29 janvier 2019

Refuges

Ces lieux anonymes et chaleureux à la fois, cafés parisiens plus ou moins revisités par des décorateurs fashion mais vides à ces heures de la journée, qui servent du vrai chocolat chaud ou du thé en vrac dans des espaces aux teintes douces - des bistrots fantasmés, confortables, protecteurs. 

Ces lieux où je traîne mon coeur quand il devient trop gros, me renvoie cette douleur physique familière, presque amicale, qui m'accompagne à intervalles réguliers depuis si longtemps. 

Ces lieux où je ne suis personne, et brièvement non pas invulnérable, mais bercée, lieux qui me sont une sauvegarde ou un garde-fou, une respiration nécessaire - un moment d'absence possible, un répit, une grâce. "Je n'y suis pour personne" - sauf pour moi, habitant dans l’espace d'une seule minute toute une vie libre et rêvée, sans autre urgence que l'écriture ou l'observation des passants de la grande ville.

Ces lieux dans lesquels je me sens plus chez moi que chez moi parfois, car désencombrée de tout  y compris de moi-même - lieux sans angoisse et sans combats - mes résidences secondaires.

21 janvier 2019

Résonances

"J'aurais aimé que tu me prennes sur ta hanche, dans un demi-sommeil, comme un jeune animal suçant le lobe d'une de tes oreilles, une fille impudique, une petite ourse kodiak - je t'aurais aimé, les jambes serrées autour de ta taille, tu m'aurais emmenée partout avec toi, j'aurais vraiment été ton enfant alors non ? J'aurais été ton bien le plus cher, cette charge sur ton coeur. Regarde : j'aurais eu le dos rond, et toi, mes cheveux dans ta bouche, tu avancerais, une mèche entre les dents, comme un braconnier ou mon meilleur ami.

A côté, il avait noté : oui. C'est ça. C'est ça que je voudrais moi aussi. J'ai répondu à tout hasard dans la marge, mais je suis trop vieille pour être ton enfant maintenant - et quand je suis rentrée à la maison (...) il m'a dit : Tu es toujours mon enfant. Tu es ma toute petite. Tu es mon grand amour, Caroline."

"Mais je me rappelais aussi lui avoir dit, dans cette discussion ou dans une autre, qu'elle était solide, et comment elle avait secouée la tête, contrariée. Tu ne comprends pas. Je suis solide parce que je ne sais pas faire autrement. Ce n'est pas une bonne chose."

Julia Kerninon, Buvard

19 janvier 2019

Coup de soleil

C'était un délicieux week-end - et une coupure fort bienvenue dans cette période inquiète. Une jolie et spacieuse maison d'hôtes en Bourgogne - adresse à retenir, une organisation bien pensée, et déjà 30 bougies pour Cyril ? J'étais contente de découvrir leurs cousins, Julie et Hubert, de revoir Francis ainsi que Marie-Jo et Bernard, toujours aussi haut en couleurs (et qui mériterait un post à lui tout seul, cet ours-sculpteur unique en son genre). Beaucoup de gentillesse et de simplicité dans ce petit groupe...

Mais ce qui est le plus agréable, c'est cette fluidité, cette complicité entre nous trois (et nos amours aussi, tout ce petit monde s'entend très bien), un lien qui se tisse un peu plus à chaque rencontre et aujourd'hui va de soi. C'est touchant d'avoir vu la proximité entre Cyril et Clara adolescents et Léo et Elsa petits évoluer vers le lien entre les adultes que nous sommes maintenant. La génération du milieu a changé de rive... et ce ressenti de famille n'a fait que croître. Autrefois beaucoup grâce à l’intelligence de coeur de Gene, maintenant aussi par nous-mêmes - et j'espère que mes enfants auront la chance de bâtir une belle histoire comme celle-ci avec leur petite sœur à naître.

Ci-dessus mon petit moment coup de coeur - où nous nous sommes découvert un inattendu goût commun pour les chansons françaises eighties joyeusement beuglées en karaoké - goût qu’assurément aucun de nos parents ne nous a transmis !

J'ai attrapé un coup de soleil
Un coup d'amour, un coup d'je t'aime...

15 janvier 2019

Sisyphe

Ce serait sûrement possible - de digérer doucement la violence de la rupture de contrat à la Cité et les démarches juridiques qui l'accompagnent, l'absence d'allocations chômage, la cessation du statut de profession libérale, les interminables complications administratives qui s'en suivent, la perte de revenus vertigineuse, la pauvreté des opportunités d'emploi dans mon secteur. 

Ce serait possible - de continuer à trouver l'énergie de tisser un patient et vital réseau de professionnels, qui seul me permettra de retrouver un emploi intéressant. 

Ce serait possible - de continuer à travailler au plus près de la souffrance humaine, et d'accueillir les mouvements angoissés ou dépressifs de mes patients sans en être par trop affectée.

Ce serait possible - d'affronter les to-do lists qui se régénèrent avec constance, et de garder de l'élan, de la créativité, la confiance dans une possibilité peut-être d'inventer par moi-même mon activité de demain. 

Ce serait possible - de laisser glisser d'un si possible gracieux mouvement d'épaules le remariage et la future paternité du père de mes enfants. 

Ce serait possible - mais pas si Elsa se fragilise à nouveau. Pas si ce qui a été patiemment mis en place pour la ramener dans la vie des adolescents de son âge - une maison, un foyer, un établissement ultra-protégé, un projet d'avenir, du soin à la carte - ne suffit à nouveau plus à contenir ses angoisses - car le temps est  désormais compté pour un maintien en milieu normal. Je ne suis pas sûre d'avoir encore encore la force d'accompagner un quotidien funambulesque, de ré-entendre parler de soins-études ou d'hospitalisation. Je suis à court d'énergie vitale, de pistes, au bout de mon impuissance - heureusement, pas de mon espoir.

12 janvier 2019

Enchantée

Parce qu'il en faut - des enchanteurs, dans ce monde...

J'aime beaucoup l'idée qu'un libraire fantasque et lui-même assez ursiforme ait eu l'impulsion d'acheter cinquante nounours géants pour le seul plaisir de créer du lien dans le quartier. Une bouffée de bonheur gratuite, un antidote à la mauvaise humeur parisienne, un délire contagieux - les ours sont prêtés aux commerçants ou aux habitants qui en font la demande, mis en scène, photographiés, et ce samedi ils se sont même... mariés !

Juste comme ça, pour le plaisir de faire naître échanges et sourires - et ça marche, il y avait foule ce samedi à la Mairie du XIIIème. Les gens se parlent, sourient, câlinent, s'émerveillent, certains (et pas uniquement les plus jeunes) avaient emmené leurs propres doudous, tout le monde retombe en enfance et les barrières sociales s'effondrent en douceur, amorties par ces Teddy Bears géants. Et moi, je suis venue y respirer un peu de tendresse et de poésie, de quoi nourrir ma conviction que les humains ne sont pas si désespérants, pour peu qu'on leur parle au coeur.

03 janvier 2019

Palais de Tokyo Fan

Décidément j’adore aller traîner là-bas. J'avais aimé Enfance, j'ai adoré On air - avec les tissages de l'araignée pour fil (!) conducteur mais qui décline aussi sous toutes ses formes le thème de l'air, des ondes - sons, chaleur, distance et temps, pollution, respiration, vol, et aussi des interconnections, du réseau, de l'écosystème.

La toile de l'araignée évoque tout cela, et bien d'autres choses : architectures fantastiques, nébuleuses, végétaux improbables, réseaux synaptiques ou informatiques - et appelle à l'imagination, comme dans ce court texte attrapé au passage (que je traduis à ma façon car l'ambiguïté des mots le rend encore plus intéressant) :

Il n'y a pas de règles à ce jeu, seulement des provocations : faire de nouveaux liens entre ce que vous percevez et les cadres de référence qui conditionnent votre compréhension. Des observations joueuses peuvent remettre en question les histoires que nous (nous) racontons. Faites vos propres enchevêtrements.

J'aime aussi la façon dont le Palais sollicite la part d'enfance - on est bien loin des académiques autant qu'ennuyeuses expositions du Centre Pompidou. S'émerveiller devant les toiles d'araignée naturelles, faire résonner les fils du très graphique réseau sonore final, souffler sur les ballons d'hélium translucide pour dessiner des chemins imaginaires - autant de petits bonheurs éphémères et poétiques que je n'ai trouvés nulle part ailleurs.

02 janvier 2019

Mission impossible ;-)

"Ce qui est fatigant avec les familles recomposées, c'est qu'il faut être intelligent TOUT LE TEMPS."
Marion

Voilà. C'est exactement ça. C'est riche, et confrontant, et passionnant, toutes ces nouvelles familles avec leurs multiples beaux-parents, grands-parents, demis et quarts de sœurs ou de frères, mais c'est un sacré challenge de ménager toutes les susceptibilités, de créer et d'entretenir les liens, de ne pas réagir trop au quart de tour, de différer, de tempérer, et de réunir les uns et les autres, a fortiori dans ces périodes de fête.

Oui, c'est fatigant d'être intelligent tout le temps. Et peut-être ça fait du bien se se rappeler que ce n'est pas tout à fait possible, en tout cas bien difficile, et que ce n'est pas grave, qu'on en est tous un peu là, à tâtonner, et à faire de notre mieux, ce qui est déjà beaucoup.