Une matinée de consultation auprès des étudiants c'est...
Discuter avec un physicien de la possibilité que la théorie des cordes - ou toute autre théorie nécessitant un niveau d'abstraction inaccessible au commun des mortels, et un questionnement sur la nature même de la réalité - puisse être une construction délirante au sens clinique du terme. Puis échanger sur la possibilité que le revers de sa médaille dépressive soit sa sensibilité à la beauté des créations humaines, qu'elles soient artistiques ou intellectuelles - ce qui l'amènera à dire que, s'il avait la possibilité de recommencer sa vie, il ne souhaiterait pas forcément éviter ses périodes de grandes angoisses et tentations suicidaires, puisqu'elles ont fait de lui ce qu'il est aujourd’hui. Puis de son étonnement de la nécessité d'être incarné lorsqu'on a une pratique musicale - et que cette mise en jeu pleine du corps soit la condition non seulement du plaisir mais aussi de l'excellence...
Explorer avec une jeune philosophe qui travaille sur Schpoenhauer, le rapport au corps et les expériences limites (soit aussi sur Bataille, Artaud, etc.) le lien vital et mortifère qui l'unit à un frère aîné pas moins auto-destructeur qu'elle, mais moins armé sans doute pour négocier avec cette pulsion, trouver des voies de passage créatrices, et peut-être, peu à peu, s'en déprendre...
Interroger (en anglais) un très jeune mathématicien chinois - dont je pensais l'année dernière qu'il allait beaucoup trop mal pour poursuivre des études aussi exigeantes loin de chez lui - sur les liens possibles entre ses angoisses et le fait qu'il se soit extrait simultanément d'un triple système d'oppression, ou tout au moins de contrôle : système familial, avec la figure d'un père enseignant, exigeant et austère, du système éducatif chinois (centré sur l'examen de fin d'études dès l'âge du primaire), et du système politique aussi évidemment... et que cette soudaine et totale liberté l'emmène dans un relatif chaos faute de structure imposée ? Un petit génie de la théorie des nombres, assez inadapté aux contraintes du quotidien (sommeil, alimentation, régulation du temps de portable), mais cependant capable de se questionner sur ces points - il ne cesse de me surprendre...
Approcher sur la pointe des pieds la question du trouble du comportement alimentaire chez une autre étudiante en philo qui consulte initialement pour anxiété et dépression ; l'inviter à peut-être différer la prise d'un anti-dépresseur prescrite dès la première consultation par un médecin inconnu (le chagrin l'accompagne depuis longtemps, il n'y a pas d'urgence...), privilégier la mise en place d'une psychothérapie. Obtenir finalement la reconnaissance d'une interrogation sur l'aménorrhée, la part du corps dans l'épuisement psychique - et l'acquiescement à une consultation somatique ciblée.