28 mars 2006

Microscopique

Elsa : - Grand-mère, moi ze veux te faire un câlin !
Grand-Mère : - Oui, mais fais attention, j'ai des microbes !
Elsa : - Fais voir ?

Dette de vie

« En donnant la vie biologique, les parents se sont engagés à délivrer à l’enfant suffisamment de sollicitude, de limitations et d’interdits pour qu’il s’humanise. Ensuite, ils lui transmettront les savoir-faire nécessaire pour trouver sa place dans l’échange social. Ils lui auront ainsi permis de se différencier et de se séparer d’eux. (…)

Pour le sujet, le sentiment intime que ce qui devait lui être acquitté l’a bel et bien été (et que ce qui ne l’a pas été ne le sera plus) signe l’accès à l’âge adulte et témoigne de la capacité à s’engager à son tour dans une procréation responsable. Car il a alors contracté une dette de vie qui l’engagera à soutenir le grandissement de ses enfants à venir. (…)

Lorsqu’il arrive à l’adolescence, l’enfant a disposé de ses parents (géniteurs ou non) qui se sont acquittés de ce qu’ils lui devaient : le dû de la sollicitude maternelle et paternelle premières ; le dû d’un père, que lui a fait sa mère ; le dû des interdits de privautés incestueuses réelles ; et enfin le dû de la liberté, avec les moyens de la vivre. (…)

Le plus fécond des dons venant des parents, c’est celui de leur manque, de leur impossibilité et de leur refus de tout donner. (…) Ce manque, c’est la condition humaine et c’est aussi la source du désir chez chacun. C’est ainsi que les parents auront pu signifier à leur enfant qu’ils croyaient en lui et qu’il aura pu croire en lui-même. Voilà comment finit par se constituer ce sujet définitivement inachevé, suffisamment riche et assez endetté pour devenir parent à son tour et partenaire d’échanges sociaux. »

Pierre Kammerer, Adolescents dans la violence

Lune en Cancer

Cette semaine, la lune disparaît du ciel mais peut faire évoluer votre situation sentimentale, à condition de voir les choses différemment, c'est-à-dire de faire confiance à la vie pour recevoir ce dont vous avez besoin : amour, tendresse, chaleur et protection. Dites-vous que vous méritez ce qui existe de mieux. Mais pas seulement : soyez aussi prêts à l'accepter.
ELLE 01648

26 mars 2006

Projet d'écriture

"Ne rien dire, ne pas s'envoler dans le commentaire, rester à la confluence du savoir et de l'ignorance, au pied du mur. Montrer comment c'est, comment ça se passe, comment ça marche, comment ça ne marche pas. Diviser les discours par des faits, les idées par des gestes. Juste documenter la quotidienneté laborieuse."
François Bégaudeau, Entre les murs
Ce vers quoi je tends, doucement. Jusqu'à ce que les portraits esquissés aujourd'hui répondent un jour peut-être à ce souhait :
"Rencontres d'un jour, souvent. De ce que je peux entendre, je ferais bien histoire… L'envie me revient, d'animer un atelier d'écriture d'histoires de vie, de permettre à chacun de dérouler le fil. A défaut, je prends des notes, caresse l'idée d'un recueil, comme une envie de leur offrir une trace fût-ce à leur insu, une envie de témoigner : il a vécu cette vie, elle a vécu cette autre, et cela compte - cela n'est pas égal. A quinze ans parfois une vie déjà si longue…
Un moyen pour moi aussi de m'en sortir plus indemne : car cela n'est pas rien, d'être dépositaire. Ecrire : transformer la charge, partager le secret sans trahir l'anonymat, ouvrir au moins à cet espoir : que cette parole ne soit pas perdue pour ( tout) le monde."

24 mars 2006

Nourritures terrestres

Dans la chaleur paisible d'un cabinet inconnu, lors d'un entretien pourtant formel, puis dans le plaisir d'un repas partagé, une soirée d'échanges sans fard- beaucoup de plaisir, à la rencontre d'une psychanalyste toujours émerveillée par les humains qu'elle rencontre, au constat renouvelé d'une amitié profonde.

23 mars 2006

Kadiatou, ou reconnaissance

Kadiatou, c'est la femme du post "Misères". Kadiatou, c'est un stéréotype - une africaine énigmatique au sourire lumineux, sans papiers, sans ressources, sans famille ici autre que l'enfant qu'elle porte ; et une exception - parce qu'elle a fait des études là-bas au Mali, et qu'elle dit, ce que ses compatriotes ne peuvent ou ne veulent dire.
Que si elle avait su que ce serait si dur ici en France, elle ne serait jamais partie. Que repartir est impensable, parce que ceux qui reviennent sont considérés comme des incapables qui n'ont pas su profiter d'une chance unique (pour laquelle certains risquent leur vie dans les filières clandestines), et auxquels par conséquent personne ne tendra la main. "Ils sont maudits", dit-elle simplement.
Qu'avoir un enfant parti en France est un motif de fierté et de jalousies dans les villages, et qu'elle est tenue de rester et de réussir - d'envoyer de l'argent alors qu'elle n'a elle-même nulle part où aller.
Que cet enfant à venir, sans père pour le reconnaître, elle l'a gardé parce qu'elle a l'âge d'avoir un premier enfant ; parce qu'elle ne conçoit (!) pas de ne pas devenir mère, c'est-à-dire celle qui sera plus tard reconnue et honorée par ce fils ou cette fille ; parce qu'elle espère que la loi française, qui la protège partiellement pendant le temps de sa grossesse, lui permettra peut-être de rester sur ce territoire où naîtra son enfant.
Tout au long de l'entretien, court cette question de la reconnaissance - celle de l'enfant qu'elle porte, celle de l'enfant qu'elle a été, celle de sa famille et celle de la société dans laquelle elle vit - reconnaissance dans la double acception de, ce qui a à voir avec la dette et la gratitude, ce qui a à voir avec l'identité et la place.

22 mars 2006

Apaisement

Café

Autour d'un café ce matin, une collègue restitue une phrase entendue hier dans une émission de télévision : "Dans ce monde, on nous donne la vie mais pas le droit d'exister". Une phrase prononcée par une jeune femme comme celles que nous recevons jour après jour - prise dans une violence répétitive, dans des difficultés sociales et personnelles inextricables.
Suis doublement frappée à la fois par cette façon pertinente, percutante d'exprimer les choses, que je rencontre souvent dans ce public en grande détresse ; mais aussi par une interrogation sous-jacente - dans ce discours, manque la place pour la responsabilité qu'elle peut prendre de sa propre vie. Responsabilité, au sens de, répondre de - qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je peux faire, à partir de ce qui a été donné au départ - ici, le minimum, mais l'essentiel : la vie, du moins la possibilité d'une survie.

Ressource

A partir d'horizons professionnels différents, un projet riche de promesses : mettre en commun nos interrogations, nos cheminements, nos solitudes devant telle ou telle situation, mais aussi la joie de ces métiers où la rencontre, l'imprévu, la chance de pouvoir "exercer son humanité" nous nourrissent jour après jour. Créer des ponts entre vie personnelle et vie professionnelle, partager des lectures, et un commun plaisir d'apprendre - la première rencontre a donné son nom à un groupe en travail plus que de travail : Ressource.

17 mars 2006

Blindage, ou Misères (2)

"C'est bien toute la difficulté de ces métiers, leur difficulté et leur richesse ... se blinder un tout petit peu, pour rester utile, aidante, parce que submergée par l'émotion de l'autre on ne saurait plus être le soutien dont il a besoin, mais rester perméable aussi, prendre le risque que ça fasse un peu mal des fois, pour être dans une vraie relation humaine ... Sinon quel intérêt ?" (Une lectrice attentive ;-))
Ni poreuse - se noyer avec l'autre ne sera d'aucun secours à personne - ni blindée. Voilà. Je ne saurais mieux dire !

Fleur bleue

Ne rien prendre, mais recevoir ce qui peut être donné ? "Parfois, tu sais ce qu'une histoire contient d'impossibilités, tu fais avec. Et, malgré tous les obstacles, elle t'apporte infiniment plus qu'une relation toute simple. " Jonathan Zaccaï, à propos de "Toi et Moi."

16 mars 2006

Misères

Elles sont deux copines de 17 et 18 ans, discours pauvre, désorientation perceptible, obésité déjà installée - évidemment sans profession. L'une des deux vient pour un test de grossesse, elle a des rapports non protégés depuis six mois, le dernier date de la veille. A l'évocation de la possibilité d'utiliser la pilule, je vois la copine froncer le sourcil - que se passe-t-il ? 17 ans, 3 avortements dont une IMG à 5 mois de grossesse - par ailleurs en rupture familiale. Provinciales, elles sont hébergées à titre ô combien provisoire par des majeurs rencontrés en boîte qui ont déjà signifié à l'une d'elles qu'elle n'était plus la bienvenue. L'adresse où nous pourrions les joindre si nécessaire ? Elles ne la connaissent même pas. Elles sont souriantes, plutôt d'un contact facile - tragiquement en décalage avec la réalité de leur situation. Elles ne sont ni naïves ni insouciantes - mais absentes à elles-mêmes, dans un monde où nos préoccupations concernant leur santé physique et psychique n'a aucun sens.
Elle est Malienne, elle a 30 ans, elle est en France depuis trois ans - c'est une femme intelligente, éduquée, mais sans emploi, hébergée par un monsieur qui lui a fait savoir, ainsi qu'à l'autre femme qui vit sous le même toit, qu'une grossesse serait synonyme de mise à la porte. Bien sûr, elle est enceinte - de quatre mois ; bien sûr, elle ne l'a pas encore annoncé. Toutes ses pensées, de toute façon, sont pour sa mère restée au Mali, avec un homme qui multiplie les épouses et bafoue les règles très codifiées de l'organisation familiale traditionnelle. Sa précarité, sa grossesse passent bien après son l'inquiétude, la colère et la honte qu'elle ressent face à tout cela. De son exil elle dit, les gens d'ici ne peuvent pas comprendre, la précarité en France n'est rien par rapport à ce qu'elle est en Afrique. Elle dit aussi, partir, dans l'espoir de pouvoir un jour aider ceux qui sont restés là-bas, est la seule chose qu'un enfant puisse faire pour sa famille... Elle dit encore, je ne peux pas envoyer de l'argent à ma mère, mais je l'appelle chaque semaine pour lui dire que je l'aime, parce que rien n'est plus important que les liens parent-enfant. Elle consulte pour rompre sa solitude, tenter de se retrouver autrement qu'à travers les entretiens sociaux qui se multiplient pour faire face à la complexité de sa situation.
Elle, elle, elle... jour après jour, les récits s'égrennent - à l'expression de mon sentiment de surcharge un jour récent, une collègue a simplement répondu, il va falloir que tu te blindes... Non. Et, si cela devait arriver un jour, j'espère que j'aurai la présence d'esprit de changer de métier.

12 mars 2006

Ménage de printemps

En m'attaquant aux piles de documents en vrac dans mes tiroirs, je retrouve ces phrases de stagiaires notées au vol :
"Oui, mais ce qu'on sait, ce n'est pas ce qu'on fait ?!" - voilà - et c'est ce que je trouve intéressant dans la formation pour adultes - moins de transmission de savoirs que de partages d'expérience.
"Il y a une phrase qu'on dit chez moi : partage ton pain, il diminuera ; partage ta maison, elle restera identique ; partage ton coeur, il grandira." Que la phrase soit énoncée, par une assistante maternelle ASE, ne surprendra personne. Pour mémoire, ce sont ces dames :
Imaginez un métier qui vous confronterait, 24 heures sur 24, à l'impossible. Un métier qui consisterait à accueillir dans votre propre foyer des enfants aux vies chaotiques, aux problématiques insolubles. A accueillir pour un week-end, un mois, un an, vingt ans - sans pouvoir le prévoir - des enfants dont vous ne sauriez rien, ou si peu, devinant l'impensable derrière leurs comportements erratiques, leurs blessures mal cicatrisées.
Un métier sans appuis logistiques, sans bagages théoriques - rien d'autre que votre propre cœur et votre propre histoire - votre volonté fondamentale de prendre soin. Un métier de longue patience et d'amour au quotidien ; un métier d'apprivoisement, de reconstruction lente, de réussites minuscules et d'échecs douloureux, parce qu'apprendre à aimer, et déjà à se laisser aimer, est si difficile pour ces enfants-là.
Un travail qu'aucun travailleur social, aucun psy, aucune institution se serait à même de faire : dans chaque instant du quotidien, prendre soin. Un métier peu reconnu, à peine considéré, et qui ferait parfois sérieusement tanguer votre propre famille ; un métier forcément trop peu rémunéré, parce que le dévouement de chaque minute avec des enfants toujours abîmés dans leur cœur, souvent dans leur corps, ne se chiffre pas.

03 mars 2006

Flocon


La Care Box sera sous la neige jusqu'au 12 mars.

Fondre

Ce matin, une petite Elsa mal réveillée, bouille chiffonnée, s'avance vers moi. Qu'est-ce que tu veux ma belle ? "Moi ze veux toi !" - dit-elle en me tendant les bras.

02 mars 2006

Vraie bonne idée

"Minne et moi roulons sur une route de Bourgogne... Nous sommes en pleine lecture du roman de Roth... Elle lit depuis trois bonnes heures et sans répit. Elle ne force jamais le ton. Elle anticipe et souligne à peine les intentions de l'auteur. Voyager, désormais, c'est me laisser glisser au fil lucide de sa voix ; la plupart de nos itinéraires se confondent avec ces heures de lectures, et les romans s'écrivent entre deux villes. (...)
Ce n'est pas l'excitation du voyage, ni sa durée, ni sa destination, ce n'est pas le plaisir de partir ou l'impatience d'arriver, ni la curiosité du chemin, ce ne sont même pas les pages que l'autre lit à celui qui conduit, non, c'est autre chose... Ceci, peut-être : une fois partis ensemble pour où que ce soit, notre temps commun, lui, s'immobilise tout à fait."
Daniel Pennac

01 mars 2006

Suivre ou accompagner ?

Ce matin au cours d'une réunion, je décroche du contenu pour me laisser porter par les mots avec lesquels nous décrivons nos actions - suivi, prise en charge, accompagnement, de quoi parlons-nous ? L'accompagnement des femmes enceintes me fait de plus en plus me défier de la notion de prise en charge, tant j'ai le sentiment que mon travail consiste justement à rendre à l'autre sa capacité à être responsable de lui-même.
Le suivi m'évoque l'inscription dans le temps, mais aussi quelque chose de l'ordre de la passivité, d'un désengagement de celui ou celle qui "suit" (et que dire de ceux que nous suivons - patients, clients, usagers - êtres en souffrance mais en chemin ?).
De plus en plus j'aime accompagner - un petit bout de chemin ensemble, dans une dissymétrie relative mais dans une égalité d'humain à humain - une présence pour briser l'isolement, proposer un regard différent sur ce qui se joue, c'est peu, c'est déjà beaucoup.