29 octobre 2010

Prends-moi pour une oie !

Ou : Cyrulnik me gave. Parce que cet ancien éthologue, et donc spécialiste du comportement animal, a fait son fond de commerce d’un déterminisme qui humainement me révulse (et qui fait le lit des thérapies comportementales et de la médicalisation à outrance de la souffrance psychique).

Nous ne sommes pas les oisons de Lorenz. Et nous ne sommes pas des êtres exclusivement environnement-dépendants. Le malaise a commencé avec la série sur la résilience (idée pourtant initialement sympathique) : en bref, soit on est résilient, soit on ne l’est pas – et nos capacités de résistance à une situation traumatogène sont déterminées par un environnement initial suffisamment bon. Autrement dit – si on a souffert du premier temps, on souffrira au second – et voilà pour l’espoir.

Ce que nie Cyrulnik à mon sens, c’est ce qui nous fait humains (et non oisons) : la conscience de notre liberté, et la responsabilité qui en découle.

Ce qu’il sous-entend, c’est que le changement ne peut advenir que de l’extérieur : si l’environnement change, alors je peux être différent. Ce que je défends, c’est que ma (seule) liberté réside dans la possibilité de changer moi-même – avec de l’aide si nécessaire – au lien d’attendre que très éventuellement l’environnement (et dans les relations humaines, l’autre) change.

Ce qu’il induit, c’est le discours de la passivité, de la plainte et de la victimisation : l’environnement (ma famille, mon patron, mon conjoint, la société) est seul responsable de ma souffrance. Ce que je défends, c’est que je suis responsable non des hasards de la vie mais de ma posture interne face à ce que je ne maîtrise pas.

Ce qu’il entretient par conséquent, c’est une position désespérée : puisque je ne peux pas faire en sorte que l’autre change (et encore moins la société), je suis donc condamné à la douleur (avec un bénéfice secondaire non négligeable : celui de me dispenser de toute responsabilité). Ce que je défends, c’est la possibilité de l’espoir, du changement, de l’engagement dans ma propre vie.

Et ce qu’il scie au passage, c’est la branche sur laquelle il est assis en tant que psychiatre : car si son déterminisme s’avérait exact, toute tentative d’élaboration psychique serait rigoureusement inutile – et par conséquent, toute proposition de travail thérapeutique serait nulle et non avenue, en tout cas vouée à l’échec. Ce que je défends, c’est que le travail thérapeutique soutient le passage à une posture interne responsable et potentiellement créative.