26 mai 2006

Wishlist

J'aimerais bien, être une maman toujours disponible et souriante, reine des travaux manuels et toujours impeccablement coiffée.
J'aimerais bien, être habillée comme dans Elle, épilée en toute saison, avec jamais une rondeur de trop ou alors judicieusement placée.
J'aimerais bien, être bien payée pour faire ce que j'aime, et ne pas avoir à me soucier du solde de mon compte en banque.
J'aimerais bien, avoir un appartement rangé et des enfants propres et peignés en pyjamas repassés, comme dans la pub Ricoré.
J'aimerais bien, être une professionnelle à la distance ajustée, à l'écoute toujours attentive et à l'intervention percutante.
J'aimerais bien, être une épouse, une mère, une fille, une petite-fille, une cousine, une amie, une marraine, j'en passe (et des forcément meilleures !), modèle, parfaite, qui n'oublie jamais les anniversaires, les feuilles d'impôts, le chèque pour la cantine, le petit mot qui fait plaisir, les chaussettes taille 27, les étrennes de la gardienne.
J'aimerais bien être toujours de bonne humeur, la fée du logis, l'ange du foyer.
...
J'aimerais bien, n'avoir que des réactions matures, des désirs autorisés, des bonheurs modestes, des rêves raisonnables.
...
... ça va pas, la tête ?
...
J'aimerais bien, m'ouvrir à tous les possibles. J'aimerais bien, être réellement la petite fille que je suis, l'adolescente que je suis, la femme que je suis - mettre en oeuvre la force que je pressens dans l'émotion, le désir, la joie, la créativité qui existent là.
"Je n'ose pas être aussi sérieuse que je le suis. Je n'ose pas être aussi peu sérieuse que je le suis. Je n'ose pas prier autant que je le voudrais, chanter autant que je le voudrais, me mettre en colère autant que je voudrais, aimer les gens autant que je voudrais, envoyer les gens promener autant que je voudrais, écrire avec autant de force et de mauvais goût que je voudrais, avec autant de naïveté - et de pages - que je voudrais. Dans mes moments d'optimisme, je me dis : je n'ose pas encore."
Françoise Mallet-Joris, La maison de Papier

24 mai 2006

Le coeur gros

Hier, ou aujourd'hui, j'ai écouté une fille exilée dire le deuil impossible d'une mère morte au pays, et ses errements de contraception à chaque date anniversaire, être ou ne pas être, ou ne plus être, mère.
Hier, ou aujourd'hui, j'ai entendu une maman d'adolescente qui n'a pas su voir qu'à trop se fondre l'une dans l'autre la rupture ne saurait qu'être brutale et dangereuse. Là encore, le deuil, l'exil, la perte de repères familiaux et culturels ont pesé lourd : une dame cambodgienne, maman de quatre enfants, un deuil, et la petite cinquième, enfant d'un homme parti à l'annonce de la grossesse, enfant chérie, enfant parfaite, enfant poupée, jusqu'à ce jour...
Hier, ou aujourd'hui, j'ai accueilli une femme veuve, maman de trois enfants qui a rebaptisé l'enfant né deux mois avant le décès de son mari du prénom de celui-ci, et qui dit le chagrin qui s'approfondit maintenant, la spirale descendante.
Hier, ou aujourd'hui, j'ai accompagné une jeune mère célibataire qui dit à mots fragiles les liens d'enfance toxiques, l'accident bête qui l'oblige aujourd'hui à quitter un métier qu'elle aimait parce qu'elle perd la vue, le compagnon épisodique qui ne s'assume pas père - et les joies pourtant.
Hier, ou aujourd'hui, j'ai cherché avec une jeune femme antillaise l'hôpital qui lui permettrait d'interrompre rapidement une grossesse pourtant désirée, parce que le père de l'enfant, immature et violent, a disparu dans la nature - et je l'ai entendu dire après les larmes, enfin soulagée, si mes propres parents ne s'étaient pas séparés, ils se seraient entretués - et je ne veux pas de cette vie-là pour moi - j'entends, il y a peut-être une chance à saisir, l'espoir de sortir du cercle de la répétition.
Hier ou aujourd'hui, j'ai reçu une mère totalement désorientée avec sa fille de 6 ans - une femme psychiquement malade, incapable de contrôler le flux et le sens de son discours devant l'enfant qu'elle n'a pas accepté de faire sortir - arguant qu'elle "savait déjà tout", dans le double sens du terme - de l'intimité parentale d'une part, de la sexualité et de la violence d'autre part. Que faire sinon contenir le discours de l'une, ménager une place à l'autre ? Une petite fille infiniment sérieuse, pertinente dans ses remarques, protectrice envers la mère, encore espiègle pourtant - bouleversante. De cet entretien qui m'a fait violence, je ne retiens rien, sinon d'avoir dit pour l'enfant qu'elle avait à vivre sa vie d'enfant, et d'avoir exigé devant elle de la mère qu'elle revienne sans sa fille, ou qu'elle la laisse jouer tranquillement dans la salle d'attente.
Et ce soir - j'ai le coeur gros.

21 mai 2006

Coup de coeur

Je vais bien. Je fais du théâtre de rue avec des gens que j'aime, qui me respectent, qui ne me prennent pas pour une folle qu'il faut impérativement guérir de l'envie de vivre différemment, qui m'acceptent telle que je suis. J'ai participé il y a quelques mois à un carnaval à Dunkerque avec les enfants d'une école. Ils étaient pleins de vie et tellement heureux d'être là, tellement heureux que je les fasse rire avec mon nez rouge et ma trompette (oui, j'ai enfin appris la trompette, et j'adore ça). J'ai couru et chanté, joué et dansé toute la journée et nous avons tant parcouru les rues de la ville en tous sens que j'ai fait mine de m'évanouir d'épuisement. Une maman a pris une photo à ce moment-là. J'ai eu envie que vous la voyiez, que vous mesuriez l'espace entre mon bonheur et l'idée que vous vous faites de ce qu'il devrait être.

20 mai 2006

Mots du jour

Blague psy
Elsa : - Faut pas tirer la queue du Ca,
c'est une grosse bêtise...

Illuminé
Léo, dans notre chambre tôt le matin :
- Je peux allumer les rideaux ?

19 mai 2006

Kafka sur le rivage

Mais je peux te dire une chose: les oeuvres qui possèdent une sorte d'imperfection sont celles qui parlent le plus à nos coeurs, précisément parce qu'elles sont imparfaites. Toi, par exemple, tu as aimé Le mineur de Sôseki. Parce que ce roman possède une force d'attraction dont sont dépourvues ses oeuvres parfaites telles que Le pauvre coeur des hommes ou Sanshirô. Tu as rencontré cette oeuvre. Ou plutôt, c'est elle qui t'a rencontré. C'est la même chose pour la Sonate en fa mineur. Ces oeuvres ont le don de parler au coeur comme aucune autre.(...)
- Nous perdons tous sans cesse des choses qui nous sont précieuses, déclare-t-il quand la sonnerie a enfin cessé de retentir. Des occasions précieuses, des possibilités, des sentiments qu'on ne pourra pas retrouver. C'est cela aussi, vivre. Mais à l'intérieur de notre esprit - je crois que c'est à l'intérieur de notre esprit -, il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j'imagine. Et il faut que nous fabriquiions un index, avec des cartes de références, pour connaître précisément ce qu'il y a dans nos coeurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l'aérer, changer l'eau des fleurs. En d'autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque.
Haruki Murakami, Kafka sur le rivage

14 mai 2006

Soufflées !

35 bougies, à la fenêtre pour un anniversaire surprise au-dessus d'une rue en fête, deux guitares et les badauds tête levée chantant joyeux anniversaire - 35 petits cadeaux en portrait chinois comme autant de gages d'amitié.
3 bougies, mais souflées plusieurs fois, par une authentique princesse en robe à crinoline avec diadème et baguette magique roses.
35 bougies encore, dans un lieu atypique et chaleureux - d'une année à l'autre les amis de nos amis, que deviennent-ils, rencontres, séparations, bébés en cours ou en projet, déménagements, changements de poste - à l'année prochaine - c'est tout, c'est bien.

08 mai 2006

Retrouvailles

Elsa Labbé est une femme qui s'applique, qui est raisonnable, et pourtant elle est attirée par ce qui n'est pas raisonnable. Elle sait qu'elle est ambiguë, qu'elle est équivoque, qu'elle est capable de n'importe quoi, que c'est fondamental en elle. Elle n'aime pas la guerre, mais elle est subversive. C'est pour ça que l'errance mentale l'attire, parce que l'errance mentale trouble l'ordre en-dedans, elle bouleverse les indications, elle les contrarie, elle peut les forcer à changer sans les attaquer directement. Il y a cette ambiguïté en Elsa : elle n'aime pas l'ordre mais elle n'aime pas se faire remarquer.
Marie Cardinal
(Cahiers de Lu, janvier 1990 : naissance d'une vocation, et peut-être, réalisé-je aussi, d'un choix de prénom - avec Aragon bien sûr.)

Un bonheur incompréhensible

Il est huit heures du matin, il fait doux malgré la pluie fine, je sors chercher des croissants - quelque chose dans l'air - mais quoi ? fait revenir la mémoire des petits matins d'Ars-en-Ré - enfourcher un vélo, le chant des oiseaux et la cloche de l'église qui vibre dans l'air tiède - je ne saurai jamais, pourquoi l'image s'est imposée soudain avec tant de force - une odeur imperceptible...
Un bonheur incompréhensible
Comme un sourire irrépressible
Ou comme l'ineffable joie
Qu'on éprouve à rentrer chez soi...
Anne Sylvestre
PS : Bonheurs compréhensibles : pique-niquer le long des quais de Seine avec les enfants et gaver les mouettes de frites grecques, retrouver les joies adolescentes des collages-montages, modeler des animaux en pâte à pain crue avec des raisins secs pour les yeux, et déguster nos créations dorées à l'oeuf battu.

07 mai 2006

Villa Amalia

"C'était une tristesse trop grande, vertigineuse, qui ne cessait pas, qui même s'acroissait. Tristesse trop grande même s'il n'y a jamais de tristesse trop grande pour les petits. Les petits connaissent les terreurs qui sont les premières, les terreurs princeps, celles qui sont sans référence dans l'expérience, qui plus jamais ne se retrouvent sur leur chemin. Les pires. Les tristesses abyssales."
"Finalement ils s'aimèrent. Ils ne s'aimèrent pas sexuellement. Mais ils s'aimèrent vraiment. Ils s'aimèrent comme deux enfants de six ans se seraient aimés. Aimer aux yeux des enfants c'est veiller. Veiller le sommeil, apaiser les craintes, consoler les pleurs, soigner les maladies, caresser la peau, la laver, l'essuyer, l'habiller. Aimer comme on aime les enfants c'est sauver de la mort. Ne pas mourir c'est nourrir. Sur ce dernier point, il l'aima plus encore qu'elle ne l'aima jamais."
Pascal Quignard, Villa Amalia

Love and let fly

(…)

A qui peut-on les dire, où peut-on les écrire, les phrases comme celles-ci ? Jamais, à leurs destinataires… Ceux-là ne peuvent être qu'absents – peut-être appartiennent-ils à une autre histoire, ou bien à une histoire ancienne, peut-être sont-ils morts, ou bien ailleurs, dans un insaisissable ailleurs – ou peut-être encore ne voulons-nous pas peser, mais simplement laisser aller – une forme d’amour ultime, aimer, et laisser aller.

Elles résonnent dans les harmonies mineures d’un concerto, elles illuminent les bleus-gris d’une esquisse au pastel, elles courent entre les lignes de lettres qui ne seront qu’un songe – elles perlent parfois au bord des paupières, voilent un regard, se trahissent dans un sourire. Et c’est tout.

Familles modernes

Elsa ne voit que rarement son grand-père maternel, qui vit à l'autre bout de la France. Comme il est de passage à Paris, nous partageons un goûter, passons un moment ensemble. Et puis, à peine la porte refermée, Elsa s'enquiert : "Y s'appelle comment, le grand gars bleu ?"
*****
Nous bavardons avec les enfants à propos du conte, La princesse et la grenouille. Léo avise une petite grenouille en plastique qui traîne près de nous, et me propose de l'embrasser pour voir si elle va se transformer en prince. Je m'exécute en riant ; après une imperceptible hésitation, Léo se met au garde-à-vous et, sourire mi-triomphant mi-j'ose-ou-j'ose-pas, dit "Et voilà un beau Prince !".

03 mai 2006

Autobiographie

I
Je marche dans une rue
Il y a un grand trou sur le trottoir
Je tombe dedans
Je suis perdue... impuissante
Ce n'est pas ma faute
Il me faut une éternité pour en sortir
II
Je marche dans la même rue
Il y a un grand trou dans le trottoir
Je fais semblant de ne pas le voir
Je retombe dedans
Je n'arrive pas à croire que je suis au même endroit
Mais ce n'est pas ma faute
Il me faut encore longtemps pour en sortir
III
Je marche dans la même rue
Il y a un grand trou dans le trottoir
Je le vois bien
Je tombe quand même dedans, c'est une habitude
J'ai les yeux ouverts
Je sais où je suis
C'est ma faute
J'en sors immédiatement
IV
Je marche dans la même rue
Il y a un grand trou dans le trottoir
J'en fais le tour
V
Je prends une autre rue.

Portia Nelson

Chiffons

Une collègue : "Ma grand-mère disait, dans une garde-robe de femme, il faut : du va-toujours, du pimpant, et du triomphant !"