30 janvier 2006

Blague psy du jour

... (même) les meilleurs symptômes ont une fin ! ;-)

Avoir des enfants, c’est…

- Faire des milliers de lessives, ranger par deux des milliers de petites chaussettes, acheter des milliers de petits BN tout ronds, préparer des milliers de repas.

- (Re)découvrir la joie des faire des bulles, la course, dessiner ou faire de la pâte à modeler, de courir dehors, de se glisser sous la couette pour lire à voix haute.

- Etre réveillés à 6h30 le dimanche, alors qu’il est difficile de les tirer du lit le matin en semaine.
- Se décentrer de soi-même. Se découvrir des trésors de tendresse, de patience, d'attention. Mais pas tous les jours, et pas à chaque instant. Et pourtant.

- Avoir en permanence une salle de séjour qui ressemble à une salle d’attente de pédiatre (dixit Marion).

- Se réveiller la nuit alors qu’ils ne pleurent pas. Se réveiller la nuit parce qu’ils pleurent. Dire adieu aux grasses matinées.

- Avoir le cœur qui se serre chaque matin en les déposant à la crèche, à l’école le matin – déjà, et ces journées si longues…

- Partager des petits bouts de notre enfance : Les Cités d’or, les légendes arthuriennes, le Palais de la Découverte, Emilie Jolie, Pomme d’Api, les emmener au théâtre, au cinéma, à la bibliothèque, voir les vitrines illuminées des grands magasins.

- Etre confrontés quotidiennement à la question, qu’avons-nous envie de leur transmettre ? Essentiel ou accessoire ? Cohérent ou paradoxal ? Vanille ou chocolat ? Le chouchou, rose, ou bleu ?

- Prendre soin de l’enfant qui continue à vivre en soi. Dans les difficultés inattendues, les silences du texte, le deviner davantage, le bercer doucement.

- Avoir une quadruple ration de câlins emmêlés sous la couette le week-end – petits bras ensommeillés autour du cou.

- Noter les mots d’enfants.

- Attendre les week-ends ; constater que les adultes aussi ont besoin de repos, une fois expédiées les corvées restées en plan durant la semaine ; attendre les vacances – les trouver trop courtes ; remettre à demain, le cœur inquiet à l’idée de se réveiller alors qu’il sera trop tard.

- Etre surpris par tout ce qu’ils découvrent sans nous : tiens, mais je ne savais pas que tu connaissais cette chanson ? Où est-ce que tu as grandi sans moi ? Les entendre parler entre eux, aussi – parce qu’ils savent déjà tout, de ce qui peut être dit devant les adultes, ou avec leurs pairs…

- S’interroger sur ce qu’ils nous reprocheront plus tard ; s’inquiéter de ce qui se transmet silencieusement ; accepter de leur accorder la confiance nécessaire pour qu’ils le transforment à leur tour, dans le chemin qui sera le leur.

- Garder précieusement des bracelets de naissance, les premières chaussures avec lesquelles ils ont marché, des pyjamas minuscules, des cahiers de maternelle.

- Etre bouleversés par un petit garçon qui lit pour la première fois – Nuala O’Faolain parle, pour elle-même, d’une deuxième naissance – l’ouverture d’un nouveau monde.

- Fondre devant les assauts de charme d’une chipie haute comme trois pommes et demie.

- Retrouver un Robin des Bois sur les packs de lait, le réveil sous le lit, et des chouchous multicolores dans toutes ses poches.

- Renoncer à l’idée d’un équilibre définitif entre l’intime, le familial et le professionnel – quadrature du cercle. Mais : ce matin, mon ami JP m'écrit : J'espère que vous n'oubliez jamais que le temps qui file pour nous est une éternité pour eux.

29 janvier 2006

Attentionné

Quand il est réveillé le premier, Léo n'aime pas traverser le couloir dans l'obscurité. Mais avant d'allumer la lumière, je l'entends refermer doucement notre porte - délicatesse touchante.

28 janvier 2006

Juke-Box

Le questionnaire, je l'ai trouvé chez Cali - blog délicieux.
Le juke-box, c'est la "Chanson pour..."

- Pour la route : Don’t stop me now, de Queen, ou encore, Gronde, de Lynda Lemay, J’veux du soleil (Au p'tit bonheur) ou encore Prière Païenne, de Céline Dion

- De rage adolescente : ben, même adolescente, j’écoutais pas de chanteurs énervés. Quoique, si on écoute La statue, de Brel, ou J’ai troqué (Barbara), ou Les oiseaux de passage (Brassens)… Ah, et puis il y avait Thiéfaine et Renaud aussi – finalement.

- Pour faire danser : It’s raining men, ou Tainted love, ou n’importe quel extrait de Grease. Toutes les merdes disco et années 80, et quelques bons vieux rocks.

- Pour chialer dans sa bière : alors là il n’y a que l’embarras du choix… Trio gagnant du jour : Narrow daylight de Diana Krall, La ville s’endormait (Brel), ou encore Both sides now (Joni Mitchell)

- En hommage à un défunt : You’re missing, de Bruce Springsteen, Il est parti (Véronique Sanson), La demeure d’un ciel – c’est Camille.

- Berceuse : Songbird, d’Eva Cassidy (celle de la fleur-bleuissime déclaration d’amour silencieuse de Love actually). N’importe quel album de Lorena Mac Kennitt.

- Nostalgique : Currucucu Paloma (oui, celle dans Parle avec elle d’Almodovar), Un peu plus de noir, de Véronique Sanson, Song for Guy, d’Elton John

- Que vous admettez (honteusement) aimer : les œuvres complètes de Dassin, de Cloclo, et celles des Carpenters – même pas peur.

- Pour gratter ses plaies : Hallelujah, de Jeff Buckley, fait assez bien l’affaire. Des armes – Ferré interprété par Noir Désir – aussi. Ferré en général d’ailleurs… Mano Solo aussi…

- Pour avoir 13 ans : Goldman époque Je te donne, Voulzy époque Rockcollection, la musique de la Boum (Dreams are my reality…), Still loving you et Total Eclipse of the heart – Hôtel California c’était plus tard non ?

- Sexy : Fever, de Peggy Lee…

- Pour chanter sous la douche : M’envoyer des fleurs, de Sandrine Kiberlain, ou Paroles, paroles (est-il bien nécessaire de nommer les interprètes ?)

- Quand on tombe amoureux : Toi, et c’est Barbara. A chaque fois, de la même. Let’s fall in love (Sinatra). Quel jeu elle joue – c’est dans le dernier Julien Clerc. Concrete and Clay – c’est la musique de la pub avec la marmotte qui emballe le chocolat (mais si !). So natural – Lisa Stanfield.

- Quand ça fait mal parce qu’il (elle) est parti(e) : Pour que l’amour me quitte, de Camille (rien que le titre déjà…). When love goes wrong (nothing goes right), interprété par Marylin.

- Quand on attend un enfant : Room for the life, Kate Bush

- Pour les dimanches matin pluvieux : Feelin’ groovy (slow down, you move too fast) - c’est Simon & Garfunkel. Tout Sinatra, Armstrong, et les Beatles.

- Pour s’envoler : There must be an angel, des Eurythmics ; Dad and Co, personne ne connaît mais c’est dans la BO de Les uns et les autres ; Miracle Drug – c’est U2 ; Azul, obscur tube sud-américain. Le concept : chansons-qui-montent. Un autre exemple : Don’t leave this way, version Communards.

Je sais, personne n’a vraiment que ça a faire, et j’ai passé un temps non négligeable à le remplir moi-même. Mais j’y ai pris aussi beaucoup de plaisir, ainsi qu’à fouiner dans ma mémoire (et dans ma discothèque) – à ajouter ou encore à soustraire certaines catégories du questionnaire initial. A ceux que l’envie pourrait prendre de jouer à leur tour, je suggère de poster le leur en commentaire dans ce message. Have a good time !
Questions subsidiaires :
- Chanson décrivant un lieu
- Chanson qui vous rappelle votre enfance
- Chanson que vous auriez aimé écrire
- Chanson politique
- Chanson que vous détestez par-dessus tout
- ...

Nuance

Elsa : - Les amoureux c'est pour faire des bisous mais ze sais pas faire des bisous il faut que z'aprenne...
Lulu : - Mais Elsa tu SAIS, faire des bisous ???
Elsa : - Oui mais des bisous d'amis !
***
Léo et Tristan font leurs devoirs ensemble.
Ils doivent colorier des dessins où l'on entend le son k.
Tristan : - On fait une course...
Léo : - Non. Moi, je veux pas faire vite, je veux faire bien. (Un temps, puis :) On fait pas une course, on fait une course de beauté.
Tristan : - La beauté, c'est pour les filles.
Léo : - Non, c'est pour l'école.
(Copyright : le papa de Tristan !)

27 janvier 2006

Valeur

J'attache de la valeur à toute forme de vie, à la neige, à la fraise, à la mouche.
J'attache de la valeur au règne animal et à la république des étoiles.
J'attache de la valeur au vin tant que dure le repas, au sourire involontaire, à la fatigue de celui qui ne s'est pas épargné, à deux vieux qui s'aiment.
J'attache de la valeur à ce qui demain ne vaudra plus rien et à ce qui aujourd'hui encore vaut peu de chose.
J'attache de la valeur à toutes les blessures.
J'attache de la valeur à économiser l'eau, à réparer une paire de souliers, à se taire à temps, à accourir à un cri, à demander la permission avant de s'asseoir, à éprouver de la gratitude sans se souvenir de quoi.
J'attache de la valeur à savoir où se trouve le nord dans une pièce, quel est le nom du vent en train de sécher la lessive.
J'attache de la valeur au voyage du vagabond, à la clôture de la moniale, à la patience du condamné quelle que soit sa faute.
J'attache de la valeur à l'usage du verbe aimer et à l'hypothèse qu'il existe un créateur.
Bien de ces valeurs, je ne les ai pas connues.
Erri de Luca, Oeuvre sur l'eau
(Le même dans la préface écrit : Pour celui qui écrit des histoires au sec de la prose, l'aventure des vers est une pleine mer. Je ne suis pas arrivé jusqu'aux vers. Ici, ce sont des phrases qui vont trop souvent à la ligne.)

Texto !

Une patiente rappelée pour m'assurer de la continuité du suivi hospitalier parallèle, qui me lance : "Mais vous savez, il ne faut pas vous inquiéter pour moi, il faut prendre de la distance sinon c'est un métier de fous !!!".

25 janvier 2006

Grandir (2)

Ou, "Je voudrais prendre la pilule, mais..."
Elle est revenue, ma jeune fille en voie de quitter l'enfance, questionner l'idée d'une contraception, en passant par les méandres de l'histoire familiale et notamment par celle de sa propre mère - un autre continent, une autre vie, l'absence de choix, les ondes d'un choc d'un mariage non désiré (et polygame) et d'un accès bien trop précoce à la sexualité et à la maternité.
Elle est revenue, étonnée de s'entendre aborder ces sujets jamais discutés, un peu embarrassée même en fin d'entretien d'être allée si loin non pas forcément dans la confidence mais sur le chemin surprenant qui l'a menée de, j'envisage de prendre la pilule, à, je ne me sens pas si prête à me donner cette autorisation implicite à une vie sexuelle d'adulte, à franchir le pas qui me distancera définitivement de ce qui m'a été transmis, et qui n'a pas disparu avec la première relation sexuelle - et rien ne presse.
Elle est revenue, affirmer sa différence, la voie qu'elle se fraie en se démarquant à la fois d'une part des valeurs familiales et des conduites des camarades de son âge. Elle est revenue trouver un espace où déposer que ce qu'elle franchit est une étape dont elle perçoit l'importance, mais dans laquelle elle entend bien être maîtresse de ses propres choix.
Quand on travaille dans ce qu'il est convenu d'appeler prévention, que cherche-t-on à prévenir ? A cette jeune fille je n'ai pas donné de rendez-vous avec le médecin, mais la possibilité de reprendre contact quand le moment en serait venu pour elle. Et intérieurement, je l'ai remerciée pour toutes les jeunes filles auxquelles nous ne prescriront pas d'office une pilule qu'elles ne prendront pas, parce que nous n'aurons pas respecté ce temps d'une élaboration autour des enjeux réellement en cours pour elles.

24 janvier 2006

Tâches* d'encre (2)

"L'écriture se veut ouverture à ce qui n'est pas attendu, ainsi qu'il en va dans l'entretien. Ecrire est la relecture d'une pratique et de ses scories, des parcelles d'existence rencontrées, lâchées, reprises, rapprochées. Ecrire est une nouvelle rencontre de deux mémoires au corps absent. Sous l'apparence d'une "reliure", écrire est rassembler, couvrir d'une vêture ces fragments déposés là. (...)
L'indicible qui opère dans l'entretien ne remontera jamais présentement dans l'écriture. Le texte enclôt, tout en maintenant l'ouverture dans l'énoncé. Il cherche à cerner les signifiés éclatés ou perdus dans l'énonciation qui en fut faite et dont l'écriture se saisit. Ecrire est à nouveau "délivrance de signes" qui relève d'une interprétation posée comme une tentative d'intelligibilité à d'autres que les intéressés."
IVG : la dynamique du sens, B. Rondot-Mattauer
De plus en plus l'écriture... de plus en plus l'écriture fait sens (multiples, les sens, l'essence), fait lien, affleure - à fleur, de peau. L'écriture de soi et à soi, l'écriture adressée, l'écriture témoignage, et dans des lectures professionnelles comme ici, comme une confirmation de la solidité de ce fil - solidement encordée par les mots, l'écriture comme bout pour hisser les voiles, prendre du large, prendre le large. A la question, qu'est-ce qui peut réparer les blessures d'avant les mots, je me suis entendue répondre hier - une réponse, il en est d'autres : écrire.
* Mais si, je sais orthographier tâches... il s'agit bien du travail de l'écriture - de l'écriture en travail, celle qui fait naître une forme nouvelle.

22 janvier 2006

Présents

Léo à Mamimone : "Aujourd'hui il n'y a pas qu'un cadeau, il y a beaucoup de cadeaux : les cartes Pokemon (bon, tout de même, faut commencer par le principal), et puis toi tu viens, et puis je suis invité à l'anniversaire d'Anna, et ce soir je vais dormir chez Marguerite et Hippolyte. "
Je ne dis rien, mais me réjouis, que la rencontre avec nos proches, famille, amis, soit vécue par mon fils comme un cadeau à part entière. Je me réjouis et le rejoins - dans ce week-end, une soirée d'anniversaire où famille et amis se joignent pour une surprise pleine d'amour à celle qui vient aussi d'emménager avec son amoureux, et puis une journée douce autour d'un repas chaleureux, six petits enfants dans le parc de Sceaux - quelque chose comme une famille choisie, singulière.

21 janvier 2006

Mots


"Souvent, après tant de bonheurs mélangés, Pomelo a comme une petite envie d'être triste. Il se prépare alors quelques fraises des bois et pense très fort... à toutes ces fraises des bois qu'il n'aura jamais. A tous ces moments qu'il a oubliés. A ... (...)"

Pomelo se demande, Ramona Badescu, Benjamin Chaud
"On ne marche pas avec une béquille toute sa vie. J'ai enlevé la canne et le troisième oeil. J'ai vu comment vivre sans elle. J'ai vu que c'était possible. Même si je la perds, je reste en vie. J'envisage toujours le pire avec ceux que j'aime. J'ai compris que sa douceur me cachait l'essentiel. Dans le danger j'ai compris plusieurs choses."
"Dans ma famille les femmes s'offrent en héritage un amour bancal, un amour à cinq pattes. D'une génération à l'autre le fardeau passe de main en main. Personne ne prend le chemin à rebours et ne se défait de la malédiction. Il n'y a aucune transmission, aucun truc de filles qu'on s'échangerait sous la couette en rigolant. La douceur n'est pas toujours du côté des femmes."
Celle qui ne parle pas, Capucine Ruat

20 janvier 2006

Grandir

Elle a dix-sept ans, sa peau est noire comme la nuit, le voile qui encadre son visage aussi. Elle est seule dans la salle d’attente depuis un moment, elle est arrivée quelques minutes avant la fermeture. Elle attend le résultat du test de grossesse qui vient sanctionner un mois de retard de règles. Plus tard, j’apprendrai qu’elle est venue jusqu’à la porte du Centre ce matin, mais qu’elle a rebroussé chemin, trop inquiète à l’idée de l’annonce d’une grossesse.

Quand je la reçois pour la rassurer – test négatif – je la vois se détendre et sourire – un sourire de très jeune fille un peu embué cependant, le regard est ailleurs – que se passe-t-il derrière ce ravissant visage ?

Je souligne, qu’elle peut être à la fois infiniment soulagée, et dans le même mouvement un peu déçue peut-être – que ce mois d’attente et d’inquiétude a peut-être été aussi le temps dont elle avait besoin pour rêver à un bébé possible, ou encore le temps nécessaire pour grandir un peu, découvrir les implications d’une sexualité encore toute nouvelle pour elle – que les humains sont ainsi, pas toujours logiques, surtout quand il s’agit d’histoires d’amour.

Son visage s’éclaire, elle se lance, s’autorise à dire, à quel point elle a eu peur, l’excès d’émotions engendré par la découverte simultanée de cette identité de femme en devenir – « Ca fait peur, de grandir ! » - et le risque pris d’une éventuelle maternité, les questions qui ont tournoyé dans son esprit depuis un mois. Je dis, oui, nous vivons dans un monde qui fait comme si tout cela allait de soi, et bien sûr qu’on a peur, quand il s’agit de traverser pour la première fois toutes ces questions auxquelles même adultes, nous n’aurons jamais fini de répondre.

Et, parce que l’heure de la fermeture est largement dépassée, je lui propose de revenir peut-être dans quelques jours poser toutes ces questions si naturelles, mais pour lesquelles il n’est pas tant de lieux d’accueil – et elle acquiesce, s’en va d’un pas léger.

19 janvier 2006

Jour ordinaire

Maternité. Soins palliatifs. Centre de Planification. Les deux premiers sont des projets ; le troisième une réalité. En fil conducteur, le désir renouvelé d'aller à l'essentiel, la confrontation quotidienne à la vie, à la mort, au désir.
Une journée ordinaire là où j'interviens, c'est la rencontre au cours d'une même journée d'une adolescente avec laquelle travailler la question de la confiance dans l'équipe éducative qui l'accompagne, (et le relais avec ladite équipe, et la question du secret partagé, partagé jusque où ?), accueillir les symptômes d'une femme enceinte à l'enfance dévastée et que sa grossesse transforme, selon ses propres mots, en "livre ouvert", dérouler pour une très jeune fille les choix qui contre toute attente s'offrent à elle - lui rendre la responsabilité de sa propre vie, accompagner un couple sexagénaire dans l'élucidation des ressorts qui sous-tendent leur parcours commun depuis plus de vingt ans, explorer avec une hésitante candidate à l'IVG les voies (voix ?) de ses incertitudes (et me laisser surprendre par les raisons dissimulées sous les raisons)... et tant d'autres encore, alliances souvent brèves et toujours fragiles avec ceux à qui la vie n'a appris d'autre langage que la violence ou la fuite.
Une journée ordinaire là où j'interviens, c'est la rencontre de sidérantes et néanmoins très banales violences, d'ahurissantes solitudes, de parcours de vie souvent au-delà de l'imaginable.
Une journée ordinaire là où j'interviens, c'est être menacée sans cesse d'épuisement et nourrie à la fois par la vie qui circule, l'émotion devant l'énergie des êtres à se frayer un chemin, trouver une issue. C'est être confrontée simultanément à l'impuissance la plus absolue, au dénuement le plus complet - parce qu'aucun savoir, aucune technique n'offriront de réponses aux questions qui viennent se poser à travers les actes, et à la conviction, tout au moins à l'espoir, que dans cet espace-là une graine peut être semée - sans assurance aucune sur ce qu'elle deviendra.
Le contact avec l'essentiel, avec ces thèmes fondamentaux et fondateurs pour tout être humain, cette clinique à mains nues, portée à la fois par une nécessaire humilité et par une foi indéracinable dans le pouvoir d'une parole partagée - c'est ce qui fait l'ordinaire de ma journée - c'est ce qui me fonde dans le sentiment d'être exactement à la place où je désire être.

Danser

Ai emmené Léo voir un spectacle de danse (!) sur le thème des Chevaliers de la Table Ronde. Et j'ai été agréablement surprise qu'il accroche - bon, d'accord, lui a préféré les combats à l'épée chorégraphiés (Maman, tu crois que c'est des vraies épées ?), et moi, l'apparition de Guenièvre à un Arthur blessé sur un champ de bataille, mais, premier contact réussi - le sens venant aussi des rapprochements qu'il a pu faire avec les enchaînements des arts martiaux. La même grâce, et la même recherche du geste juste.
Mais le moment de pur bonheur, a été la fin du spectacle - les danseurs invitant les enfants à monter sur la scène et à s'essayer à la danse sur des séquences simples et brèves - peut-être, soixante minots radieux d'être sous le feu des projecteurs et avec les danseurs encore en costume, cottes de mailles pour les chevaliers et longs voiles multicolores pour les fées.

17 janvier 2006

Correspondances

Quand elle se présente, la comédienne avec laquelle j'interviens en binôme dans les actions scolaires explique que ce qu'elle fait, c'est de déchiffrer les émotions d'un autre qu'il a couchées sur le papier, et d'imaginer comment les incarner au plus près de la pensée de l'auteur, pour les apporter, les transmettre, les donner à entendre à d'autres. Un travail de traduction, de restitution, de mise en résonance.
En l'écoutant exposer ce qui fait le coeur de son métier, je pense à part moi, ce n'est pas si loin de la position du thérapeute, à ceci près que celui-ci se fait le passeur de l'être à l'être - c'est ce que j'entends de l'autre, que je lui restitue. La boucle est plus courte, le mouvement est le même : passer par son propre corps (Freud écrit, à propos du transfert, supporter à même son propre corps), pour saisir et redonner quelque chose de l'émotion, de ce qui traverse.

Traverser l'illusion

Rows and floes of angel hair
And ice cream castles in the air
And feather canyons ev'rywhere
I've looked at clouds that way
But now they only block the sun
They rain and snow on ev'ryone
So many things I would have done
But clouds got in my way
I've looked at clouds from both sides now
From up and down, and still somehow
It's cloud illusions I recall
I really don't know clouds at all

Moons and junes and ferris wheels
The dizzy dancing way you feel
As ev'ry fairy tale comes real
I've looked at love that way
But now it's just another show
You leave 'em laughing when you go
And if you care, don't let them know
Don't give yourself away
I've looked at love from both sides now
From give and take, and still somehow
It's love's illusions I recall
I really don't know love at all

Tears and fears and feeling proud
To say I love you right out loud
Dreams and schemes and circus crowds
I've looked at life that way
But now old friends are acting strange
They shake their heads, they say I've changed
Well something's lost, but something's gained
In living ev'ry day
I've looked at life from both sides now
From win and lose and still somehow
It's life's illusions I recall
I really don't know life at all

Joni Mitchell

15 janvier 2006

Expositions

Ce matin, nous avons emmené les enfants admirer les impressionnants dinosaures du Palais de la Découverte (T-Rex grandeur nature, et avec le son s'il vous plaît...). Pour retrouver avec eux le Palais de la Découverte de mes propres souvenirs d'enfance, celui des expériences électro-statiques et du planétarium, le lieu qui m'a donné à imaginer pour la première fois ce qu'était un atome, la double hélice de l'ADN, ou les infinies décimales du nombre Pi, il faudra attendre encore un peu...
Cet après-midi, j'avais projeté de profiter des derniers jours de l'exposition Mélancolie : génie et folie en Occident, mais devant l'affluence, je me suis repliée vers la librairie pour m'offrir simplement le catalogue - énorme volume aux éclairages historiques, philosophiques, psychologiques, et à l'iconographie évidemment somptueuse. Une autre façon de visiter - dans un fauteuil, un thé fumant à portée de main. Je regrette évidemment, le contact direct avec les oeuvres, mais j'apprécie : prendre le temps, revenir en arrière, m'attarder sur un détail - rêver tranquille.

14 janvier 2006

Tâches d'encre

"Rencontrer tous les jours des êtres démunis, dérangeants, hors langage, étranges, qu'une machinerie sociale de plus en plus impitoyable rejette le plus souvent dans l'exclusion ou aux marges du champ social, conduit les éducateurs à des pratiques d'écriture d'urgence. Il faut écrire pour survivre, pour ne pas perdre la tête, pour sauver sa peau, pour conserver un minimum de sens et de cohérence dans les actes éducatifs. Ecrire pour faire face au morcellement, pour tisser sans cesse du lien social. Mais aussi écrire pour n'être pas seul. (...)
L'écriture comme révélateur de ce qui se joue et se noue dans la relation éducative, donne à lire à livre ouvert ce chemin partagé avec un plus faible, un plus démuni, ou prétendu tel, et que l'on accompagne, cheminant ensemble. (...)
Comme le confiait Maria Montessori à un groupe de jeunes instituteurs qui lui demandaient quels ouvrages lire pour comprendre les enfants :"Apprenez à lire les enfants." Ce qui implique que ceux-ci soient "écrits". (...)
C'est le lieu d'une prise de distance et d'un détachement absolument nécessaire pour mener à bien les tâches éducatives, dont le noyau dur est constitué par la rencontre avec des êtres en souffrances et qui met à mal l'éducateur dans ses représentations et ses affects."
Joseph Rouzel, Le transfert dans la relation éducative

12 janvier 2006

Intérieur, nuit

Je n’ai pas su recevoir aujourd’hui, pas su sortir de cette impression de donner, donner, donner encore, et d’être vide à la fin de la journée, à la dérive, au bord des larmes. Donner, au groupe co-animé, à mes patients, à mes collègues ; à mes enfants, à l’homme qui est à mes côtés. Je sais – intellectuellement – que chacun d’entre eux m’a apporté quelque chose ce jour.

Je peux même retrouver quoi – les échanges pleins de vitalité du groupe de préparation à la naissance, cette femme qui revient après avoir rencontré plusieurs professionnels, parce qu’elle a apprécié ma qualité d’écoute, la connivence croissante avec la sage-femme avec laquelle je travaille, les places d’opéra obtenues à la motié de leur prix, avec Elsa le bain, le repas préparé par David, fier de ce qu'il a accompli dans la journée, Léo qui redemande un chapitre de l’Odyssée et l’obtient, parce que je suis si contente qu’il entre dans cette culture-là.

Une vie pleine – l’absence à l’intérieur. Pas toute absente. Pas toute entière. Pas tout le temps.

Hier, quelqu’un parlait de Pietragalla, en disant, je n’arrive pas à comprendre que cette femme, qui a su créer des chorégraphies si bouleversantes, puisse véhiculer une telle tristesse. Et je pensais à part moi, c’est justement parce que son chagrin est si grand, qu’elle tire d’elle-même cette énergie et cette beauté-là.

11 janvier 2006

Bribes

"- ... je crois que j'ai peur.
- Hé bien aie peur ! La peur ne fait que peur..."

" - Ceux qui sont absents nous manquent.
- Oui, mais ils ne seront pas là pour vivre ce qui va se passer maintenant : eux aussi vont manquer quelque chose."

"- Ce n'est pas ton histoire que je prends en charge mais ton émotion que j'accueille, que je peux accueillir ; et c'est... différent."

10 janvier 2006

Théâtre - Forum

J'ai eu la chance aujourd'hui d'assister à une intervention de théâtre - forum auprès de lycéens, sur les questions de la rencontre amoureuse et de la sexualité. Le principe : deux comédiens jouent une série de saynètes, puis le public en choisit deux ou trois qui seront rejouées, avec possibilité pour le public d'intervenir à tout moment pour proposer d'autres issues à la problématique abordée, en improvisant librement avec les comédiens. Un meneur de jeu distribue la parole et anime les débats.
J'ai été très émue par le naturel et l'extraordinaire justesse des jeunes qui ont accepté de jouer le jeu, pertinence des idées, créativité dans l'improvisation - alors que la situation est tout sauf confortable : sujets touchant à l'intimité (faire les premiers pas, proposer une relation sexuelle, négocier l'emploi du préservatif...), parterre de potes rigolards, comédiens inconnus auparavant. Par la protection apportée, incarnée par la meneuse de jeu - un accessoire, un coup de "baguette magique" sonore suffisent à symboliser l'entrée dans l'espace théâtral, dans un espace explicitement désigné comme un espace de jeu, d'expérimentation sans risque, déconnecté de l'identité réelle de celui ou de celle qui s'y aventure.
Reste à évaluer l'impact de cette modalité de prévention - ce que j'aurai l'occasion de faire pour une part puisque ce sont des classes que je reverrai.
"N'essayons pas de convaincre ; contentons-nous de faire réfléchir." Georges Braque
Pour plus d'infos : ici, et .

Secrets

Léo souffre parfois de peurs diffuses le soir – peurs qui prennent parfois le masque d’un personnage de film, parfois restent sans nom. Il me confie qu’il a trouvé une façon de conjurer sa peur, « mais je ne te le dis pas parce que j’ai remarqué, quand on parle de quelque chose qui marche des fois après ça ne marche plus. » Et de discuter sur les secrets qui perdent leur puissance d’être partagés…
(Différencier, le secret qui tire son efficacité du secret justement - celui des magiciens et des chamans, le secret initiatique - du secret qui est protection de l’intime, mais encore du secret qui lui deviendrait lourd ou dangereux de n’être pas partagé…)
C’est une question - et une difficulté - fondamentales, apprendre à respecter l’espace intime de l’enfant, inviter celui-ci à le faire respecter, tout en lui donnant confiance dans la possibilité d’une parole. Intuition : il se pourrait bien que l’un n’aille pas sans l’autre...

09 janvier 2006

Ultra Moderne Solitude

Ça s'passe boul'vard Haussmann à cinq heures
Elle sent venir une larme de son cœur
D'un revers de la main elle efface
Des fois on sait pas bien c'qui s'passe

Pourquoi ces rivières
Soudain sur les joues qui coulent...

(...) Ça s'passe partout dans l'monde chaque seconde
Des visages tout d'un coup qui s'inondent
D'un revers de la main on efface
Des fois on sait pas bien c'qui s'passe...


Alain Souchon

Humour névrotique

"- ... et ça marche bien comme ça.
- Méfie-toi, ça a l'air bien parti cette fois !
- Tant pis..."

La minute du jour

Celle où, après le baiser règlementaire devant la grille de l'école le matin, le petit Léo qui a déjà traversé toute la cour se retourne pour quêter un regard, un signe - rituel implicite que je ne voudrais pour rien au monde décevoir.

Jetlag

Ai revu hier soir Lost in translation, et compris pourquoi je l'avais aimé la première fois. Je ne résiste pas à la traduction sauvage : perdus dans le transfert ? Une rencontre improbable au milieu de nulle part - hors temps, hors lieu, hors normes, une histoire d'amour suspendue où ce qui n'est ni dit ni mis en acte ne se lit que dans les gestes, les regards. Que lui chuchote-t-il à l'oreille avant de partir, dans la dernière scène ?

08 janvier 2006

Après - coup

"Autrement dit, dans la parole, il s'agit d'aller à la rencontre de ce qui justement nous échappe. Le dire, on ne l'a pas. Ce que supporte la parole, nous n'en éprouvons le poids que dans l'après-coup. Etant donné la nature de la parole et du langage, chaque signifiant éclatant, toutes portes ouvertes à l'équivoque et à la multiplicité des significations relayées par l'inconscient, il faut bien se rendre à l'évidence : nous ne savons pas ce que nous disons. Ce n'est que dans la reprise, dans l'après-coup, que nous pouvons construire le sens des paroles prononcées, le sens de ce qui nous arrive."
"Ce qui a été dit dans le temps où ça a été dit nous échappe. (...) Le dire exige un déplacement dans le temps. Pas tout le temps et pas tout dans le même temps. (...) Peut-être alors s'agit-il dans la clinique, comme nous le suggère Jacques Derrida, de "donner le temps". Donner le temps, ce n'est pas donner quelque chose, c'est donner ce qu'on n'a pas. On n'a pas le temps. (...) Donner ce qu'on n'a pas, n'est-ce pas ainsi que Lacan nous propose de définir l'amour ?"
Joseph Rouzel, Psychanalyse pour le temps présent

Caché - Coucou

Je ne sais pas depuis combien d'années, quelqu'un ne m'avait fait la surprise d'inviter sans me le dire des gens que j'aime - de ces êtres de la famille de ceux qu'on perd doucement de vue sans le vouloir, malgré les promesses au moment du départ. A elle(s), merci.

Epidermique

Moi qui n'ai jamais été allergique à quoi que ce soit, voilà deux jours que je développe des crises d'urticaire aigü... me demande ce qui me met ainsi à fleur de peau ? Bon, bon, d'accord, j'ai bien quelques idées...

Parents trentenaires, ne pas s'abstenir

Si vous êtes né(e) entre 1965 et 1975, vous avez forcément dans un coin de votre mémoire auditive des tubes comme Born to be alive, Reggae Night, No milk today ou Barbara Ann.
Si vous êtes né(e) entre 1965 et 1975, vous avez peut-être écouté en boucle "La mélasse", ou "Je t'aime mon loup", d'Henri Dès.
Et si vous avez des pioupious entre... 0 et 10 ans, vous en avez peut-être un peu marre des "Rondes enfantines de notre beau pays de France".
Aujourd'hui, Henri Dès revisite les tubes de notre adolescence revus et corrigés pour les maternelles-primaires. The Butterfly Ball, ça ne vous dit peut-être rien, mais si je vous dis, le clip psychédélique avec la grenouille guitariste, vous situez ? En Henri dans le texte, ça devient :
"La télé on en en a un peu marre
Ca saute ça court dans tous les coins ça crie
Et si je te lisais une belle histoire avant d'aller au lit ?
Ma parole ma parole je t'assure quand on va commencer
Je te donne ma parole ma parole
qu'on ne pourra plus s'arrêter"...
Ou, "Ma Ma Ma Madeleine
Tu m'en fais oh petite soeur
Tu m'en fais voir de toutes les couleurs
Oh Madeleine
Sois pas vilaine..." option Beach Boys.
Et pour les fans de 1980, y a même une version rock'n roll de la Petite Charlotte.
Henri Dès, Polissongs

07 janvier 2006

La Terre nourrit tout...

... les sages et les fous. Le jour se lève, les oiseaux chantent. Sur une scène blanche, une femme déverse un plein sac de terreau, d'où surgiront de multiples jardins imaginaires. Tout le champ lexical de la terre y passe, des semailles à la floraison, la graine qui atterrit par hasard, le cycle des saisons, et celui du vivant. Une poule erre sur le plateau, une bonne odeur de soupe de légumes envahit peu à peu la salle, les arbres parlent, les roses trémières aussi. Un spectacle inventif, poétique, aux trouvailles visuelles multiples, constructions progressives à partir d'objets quotidiens - un panier, un sac de plastique coloré, un tuyau d'arrosage... C'est à partir de 3 ans, et sans limite d'âge, et c'est ici.

06 janvier 2006

Equilibre

"C'est déja tellement dur de se tenir debout, et après, on nous dit qu'il faudrait lâcher prise !"

Emma la clown sous le divan, solo de clown tenté par l'expérience de la psychanalyse, pour adultes accompagnés.

Mail Box

A propos de cette question de la protection et de l'exposition qui m'habite ces jours, et qui traverse aussi ce journal depuis qu'il existe (où tracer la frontière entre le public et le privé, la frontière entre le personnel et l'intime ?), je reçois aujourd'hui ce message : "L'intimité, c'est protéger le coeur de son coeur, pour ne pas se perdre."

05 janvier 2006

Petits bonheurs et clinique

"Pour le bonheur avec un grand B, c'est râpé. Heureusement, il y a tous ces petits bonheurs qui fleurissent au quotidien, ces parcelles d'éternité de joie, comme dit Spinoza. Il suffit de se baisser pour les ramasser sur les bords des sentiers de la création. (...) On peut les cueillir parfois, à condition de se baisser pour les ramasser. Cette humilité nécessaire pour ramasser les petits bonheurs me font associer à un terme du travail médical que l'on peut employer aussi dans le travail social. Il s'agit du terme clinique. La clinique nous vient d'un mot grec qui veut dire "se pencher". Se pencher, voilà le mouvement d'humilité, de retour sur terre si vous voulez, que désigne la clinique. (...) Se mettre à la hauteur de l'autre, veut dire ne pas s'y croire. Quelle que soit la fonction sociale que l'on occupe, il s'agit de ne pas se prendre pour la fonction, ni de prendre autrui pour le signifiant auquel on l'assigne."
Joseph Rouzel, Psychanalyse pour le temps présent

Quand la parole est acte (2)

A propos de la parole qui inscrit, qui construit, une femme peintre et qui peine à vivre de sa création me racontait récemment - nous tournions auour des messages symboliques laissés avant de mourir, du fantasme des "dernières paroles", que son père lui avait dit, avant son décès, "Ne t'en fais pas, les gens ne connaissent rien à la beauté". Et de ce qu'elle pouvait aujourd'hui construire là-dessus - "Avec ça, je peux peindre jusqu'à la fin de ma vie".

Quand la parole est acte

Cet après-midi, une jeune fille de 14 ans me raconte son père en prison depuis sa naissance, une mère qui l'a découragée voilà quelques années de lui rendre visite, un beau-père capable de lui asséner qu'elle n'aurait pas dû naître.
En classe ? Ca va bien... Parce qu'un professeur qui la connaît depuis la sixième s'est engagé auprès d'elle, en acte, en l'aidant à préparer un dossier pour la filière qu'elle souhaite, en parole, en lui transmettant sa confiance en une réussite possible, et la mission d'honorer cette confiance. Dans quelles terres est tombée cette graine, pour qu'elle ait pu germer, je l'ignore ; mais je sais que ce professeur a fait acte de prévention, d'éducation, de construction - sans bagage théorique, mais sans doute avec l'intelligence du coeur.
Je suis toujours émue par ces rencontres possibles, ces mots décisifs parfois sans que celui ou celle qui les a prononcés le sache. Que parfois, cela suffise, fonde un mythe sur lequel une vie malmenée peut commencer à se bâtir. Ce qui me vient, c'est le souvenir de l'abbé qui disculpe Jean Valjean au début des Misérables...
Deux idées autour desquelles je tourne depuis longtemps, le pouvoir créateur de la parole, et ce que devient, ce qui ne revient.

Les mots d'Elsa

"Moi quand tu seras petite tu viendras dans mon ventre maman !"

Elsa sous la douche : "Oh il pleut, les étoiles pleurent !"

Elsa sort du bain et enfile un peignoir blanc : "Moi je suis en impeccable !"

Elsa visite la ménagerie du cirque Zavatta. Grand-Mère lui dit, "Ne t'approche pas des bêtes, c'est dangereux, elles ne te connaissent pas." - "Moi, c'est Elsa !", déclare-t-elle, avant d'essayer de faire plus ample connaissance...

Elsa peste après les pépins des mandarines. De fil en aiguille, Grand-mère lui explique qu'avoir des pépins, signifie aussi avoir des problèmes. "Mais c'est pas ma faute si les mandarines ont des problèmes !", rétorque-t-elle.

04 janvier 2006

Humanité

De mon séjour au Maroc, ai rapporté pour mon cabinet une calligraphie arabe qui se lit quelque chose comme, al insanyia, l'humanité. L'humanité au sens de cette qualité commune d'être humain, d'êtres humains - quels que soient notre couleur de peau, notre religion, notre sexe, notre âge, notre apparence physique ou nos handicaps. Humains, et sujets.

Métamorphose

Penchez-vous.
Encore.
Si vous êtes attentif au tout petit,
vous finirez par voir l'invisible.


La désormais « Care Box » est née de deux années d’exercice patient du regard, d'attention aux très petites choses, de volonté délibérée de trouver ce que chaque être, chaque journée avait à offrir, et de le rendre en le partageant : "Take each moment as a gift, and give it back again." Deux années d'attention à ce qui tisse ma vie.

Elle s’appelait Boîte à Bonheur ; à l’aube de sa première année, elle se présentait ainsi :


« L'année nouvelle aidant, j'ai eu envie de matérialiser la boîte à bonheur, d'inventer un journal différent...pour ne pas faire la chronique de jours ordinaires mais pour induire une attitude intérieure d'observation et d'accueil, pour trouver un regard neuf, plus curieux, plus attentif… pour apprendre à remercier pour ce qui est, pour ouvrir l'espace au Tout-Autre, pour attirer l'attention sur le corps, le souffle, les sens, le sens… pour garder une trace des petits pas, des découvertes minuscules, et des questions fugitives, pour savoir si et comment ce regard peut tenir, dans le calme plat ET dans les bourrasques, pour (me) donner l'envie de créer d'autres instants encore... Aussi : pour en repérer les harmoniques... et plus si affinités. »

Et puis l’envie est venue d’élargir la boîte, grâce aussi à ses lecteurs attentifs :
"Ah ! C'est que moi, en lisant votre boîte de temps en temps, je vous imagine heureuse et comblée, picorant les moments de bonheur et vous régalant de rencontres. Il faudrait, tiens, imaginer une double boîte (bonheur/malheur), pour vous avoir entière..."

Non, pas de double boîte… ou, en tout cas, de boîte bonheur/malheur. Peut-être, une boîte à questions, à craintes, à tristesses, à doutes… une boîte à fragilités, à émotions, à fleur de peau - mais déjà là nous ne sommes plus si loin de la boîte telle qu'elle existe ? C'est le choix mesuré, et l'exercice au double sens du terme, d'un regard ; pas le choix d'un optimisme forcené et béat, ni d'un aveuglement délibéré à l'obscurité. Ce n'est pas une boîte à déni, mais une boîte à mémoire.

« Et une boîte à larmes, avec des mouchoirs en papier pour souffler dedans ; pour les jours de cœurs gros, déposer le trop plein ? Et une boîte à bisous, pour recueillir religieusement (?!) les gentils mots, les beaux blonds lumineux, les "tu es tellement...", les bruns irrésistiblement ténébreux, les grands capitaines dans lesquels on joue à se perdre et toute la collec' des fabuleuses chimères (she-mére ? ;o)) multi-têtes, multi-tout-de ? Et une boîte à grand-air, pour les jours d'asphyxie ; inspirer, souffler... vite... avant d'aller voir les pommes de trop près ? Et une boîte à hurlements ? Une autre à chuchotements pour les secrets ?.. Une boîte à claques, avec élection du Mister ou de la Miss du mois et palmarès en fin d'année, pour le prix spécial du jury ? Une boîte à pfffffffffff aussi, pour stocker les idées de bêtises, en prévision des jours de disette ?! »

Et d’enrichir la notion de bonheur :

"... mais un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'aurore - caressé par un chant, un sourire." Sylvie Germain, La chanson des mal-aimants