15 janvier 2019

Sisyphe

Ce serait sûrement possible - de digérer doucement la violence de la rupture de contrat à la Cité et les démarches juridiques qui l'accompagnent, l'absence d'allocations chômage, la cessation du statut de profession libérale, les interminables complications administratives qui s'en suivent, la perte de revenus vertigineuse, la pauvreté des opportunités d'emploi dans mon secteur. 

Ce serait possible - de continuer à trouver l'énergie de tisser un patient et vital réseau de professionnels, qui seul me permettra de retrouver un emploi intéressant. 

Ce serait possible - de continuer à travailler au plus près de la souffrance humaine, et d'accueillir les mouvements angoissés ou dépressifs de mes patients sans en être par trop affectée.

Ce serait possible - d'affronter les to-do lists qui se régénèrent avec constance, et de garder de l'élan, de la créativité, la confiance dans une possibilité peut-être d'inventer par moi-même mon activité de demain. 

Ce serait possible - de laisser glisser d'un si possible gracieux mouvement d'épaules le remariage et la future paternité du père de mes enfants. 

Ce serait possible - mais pas si Elsa se fragilise à nouveau. Pas si ce qui a été patiemment mis en place pour la ramener dans la vie des adolescents de son âge - une maison, un foyer, un établissement ultra-protégé, un projet d'avenir, du soin à la carte - ne suffit à nouveau plus à contenir ses angoisses - car le temps est  désormais compté pour un maintien en milieu normal. Je ne suis pas sûre d'avoir encore encore la force d'accompagner un quotidien funambulesque, de ré-entendre parler de soins-études ou d'hospitalisation. Je suis à court d'énergie vitale, de pistes, au bout de mon impuissance - heureusement, pas de mon espoir.