17 juillet 2024

Témoin

Parce que le rythme est moins dense, je retrouve beaucoup de joie à accompagner les patients ces temps-ci, et la conscience que c'est un privilège d'être ce témoin de leurs vies. Témoin de cette femme de 75 ans, confrontée à des deuils multiples et transgénérationnels, mais qui dit aujourd'hui - j'ai (re)trouvé de la légèreté, quelque chose de l'enfance qui n'avait pas pu se vivre, et je suis contente : je mourrai en étant vraiment moi-même.

Témoin de de cette autre, à l'histoire fracassée mais qui a fait mentir nombre de déterminismes pour se forger une route professionnelle pleine de sens - j'ai une profonde admiration pour son parcours et pour son intelligence. Tellement en difficulté pour donner sa confiance, mais qui me fait l'honneur de me l'accorder, permettant ainsi une émouvante alliance thérapeutique.

Témoin de cette jeune femme franco-tunisienne, jeune maman, artiste, qui vient interroger notre rapport à l'intime, à la sexualité, aux conditionnements - héritière de deux cultures, de deux époques, de l'émergence du mouvement #metoo, lectrice des textes féministes et LGBT, il y a tellement de richesse dans ses identités multiples, apparemment contradictoires, dans ce travail de l'émergence d'une individualité singulière, portée par sa création.

Ou témoin de ce monsieur en grave récidive de cancer, qui m'interroge en riant sur, à quand la fin de la lune de miel thérapeutique ? Ancien psy lui-même, il n'est pas dupe de ce qui s'engage dans le transfert ; mais il vit aujourd'hui sur un plan spirituel où il a depuis longtemps endossé la responsabilité de sa vie, traversé sa part d'ombre. Alors je ne pense pas non, que notre rencontre sera autre chose qu'un échange d'humain à humain, un endroit où parler de la mort possible et de la vie toujours là, autrement qu'avec ses proches anxieux. Et c'est parfait ainsi.