23 novembre 2021

Grizzly de mon coeur

Quand je pense à toi, la première chose qui me vient c'est la densité de ta présence, la vibration de ta voix, la profondeur de ton regard qui prenait toutes les couleurs de la mer. C'est la force de tes mains, qu'elles soient à la barre d'un voilier ou se réchauffent autour d'un thé brûlant, ces mains qui savaient réparer, apaiser, combattre, guider, et tellement d'autres choses encore...

Quand je pense à toi je pense à ces îles atlantiques que tu aimais tant, au rythme des marées, flux et reflux, le temps change vite, le ciel se couvre, le grain n'est jamais loin... mais comme pour les îles océanes, il suffisait d'un rayon de soleil pour t'illuminer à nouveau, ton regard était alors comme un immense ciel bleu, lavé de tout, baigné d'une telle lumière...

Quand je pense à toi je vois cet homme qui exaspère ou séduit tour à tour, parfois les deux en même temps... ce Taureau qui incarne le courage et la persévérance, cette énergie tellurique, tellement irrésistible...

Quand je pense à toi je pense générosité profonde, et droiture - toi qui a joué avec toutes les limites ta vie durant, tu es pourtant un des êtres humains les plus intègres, les plus nobles que j'ai rencontrés.Un homme de parole, un grand seigneur, un homme de cœur, avec qui tout était bigger than life, plus grand que la vie, tellement au-dessus de la bêtise, de la mesquinerie, de la petitesse humaine...

Les humains, tu ne les aimais pas beaucoup ; il faut dire qu'ils t'ont si précocement et si souvent blessé, trahi, déçu... et pourtant, ils ne sont jamais parvenus à éteindre cette flamme d'amour en toi - c'est toi qui me l'as dit un jour : il vaut mieux être allumé qu'éteint. Cette flamme qu'une thérapeute t'avait restituée un jour de la façon suivante : au fond, vous êtes un transporteur d'amour...

Quand je pense à toi, je pense à cette intelligence aiguë, à cette lucidité ravageuse, à cette capacité à lire en l'autre comme dans un livre ouvert. A cette façon que tu as d'entendre ce qui n'est pas dit, de voir au-delà des apparences, de redonner courage, d'amener l'autre à être toujours un petit peu plus grand que lui-même, à faire un pas de plus... Cette capacité à insuffler de la vie, de l'élan, de l'espoir, à nous faire croire, à chaque fois, que la vie commence AUJOURD'HUI, toi qui as si souvent recommencé la tienne.

Quand je pense à toi, je pense à la tendresse infinie de ton cœur, à la profondeur du regard que tu savais poser sur les choses et sur les êtres, à ta sensibilité aiguë à la beauté sous toutes ses formes – à ton immense pudeur aussi, mal dissimulée par ton apparente brusquerie. 

Pour la façon dont tu as si souvent bouleversé ma vie, pour tout ce que tu m'as offert et qui ne sera jamais perdu, MERCI... Parce que je sais que de là-haut, tu vas continuer à veiller sur tous les êtres que tu aimais, MERCI... Parce que ton absence va nous inviter plus que jamais à vivre à la hauteur de ton âme, MERCI... Toi qui savais aimer comme personne d'autre au monde, tu avais tant de mal à te croire aimé : regarde, Hubert, regarde mieux : tu n'es pas seul, tu as été, tu es, tellement aimé...

14 novembre 2021

Lui


Lui il escalade les collines et il se promène sur les pics
Lui il pleure quand il dit je t’aime et il rigole les jours de deuil
Quand il a rien il partage tout, quand il a tout, là, je sais pas
Il prend sa douche sous la pluie avant d’aller bronzer à l’ombre
Et quand il hurle on n’entend rien mais quand y s’tait ça raconte tout
Quand il a mal il est vivant, mais au calme il pense à la mort
Quand il te mord, ça fait du bien, il a des sourires assassins
Quand tu sais tout, il fait l’idiot, quand tu sais plus, il est chez toi
Il a vingt-quatre points cardinaux, mais n’marche que dans une direction
Lui il connait la terre entière, mais jamais ne tutoie personne
Lui qui pousse dans le bordel, il te souhaite le repos chez toi

Il est perdu, oui, mais partout, il est discret, mais tu l’as vu
Il cause de rien mais il en sait, lui il s’enfuit quand on s’en fout
C’est la boucle du nœud de tout et c’est la niche des fragiles
Lui il te tape dans le dos sans jamais s’essuyer la main
Il a la caresse lointaine des gens dont on partage le sang
C’est celui qui n’est jamais là, beau comme une carte postale
C’est un genre de maître à penser qui t’amène au premier métro
C’est celui qui fait jamais gaffe quand ta gaffe te met les joues rouges
Lui il court loin devant ses pompes, jamais il s'trompe, il tente tout
Lui c’est l'timide accompli qu’a des ripostes terrifiantes
Lui c’est la source de la tendresse et le point d’interrogation

Loïc Lantoine, Lui

Le Coeur sur la table, réponses

Vous l'avez écrit : la réponse a vos questionnements infinis n'est-elle pas la confiance en vous-même, la confiance en la VIE ?

Se tenir debout, mais pas comme un roc immobile et statique sur laquelle la vie se fracasse, mais plutôt comme un roseau qui danse sous les caresses sous le vent, qui bourgeonne et fleurit sous le soleil et sous la pluie, qui prend toute la variété de ce que la vie lui offre, jamais statique même si au repos, jamais cassé même en pleine tempête, toujours en capacité de se redresser vers le soleil quand ses rayons le  caressent à nouveau...

13 novembre 2021

Le Coeur sur la table, questions

Ce matin j'ai eu un élan de joie en écoutant un podcast sur l'amour aujourd'hui (il me reste encore quelques épisodes à découvrir), une femme témoignait d'une relation longue et belle, mais jamais définie comme une relation de couple, qui accompagne sa vie depuis de nombreuses années, indépendamment de ce que l'un et l'autre vivent – ou non, suivant les périodes – de leur côté. Un lien magnifique, qui ne se fracasse pas contre quelque devoir ou quotidien que ce soit, qui reste, après des années un désir, un libre choix, un élan.

Elle en parlait comme de sa plus belle histoire d'amour – tellement de tendresse, un infini respect, le sexe important à certains moments, secondaire ou inexistant à d'autres, une connaissance et une acceptation profonde de l'autre, une solidarité, la joie de partager des moments d'exception, mais aussi d'être témoins du chemin parcouru, de l'infiniment précieux de ce regard constant, confiant, aimant...

Peut-être qu'on devrait toujours aimer comme ça. Peut-être ne peut-on aimer, véritablement, que comme ça. Dans l'infini respect de la vie de l'autre, et de la nôtre aussi. Évidemment, ça suppose d'assumer solitude, fragilité, angoisses diverses et variées, et mouvements de tristesse parfois, comme aujourd'hui... 

Pas comme un mouvement d'avidité (je veux TOUT, et ne rien choisir), au contraire, comme un lâcher-prise, ouvrir les mains, ne rien serrer, ne rien retenir... Si je quitte le récit social, prince et princesse, petite PME conjugale, mythes de la fusion, de l'éternel, de la prédestination, si je me fais suffisamment confiance pour me tenir debout toute seule, que reste-t-il ? La beauté de chaque rencontre...

Une autre témoignait de joyeuses périodes d'entre deux couples, mais toujours avec en toile de fond cette peur d'être seule, l'attente de la prochaine Histoire – qui arrivait, la ravissait, dans le double sens de la joie mais aussi de la perte d'elle-même, se délitait, et puis la ramenait dans ces moments vivants et libres – jusqu'au jour où elle a décidé d'assumer que ce qu'elle VOULAIT vivre, c'était précisément cette liberté, qui n'était pas synonyme de consommation effrénée ou de mépris de l'autre mais au contraire d'accueil de la singularité, de respect, de tendresse et d'une légèreté qui n'excluait pas pour autant la complicité, la solidarité, la sincérité – bien au contraire ?

05 novembre 2021

C'est quoi un homme en vie ?

Frédéric Dard aimait Michel Audiard. Simplement, il le dit :

"Qu'est ce qui nous prend, Michel, de mourir comme des cons, nous qui pourtant savions vivre. Nous l'avions compris que tout cela, la vie, la mort, les autres, n'était qu'un immense malentendu. Alors, parce que nous avions respiré un grand coup cette évidence, on passait outre. 

On faisait un peu semblant, juste pour dire : semblant d'écouter, semblant d'écrire, semblant de compter en banque, de voter aussi parfois, semblant d'être Michel Audiard et Frédéric Dard. [...]

On ne demandait qu'un peu d'amour et de vin rouge. On tissait notre liberté jour après jour. Ça, oui : notre liberté, Michel ! Parfois, au coin d'un bois, après une salve de calembredaines, on a hurlé un bon coup. Pas à la mort, Michel : à la vie. Elle était tellement plus redoutable, plus gueuse et féroce. J'ai encore dans l'âme certains de ces cris que tu as poussé par des nuits sans lune où tout ça devenait trop terrible à supporter. 

Des cris comme celui que lance Anthony Quinn à la fin de La Strada quand il comprend que la vie est finie et qu'elle a eu lieu sans lui. 

Michel, je nous revois en train de pisser, chez Lipp, des Bordeaux de qualité que nos moyens nous permettaient. On ressemblait à deux bourrins dans leurs stalles et on échangeait des répliques à cent mille balles pièces ! 

On se racontait nos maléfices, à mots couverts, on se débusquait les chagrins avec des voix sarcastiques et nos larmes rentrées s'en allaient à travers nos vessies. 

Ils vont passer et repasser tes films, mon drôle. Et dire comme quoi tu as été ceci, cela. C'est l'instant tragique des capotes anglaises nécrologiques. Chacun va sortir sa boîte de superlatifs. On va t'astiquer la mémoire. [...]

Moi, ce que je vais leur répondre à ces vernisseurs de cercueils, c'est que tu auras été un vrai bonhomme en vie et qu'il n'y a pas de mort qui tienne. Tu le resteras. 

C'est quoi un homme en vie ? C'est un homme qui comprend tout et devine ce qu'il ignore. C'est un homme qui transforme sa misère en chanson de salle de garde et qui se cache pour se gratter la peau de l'âme comme si c'était celle de ses couilles. 

Un soir, dans une chambre d'hôtel à Venise, j'ai lu d'une traite ton dernier livre : La nuit, le jour et toutes les autres nuits. 

J'ai reçu comme une balle dans la peau. Après l'avoir refermé, je me suis mis à chialer. Ces larmes, je l'ignorais, étaient un acompte sur le chagrin d'aujourd'hui. Comme je me sentais inconsolable, je t'ai écrit une longue lettre à laquelle tu n'as pas encore répondu. Mais ça ne fait rien, j'attendrai."

- Frédéric Dard