21 juillet 2019

Les Furtifs

"Les furtifs nous ont appris une chose : il n'y a pas de lendemains qui chantent. Il n'y a que des aujourd'huis qui bruissent."

Je ne lis jamais de SF. J'ai tort, peut-être. Mais le message autour des Furtifs est allé croissant, jusqu'au moment où je me suis laissée tenter. Je suis tombée dedans, j'ai avalé les sept cents pages en trois jours, et j'ai déjà envie de recommencer, parce qu'il est impossible d'embrasser tous les niveaux de lecture en une seule fois. C'est un livre-monde, foisonnant, incroyablement créatif et poétique - dans le genre, seul Hypérion m'avait fait cet effet-là, emmenée littéralement sur d'autres planètes.

Ici, c'est bien notre Terre, à peine avancée dans le temps, un brin augmentée, légèrement dystopique - à la Black Mirror : trop peu différente de ce que nous vivons pour ne pas être effarés par ce futur déjà si présent. Cest bien un roman, mais c'est aussi un essai - suffisamment pour que j'aie cherché (en vain) une bibliographie en fin d'ouvrage, avec l'envie d'approfondir, d'aller à la source - philo, socio, politique, critique radicale d'un libéralisme fou et sympathies évidentes pour toutes les ultra-gauches bigarrées, foutraques et rebelles. 

C'est bien un roman mais c'est aussi un poème, un texte oulipien, un calligramme où le fond, la forme, le son et l'écrit se répondent, se complètent, se poursuivent - à chaque personnage son lexique, ses signes, son registre de langage, il y a un boulot de fou là-dessous, un rythme, une musique, d'ailleurs le texte est accompagné d'un album, de créations radio qui brouillent encore la frontière entre les genres, entre la fiction et la réalité.

Pour moi l'histoire est presque secondaire - si ce n'est dans cette magnifique idée du furtif, de la réhabilitation de l'angle mort - les personnages sont indéniablement séduisants, mais tout cela est aussi un prétexte à déployer un monde, une ou plutôt des pensées multiples, des possibles, un hymne au vivant qui échappe à tout contrôle, un antidote au technococon qui nous isole et nous éteint, un appel à l'insurrection joyeuse. 

Tâtonner. Rater. Essayer encore. Rater mieux. Faire que nos expériences prennent corps, s'offrent le temps, ouvrent l'espace. Faire que quelque chose enfin se passe. Faire qu'il existe un dehors, une jungle, des ZAG et des zouaves, au zoo libéral qui nous encage. Du possible, sinon j'étouffe !