23 février 2022

Ariane

Cette patiente que je suis depuis des années peut devenir quasi mutique, voire catatonique, dans les périodes où elle va le plus mal. Mais même au plus fort de ses dépressions, elle a toujours gardé une extraordinaire capacité à rêver ; des rêves infiniment parlants, dont la description, sans associations, constituait la seule parole accessible pour elle. Charge à moi ensuite de transformer l'essai, de lui prêter mon appareil psychique pour que nous puissions nous rencontrer là. 

 Elle va beaucoup mieux ; mais cette semaine elle est à nouveau venue avec un rêve - celui d'un labyrinthe en noir et blanc, très sombre, entouré de murs aveugles - et sans issue aucune ; et à nouveau, sa description était si vivante que je pouvais voir ce qu'elle voyait, errer avec elle dans cette pénombre. Et désormais, elle est en capacité de suivre son propre fil d'Ariane, et elle a amené aussitôt cet insight : j'ai pris conscience que je n'avais jamais été consolée - déroulant ensuite souvenirs d'enfance et chagrins d'adulte. Ce qui m'a fait associer sur cet enseignement reçu en formation : une dépression qui dure toute une vie, c'est un chagrin qui n'a jamais été consolé...

Quoi qu'il en soit, cette mise en mots l'a réanimée, au plus joli sens du terme. Quant à savoir si le chagrin est le Minotaure qui la poursuit, ou le labyrinthe lui-même, c'est une autre histoire...