31 janvier 2020

Trajectoires étudiantes

Un Suédois anglophone au débit de mitraillette (et à la destructivité équivalente), en fragile équilibre sur le bord d'une psychose non décompensée.

Une Juliette libanaise, en couple secret avec un Roméo Polonais athée, tiraillée entre deux mondes, vivante incarnation du "on ne peut contenter tout le monde et son père".

Un.e  étudiant.e  qui se décrit comme trans et bi, trop préoccupé par la question de son coming out auprès de ses parents (et notamment autour de son souhait de transition) pour continuer à investir des études choisies sans réel désir déjà.

Une future brillante avocate en double voire triple cursus qui passe comme une flèche évoquer les violences graves subies dans l'enfance mais qui comme le lapin blanc d'Alice, n'a surtout pas le temps de se poser - parce que les cours, les stages... quel sens aura eu pour elle cet unique entretien ?

Une jeune Africaine dont le voile, choisi lors d'une conversion à l’adolescence, est une fragile tentative de maitrise d'une vie chaotique depuis l'enfance, un mince paravent contre la dureté de ce monde. A qui j'ai prêté - oui, prêté, un livre de Maya Angelou.

Une ex-volontaire de l'humanitaire qui n'en finit plus de se dégager des traumas vécus sur le terrain, qui viennent perturber l'écriture de sa thèse. 

Un paranoïaque désireux de me convaincre que telle fac de banlieue est aux mains de complotistes islamistes - tout en admettant que son avocate semble dépassée par les arguments qu'il invoque (comme je la comprends...).

Une jeune femme dont les phobies l'amènent à se méfier de tout ce qui peut entrer dans son corps, jusqu'à l'eau de cuisson des pâtes, entraînant de sérieuses carences alimentaires.

Un ex-ingénieur en cours de reconversion dans l'écriture de scénario après un burn-out dans un monde industriel auquel il ne s'est jamais senti appartenir.

Dans les motifs récurrents par ailleurs, il y a presque toujours un parent ou un proche en grande souffrance psychique, que celle-ci soit reconnue comme telle ou non, souvent des deuils traumatiques, et le cumul de difficultés sociales, académiques, émotionnelles. La première année post-bac est souvent une précaire planche de radeau pour échapper à des familles dysfonctionnelles, mais sans avoir l'équipement nécessaire pour la poursuite du voyage ; les dernières années sont aussi souvent de grands moments d'angoisse avant d'affronter la vie adulte, et parfois la remise en question d'un choix d'études qui s'est vidé de son sens avec le temps.

Et pourtant... c'est une joie et un privilège de travailler avec eux. Parce qu'ils sont un public attachant, intelligent, plein de vie et parfois d'un invraisemblable courage ; parce que la souplesse psychique de cet âge permet parfois des progrès étonnants ; parce que même les plus déprimés savent qu'ils ont la vie devant eux, que les projets sont encore possibles, et qu'ils communiquent quelque chose de cette fraîcheur, de leur espoir.