27 septembre 2022

Drôles de zèbres

Semaine de reprise chez les étudiants - mais qu'est-ce que j'ADORE ce job, la diversité des profils, ces petits prodiges cultivés et fragilissimes qu'il s'agit d'apprivoiser dès la première rencontre - si l'interlocuteur ne va pas à leur vitesse, ils abandonnent - c'est un challenge à chaque nouvel étudiant... et certains lundis matin, c'est un peu raide pour moi au démarrage : est-ce que je peux d'abord reprendre un café s'il vous plaît ?

Souvent au-delà du scolaire ou du familial, ce qui permet de les accrocher, et qui parle d'eux bien mieux que leur pedigree académique, ce sont leurs centres d'intérêt, tout l'extra-scolaire, les œuvres artistiques, livres, films, musiques, les engagements militants ou les rencontres - qui les ont marqués... et là ça devient passionnant.

Depuis ce seul lundi, il y a eu - entre autres :

- ce touche-à-tout génial et ultra-engagé qui vient confier son angoisse face à un sentiment de persécution qu'il identifie, à juste titre, comme délirant (ce qu'il faut de confiance pour oser s'en ouvrir...)
- cette jeune femme sortie d'une seconde hospitalisation , enfin impliquée dans les soins, qui a eu cette intuition d'adopter un chien - prendre la responsabilité d'un être vivant pour mieux s'accrocher à la vie
- cette autre en double cursus qui arrive ultra-défendue, parle avec un débit de mitraillette mais laisse entrevoir peu à peu à la fois une souffrance profonde et une créativité artistique, un militantisme bien présents
- ce jeune homme apparemment bien dans sa peau qui confie sans ambages ses difficultés sexuelles et fait le lien, dans l'espace de cette première rencontre, avec une histoire transgénérationnelle de violence du masculin
- cette jeune autiste Asperger chinoise, qui force le respect par sa capacité d’adaptation et d'apprentissage de codes sociaux qui n'ont pourtant rien d'évident pour elle
- cette flamboyante étudiante d'une université prestigieuse dont la violence sous-jacente me glace, au-delà de son apparence et, pour le coup, de sa parfaite maîtrise des codes de son milieu
- cet étudiant chinois anglophone, dont j'ai déjà parlé, qui interroge ses limites relationnelles face à un potentiel directeur de thèse qui fonctionnerait un peu trop comme lui - ces petits virtuoses des maths ultra-rapides intellectuellement mais socialement démunis, potentiellement agressifs lorsqu'ils sont submergés émotionnellement
- cet amoureux de Rimbaud en transition entre deux universités, qui ne dépend plus de notre service mais revient faire le lien avant la prochaine consultation avec son psychiatre, estimant à raison que le filet de sécurité n'est pas assez resserré au vu de l'intensité de sa détresse
- ce "petit" nouveau - 13 ans en lycée plus qu’élitiste, 20 ans en M2 d'un domaine scientifique ultra-théorique, QI qui crève le plafond, et une solitude absolue car tellement incompris de son entourage depuis toujours...

C'est un privilège, de travailler avec et pour eux. Pour cela aussi, gratitude !

13 septembre 2022

08 septembre 2022

Le bleu du ciel

C'est tout ce que je vois depuis ma nouvelle chambre ; et la nuit, la lune et les étoiles. Nous y sommes... dans ce lieu, rêvé, imaginé depuis des mois. Je suis ravie, Elsa aussi, Léo... nous attendrons son retour de Berlin pour qu'il découvre ! J'aime tout, le petit escalier intérieur, les poutres apparentes, la cuisine ouverte, l'espace si lumineux de la grande pièce à vivre... un lieu qui coche toute les cases, proximité du métro, centre-ville et marché, charme de l'atypique. Un lieu rempli de bonnes ondes - si gardien du lieu il y a, il est bienveillant, cet endroit respire... et il est habité par l'espérance, l'énergie et l'amour investis dans ce projet, par nous bien sûr, mais aussi par Maman et à travers elle, par mes grands-parents, et encore par Samir qui en a assuré la transformation et l'emménagement - j'adore cette idée que le soin et le sens du détail qu'il apporte à ses chantiers aient rendu ma maison "habitée" avant même que j'y sois - et ce n'est pas terminé. A tous, aux anges gardiens visibles et invisibles et à la vie, gratitude...

07 septembre 2022

Faire surgir la parole

Vous savez ce que c'est une interview ratée ? C'est une interview où j'ai mal fait mon boulot, moi, pas l'invité. Je vais vous dire pourquoi, c'est parce que ma grand-mère et ma mère me l'ont toujours appris : tout le monde a quelque chose à dire, et tout le monde peut être passionnant, à condition qu'on puisse l'écouter, qu'on sache faire surgir cette parole, mais vous savez, c'est un travail, c'est un métier...

Augustin Trapenard

Je crois que c'est vrai aussi dans mon métier. La rencontre qui ne se fait pas, le suivi qui patine, l'ennui qui s'installe - c'est sans doute aussi parfois parce que j'ai mal fait mon boulot. En tout cas - cette humilité me parle, et ce présupposé aussi : tout le monde a quelque chose à dire, et tout le monde peut être passionnant. Avec un nouveau patient, le premier moment où j'entends sa petite musique singulière, où quelque chose - un tout petit détail quelquefois, m'émeut, je sais que notre travail a commencé.