23 février 2020

Moins seule

Ça m'a fait du bien je crois, d'échanger avec une autre femme sur ce que signifie être la mère d'un enfant en souffrance psychique - a fortiori quand on est soi-même un soignant. Sur ce que cela signifie vraiment, et constamment : la sortie du monde des parents ordinaires, ceux qui se réjouissent, se félicitent ou s'agacent des menus aléas de parcours de leur progéniture - et aussi la souffrance des frères et sœurs qui eux, poursuivent leur route de leur mieux, et des proches, qui font ce qu'ils peuvent.

La confrontation continue à la culpabilité, à l'impuissance, à la violence de ce qui circule, à la thématique suicidaire - toutes ces choses dont personne n'a envie de savoir quoi que ce soit, et qui restent inimaginables tant qu'on ne les a pas vécues. 

Les interrogations sans fin sur ce qu'il convient de faire, ou de ne pas faire. La disponibilité et la patience quotidiennes - épuisantes. La pensée encombrée, et la légèreté enfuie. La maltraitance culpabilisatrice de certains soignants, qui n'est pas sans laisser des cicatrices supplémentaires.

L'incompréhension des proches, même bien intentionnés, même sensibilisés, qui isole encore davantage, parce que nous n'avons plus l'énergie d'encore expliquer, justifier, et puis, expliquer quoi ? alors que nous en comprenons finalement nous-mêmes si peu

Accepter de ne pas comprendre, ne pas y renoncer pourtant.

La recherche constante de nouvelles pistes, les élans d'espoir, les désillusions cycliques. L'empathie déchirante, le collage inévitable et mortifère à la fois. La sensation d'imposture, les blessures narcissiques tous azimuts : mère nulle, thérapeute nulle - de quel droit, de quelle place prétendre accompagner l'autre, là où nous sommes impuissantes à aider nos enfants ?

Il faudrait pouvoir dire aussi ce combat permanent pour se dégager de cette marée noire, parler du deuil de l'enfant parfait comme de la mère idéale, de ce lent travail de séparation, de l'acceptation de cette deuxième mise au monde : ni irrémédiablement impuissantes, ni tragiquement toutes-puissantes, mais traversées par la Vie. Parler du courage, de la volonté, de l'amour en mouvement.

Et nous féliciter pour les montagnes soulevées en silence, et reconnaître qu'en travaillant sans relâche à éviter le pire, nous donnons une chance au meilleur.

PS : En écrivant ce billet, j'ai réalisé ceci  : ce que je dis ici de nous mères, pourrait à chaque ligne se dire aussi de nos filles.