelle façon ils ont survécu au désespoir d'être séparé de l'Un par leur naissance, de quelle façon ils comblent le vide entre les grands rendez- vous de l'enfance, de la vieillesse et de la mort, et comment ils supportent de n'être pas tout sur cette terre. 

Je ne veux pas les entendre parler de cette part convenue de la réalité, toujours la même, le petit monde interlope et mafieux: ce qu'une époque fait miroiter du ciel dans la flaque graisseuse de ses conventions ! 

Je veux savoir ce qu'ils perçoivent de l'immensité qui bruit autour d'eux. 

Et j'ai souvent peur du refus féroce qui règne aujourd'hui, à sortir du périmètre assigné, à honorer l'immensité du monde créé.. 

Mais ce dont j'ai plus peur encore, c'est de ne pas assez aimer, de ne pas assez contaminer de ma passion de vivre ceux que je rencontre".

Christiane Singer

10 mars 2023

J'avance à l'autre...

(Que c'est beau...)

Etre ensemble, écouter les moments de vie que mes proches me racontent, recevoir leurs conseils, c'est mon carburant. J'avance à l'autre, et lorsque nous nous quittons, je garde dans mon coeur toute la richesse de nos échanges.

Isabelle Maurer, Je ne baisserai plus les yeux

10 octobre 2022

Toujours ou à nouveau vrai ?

Supprimer l'oppresseur revient à nier le problème, mais non à en trouver la solution. Car les hommes sont NOS hommes. Toute la difficulté tient dans l'usage de l'article ou du pronom. De défini/lointain au possessif/commun. (...) Nous aimons nos hommes, leur compagnie, leur corps, leur sexe. Nous aimons avec eux l'échange intellectuel, le jeu existentiel (...).

Les outrances de l'ère zéro du féminisme répondaient à un besoin de société. Mais elles ne pouvaient se prolonger au-delà du temps et de la démesure sans troubler notre propre histoire. Ce désordre massif se révéla porteur d'autres désordres féconds. Mais exiger une égalité totale, donc réductrice, ajouta l'excès à l'excès. La femme n'est pas l'homme et l'un n'est pas l'autre (...)

L'égalité ne prend son sens humaniste/féministe que dans la suppression de la hiérarchie. Et non par la disparition des différences.

Gisèle Halimi, Le lait de l'oranger

01 octobre 2022

Phrase du jour

"Je préférais le bordel des idées aux raisons closes."
Jean-Michel Ribes