05 février 2009

Nettoyage de printemps

Mais il existe encore un autre bla-bla redoutable – celui incessant qui règne en nous-même – cette radio en marche nuit et jour – ce commentaire oiseux et bavard, cette logorrhée que rien n’arrête et que personne ne songe en moi à arrêter – comme parfois dans une voiture stationnée au bord d’une route, la radio oubliée – le ratata, ratata incessant, ratiocination gloussante – chaîne associative de la plus basse sorte – humiliations qui traînent au milieu des boutons à recoudre, des factures impayées, des poubelles à descendre.

Voilà, de temps à autre, arrêter la radio ou raccrocher le téléphone. Respirer profondément – l’espace ! Créer l’espace – Jeter les vieilleries qui vous encombrent, les vieux remords, les vieux regrets, les vieilles auto-accusations, la voix éraillée de la Reine d’Alice au pays des merveilles en nous : « Qu’on lui coupe la tête ! Qu’on lui coupe la tête ! ». Les vieux ressentiments ! Ah ! comme tout cela est facile à dire et terrible à réaliser ! Tout autour de nous se conjure à nous aveugler ! Allons, ça ira aussi sans trop de chambardements, par petites doses, petits pas – par exemple un peu moins de mensonges, un peu moins d’auto-accusation et de jugement d’autrui… Mais à la vérité, il est impitoyable ce travail de voirie sur moi-même, ce travail de délivrance. Aussi longtemps que je cohabite avec mes vieux cadavres, l’empoisonnement de la source est fatal, la honte secrète me bâillonne. Voir mes détresses profondes mises au jour m’angoisse davantage que s’il s’agissait de crimes. Or nous ne parvenons à la bonne parole – claire et vive – que lorsque nous avons vidangé nos citernes.

Il est long le chemin !!! Mais sans passer par la colère, par le règlement de comptes avec Dieu, la révolte – sans laisser s’écouler la boue, il n’est pas de parole claire, pas de bénédiction. Le secret « honteux » trouble à jamais l’eau. C’est après la colère que viennent les larmes de la délivrance. Si on vient à parler trop tôt et trop vite de réconciliation, de délivrance, de paix, d’amour du prochain comme on le fait dans certaines églises – c’est comme pour s’épargner ce passage par la révolte, la mort ou le canal de la naissance. C’est comme dans l’intention de détourner l’attention du destin. Tout comme un passager qui agiterait ostensiblement un vieux billet non valide, dans l’espoir que le contrôleur, devant son assurance, n’irait pas regarder de près. Mais ces mots si je les prends trop tôt en bouche et s’ils ne sont pas ancrés dans mes entrailles, n’atteignent personne, ne touchent pas, ne sont pas même audibles. Ils constituent un brouhaha – sans plus.

Après cette metanoïa, après cette plongée dont il vient d’être question, il devient possible de réapprendre à parler, à balbutier de neuf, tout ce qui s’étonne et s’extasie balbutie et bégaie ! Il faut un long, long silence plein de respect pour que les mots retrouvent leur halo et se remettent à respirer.

Christiane Singer, Du bon usage des crises