29 septembre 2015

Ils grandissent...

Hier soir en me croisant dans le couloir, Zaza me saute spontanément dans les bras :
- "Maman, j'crois qu'on est une famille heureuse."
Je ne sais pas d'où ça lui venait, mais je suis sûre que c'est bon à entendre :-).

Ce n'est pas l'avis du Léo, qui traîne des pieds en venant me confier son téléphone pour la nuit : "C'est comme si je partais au GOULAG ! (Voilà à quoi ça sert, les programmes d'histoire...) Comme si je devais donner un organe vital alors que je suis encore vivant !".

En attendant, l'enfant martyr vient d'obtenir sa (bonne) conduite accompagnée. Pas si malheureux que ça, donc ?!? Moi, ça m'fait tout drôle en tout cas...


25 septembre 2015

London Calling

Un fantasme londonien devenu réalité : on dirait qu'on partirait en Eurostar, qu'on serait logés gratuitement dans le centre de Londres, qu'il ferait toujours beau et qu'on se dispenserait de presque tous les clichés touristiques - pas de Westminster, pas de Buckingham Palace, pas de joyaux de la reine ou de corbeaux de la Tour de Londres. Mais des fish and chips, un petit déj avec bacon and eggs (and beans), des bus et des cabines téléphoniques rouges et des théâtres du West End. On dirait qu'on tournerait le dos au British Museum et même à la Tate (shocking !) pour aller fouiner dans les allées de Camden ou traîner sur le charmant marché aux fleurs de Columbia Road. Qu'on trouverait notre caution culturelle dans l'expo WeiWei à la Royal Academy of Arts, mais que ce serait plus rigolo de flâner le nez en l'air, de marcher au soleil le long de la Tamise ou dans Soho la nuit, de regarder la Coupe du Monde de Rugby dans un pub surpeuplé et de se demander s'il y a vraiment un "type" anglais. Que ce serait marrant de croiser Philip, Maya et Amma. Bref, si j'avais imaginé un week-end à Londres juste parfait... je crois qu'il aurait ressemblé exactement à ça. 

15 septembre 2015

For me Formidable

J'avais rêvé de le voir, une première et peut-être, une dernière fois. Reculé devant les prix prohibitifs. Je me suis laissée cueillir par une offre Starter de toute dernière minute. Et j'ai bien fait. 

Le petit grand Charles annonce la couleur, dès les premières minutes : 91 printemps, une mémoire un peu défaillante - "Bien sûr, j'ai un prompteur, comme beaucoup d'autres, s'amuse-t-il. Simplement, moi je le dis !". Un artifice vite oublié, devant ce show de deux heures sans entracte, qui alterne ces chansons gravées dans les mémoires d'au moins quatre générations et des compositions plus récentes, délicates - même si la totalité du répertoire est de toute façon marquée par le temps qui passe, la solitude, une nostalgie jamais amère cependant.

De temps en temps la voix s'efface et tremble devant une orchestration un peu lourde, à d'autres moments elle explose intacte dans des morceaux de bravoure qui font monter les larmes aux yeux du public devant cette incroyable, bluffante énergie, comme s'il était soulevé par la musique (je pense à Désormais, que j'adore...). A d'autres moments elle retrouve, dans l'intimité du piano-voix, sa tendresse et son timbre si familiers : Hier encore, Non, je n'ai rien oublié...

"Qu'est-ce qu'une chanson ? interroge-t-il à un moment. Pour moi c'est d'abord un texte - un texte assez fort pour tenir tout seul, sans le soutien de la musique". Et de commencer à réciter, "Lorsque l'on tient entre ses mains Cette richesse d'avoir vingt ans Des lendemains plein de promesses (...) Il faut boire jusqu'à l'ivresse Sa jeunesse..."

Le concert s'est ouvert sur Les émigrants, imposant immédiatement un silence au-delà de tout commentaire ; et s'est conclu en apothéose, 4500 personnes debout (je pensais aux derniers concerts de Barbara, au Châtelet) sur un triple rappel avec La Bohème, Emmenez-moi et J'me voyais déjà - "Mes traits ont vieilli bien sûr Sous le maquillage Mais la voix est là Le geste est précis et j'ai du ressort...". Je suis sortie très émue, le suis encore ce matin ; je n'étais pas la seule je crois - je sentais les spectateurs touchés, admiratifs, bouleversés par cette force et cette fragilité si étroitement mêlées, et si palpables - ce sentiment d'avoir vécu un moment rare.

PS : Le commentaire de Yoyo, le lendemain :  "Fragile et fort comme... beaucoup de femmes que je connais bien !!! Charles "ébranle" aussi les hommes ! Sans oublier l'émotion que l'on doit ressentir... de le voir si "petit" sur une aussi grande scène !"

14 septembre 2015

Trait d'esprit

Une de mes patientes a fait son mémoire de fin d'études en histoire de l'art sur le dessin humoristique, et tout spécialement sur ceux du New Yorker. Elle explique très bien comment elle trouve une réponse à son angoisse dans ces vignettes qui synthétisent en une seule image une telle complexité d'émotions ou de situation - je la cite : "Je cherche le moment que je vous avais une fois décrit, où toutes mes idées s'assemblent  et s'unissent et je trouve enfin le silence dans mon esprit." Nul doute qu'elle aurait aimé celui-ci...:-)

07 septembre 2015

Rappel


02 septembre 2015

Laboratoire

Si j'avais pu faire une lettre au Père Noël sur les critères du cabinet partagé de mes rêves, je crois qu'il aurait ressemblé exactement à ça. Un lieu féminin, cosy, tapissé de bouquins, dans un immeuble charmant, bien desservi et à deux pas de chez moi et de mes autres lieux de travail. Un lieu bien inscrit dans mes différents réseaux professionnels, appartenant à une collègue de collègue qui m'a plu dès la première rencontre - humour et profondeur, vitalité psychique, simplicité - un feeling immédiat que cette mise en commun se passerait bien, et que le lieu répondrait à mon souhait de développer mon activité libérale en toute liberté. Je suis enchantée !

29 août 2015

Colorado

Bien sûr, il y a eu les terres rouges, quelques bisons, une overdose de donuts, de nouilles ramen et de poker. Mais surtout, il y a la joie de voir mon Léo grandi, autonome, complice avec des gamins du bout du monde, bien dans ses baskets, attentif aux autres (prendre le temps de papoter avec la grand-mère en fauteuil roulant, faire spontanément, lui qui n'est pas un grand bavard, la conversation à Maggie) et apprécié de tous : serviable, indépendant, intéressant, les retours des adultes font plaisir à la maman ! Ainsi que la lettre qu'il a de lui-même écrite avant de partir à la Jobson family :

Dear Halo, Dear Maria,

All that month spent with the 6 of you - with the cats - and with your friends was definetely awsome ! It will be one of the greatest trips in my whole life. I liked everything, from the poker to the food. I also loved talking to you, and the freedom I had. I hope that I can see you again in Paris, or maybe in another beautiful place in the world. Thanks for everything you did for me. 

23 août 2015

Relier

Le grand Léo est parti quatre semaines dans le Colorado. Grâce à qui ? Grâce à Halo. Mais Halo est tombé malade, et si Léo a vu quand même un peu le Colorado, c'est grâce à Maggie. LuLu a hébergé (après Halo, puis Maggie) Philip, un autre ami de Halo - gentleman londonien sexagénaire. Le soir de son arrivée, il me faisait rencontrer la famille de Srinivasan, un sculpteur indien établi à... Paimpol ! Et qui va en week-end à Londres à la fin de ce mois ? C'est LuLu. Avec un peu de chance, j'y verrai Maya ! La même Lulu a fermé puis ouvert quelques cartons de déménagement chez Marion ; mais qui a gagné un beau bureau de grande fille ? C'est ZaZa ! Le verre en bord de Seine avec Johanna et Bruce, nos échangeurs de New York d'il y a deux ans, rien que du bonheur, et d'autres routes qui se croisent, car ils avaient vu, comme... Philip et moi, les expos du palais de Tokyo, et je les ai invités à aller visiter... la Cité Universitaire. Qui m'a remis sur la piste Starter, autrefois beaucoup fréquentée avec David, Cécile et Marc ? Ce sont Vincent et Antoine. Mais la première personne invitée au théâtre avec mon tout nouvel abonnement, c'est ma maman ! Au mariage de Zazou à Batz, c'est encore une autre histoire, mais pas moins forte : des amitiés qui entrecroisent les liens sur quatre générations et deux branches d'une même famille, quelques larmes partagées pour les absents et beaucoup de rires. Bref, ça se croise, s'entraide, se connecte, ça rhizome !

21 août 2015

Happy Friday

30 juillet 2015

Le plein d'amour siou'plaît !

Ça pourrait être un billet de vacances comme les autres, plein de photos et de petits moments magiques. Ça en sera peut-être un, il y a matière : les enfants en voilier, le sentier aquatique de Port-Cros, le feu d'artifice depuis le bateau à Toulon, les lumières de l'aube au mouillage à Porquerolles, le café du matin sur le port, le Mucem et la Cité Radieuse, la maison de Fontvieille avec sa piscine et son immense jardin, les longues heures de lecture paisible au bord de l'eau, le festival d'Avignon, le week-end chez les cousins, l'émerveillement de Victor devant les villages provençaux qui me les a fait revoir d'un oeil neuf : les Baux, Gigondas, Séguret...

Ça pourrait être un billet de gratitude (ou de légère frime ;-)) - météo optimale, paysages somptueux et variés, luxueuse maison d'échange (piscine, clim, écran géant, vrai baby-foot, barbecue, verger et potager... jusqu'au chat intérimaire, pour ne pas être en manque de Chamade :-)). 

Ça pourrait être un billet Télérama :
- la réconfortante expo du Mucem sur les lieux saints partagés (un espoir dans ce monde de brutes ?), son introduction aux spécificités de la culture méditerranéenne (j'ai bien retenu ma leçon : berceau de l'agriculture, des monothéismes, de la démocratie et des grands voyages) et l'architecture exceptionnelle du musée
- la visite inespérée d'un appart de Le Corbusier resté intact à la Cité radieuse et mis à disposition par sa propriétaire, une galeriste parisienne (ces instants inespérés qui surgissent au hasard des vacances)
- trois spectacles à Avignon (de l'art de choisir un spectacle qui puisse convenir à une pré-ado, un ado, et un anglophone certes littéraire et francophile mais anglophone tout de même) 
- un parcours Van Gogh à Arles (mais pas les Rencontres de la Photographie, trop chères)
- le plaisir de la lecture : un Vargas, Sous les vents de Neptune, le meilleur à ce jour ; Les Brumes de l’apparence, bien meilleur que le roman de gare qu'il semblait être ; l'auto-biographie de Depardieu, Ça s'est fait comme ça ; et prendre le temps de relire, Le comte de Monte-Cristo à cause du Château d'If, Les Mots pour le dire, Cent ans de solitude...

Mais l'essentiel de ces vacances pour moi, ce qui aura sans contexte été un bonheur, un cadeau, une ressource, ce qui a fait de ces vacances une réussite, un vrai lieu de re-création, c'est l'humain. Etre accueillis par Yves et Agnès comme par une famille de cœur - leur attention aux détails, aux enfants, leur profonde bienveillance. Ce joli moment où Yves a pris le temps d'aider Elsa à apprivoiser les sombres herbiers de Posidonie, afin qu'elle ne se prive pas du plaisir de la baignade, qu'elle ne reste pas dans sa peur : ensuite, elle ne voulait plus sortir de l'eau, mission accomplie ! Ce qu'on sent de vie amicale, chaleureuse autour d'eux, bateau ouvert, maison ouverte - un peu comme à la maison...

L'improbable, transitoire et bilingue famille formée avec Victor les deux semaines suivantes - un drôle de pari, cohabiter avec un ami étranger, et deux ados, et finalement, une évidence : même sur un mode amical, c'est bon qu'il y ait un homme autour - un autre adulte à qui parler, un relais, quelqu'un à qui déléguer deux choses que je n'aime pas faire, à savoir conduire et... préparer le barbecue (oui, c'est un cliché sexiste, et alors ? :-)), mais surtout une présence discrète et respectueuse, des échanges sincères, un intérêt commun pour la culture sous toutes ses formes, des regards similaires... une étonnante et parfois légèrement troublante douceur. Et puis, Victor est probablement le seul des mes amis à discuter de Derrida au petit-déjeuner, ou à évoquer spontanément des poèmes "dans la vraie vie" : voir ici et là. 

La visite de Marcel venu pour nous de Montpellier (ou comment CouchSurfing a changé notre vie, nous créant des liens partout dans le monde - je me souviens de Theresa faisant le trajet OKC-New York pour nous revoir : ici Marcel, la rencontre avec Victor, le prochain départ de Léo pour le Colorado, merci qui ?), les retrouvailles avec les cousins (y a-t-il de bonnes vacances sans passage à Cairanne ? là aussi, maison et table ouvertes, joyeux bordel, etc.), la journée simple et lumineuse avec David quand il est venu chercher Elsa, le croisement impromptu avec la Flying Mémé à la gare d'Avignon : le plein d'amour, siou'plaît !

28 juillet 2015

Monet refuses the operation

Ca marche aussi pour les autres génies, Van Gogh était omniprésent dans nos paysages de Provence... Un cadeau de Victor, qui fait écho au texte de Milena Busquets sur le regard ci-dessous : "Ce que nous pensons n'est pas si important que ça, c'est ce que nous voyons qui compte"...

Doctor, you say there are no haloes
around the streetlights in Paris
and what I see is an aberration
caused by old age, an affliction.
I tell you it has taken me all my life
to arrive at the vision of gas lamps as angels,
to soften and blur and finally banish
the edges you regret I don't see,
to learn that the line I called the horizon
does not exist and sky and water,
so long apart, are the same state of being.
Fifty-four years before I could see
Rouen cathedral is built
of parallel shafts of sun,
and now you want to restore
my youthful errors: fixed
notions of top and bottom,
the illusion of three-dimensional space,
wisteria separate
from the bridge it covers.
What can I say to convince you
the Houses of Parliament dissolves
night after night to become
the fluid dream of the Thames?
I will not return to a universe
of objects that don't know each other,
as if islands were not the lost children
of one great continent. The world
is flux, and light becomes what it touches,
becomes water, lilies on water,
above and below water,
becomes lilac and mauve and yellow
and white and cerulean lamps,
small fists passing sunlight
so quickly to one another
that it would take long, streaming hair
inside my brush to catch it.
To paint the speed of light!
Our weighted shapes, these verticals,
burn to mix with air
and change our bones, skin, clothes
to gases. Doctor,
if only you could see
how heaven pulls earth into its arms
and how infinitely the heart expands
to claim this world, blue vapor without end.

Lisel Mueller

05 juillet 2015

Un endroit où se cacher

En feuilletant le bouquin en partant de la fin, j'ai pensé : N'importe lequel d'entre nous pourrait être un sujet de roman, sans savoir comment l'histoire se termine. Par contre, quelqu'un qui ne vous connaît pas du tout pourrait le savoir, rien qu'en feuilletant les feuilles de votre vie d'une main indifférente. Et ça m'a fait flipper. 

Joyce Carol Oates, Un endroit où se cacher

03 juillet 2015

Résonances

Nous voyons tous des choses différentes, nous voyons tous toujours les mêmes choses, et ce que nous voyons nous définit absolument. Nous aimons instinctivement ceux qui voient comme nous, et nous les reconnaissons tout de suite. Mettez un homme au milieu d'une rue et demandez-lui : "Qu'est-ce que tu vois?". Dans sa réponse il y aura tout, comme dans un conte de fées. Ce que nous pensons n'est pas si important que ça, c'est ce que nous voyons qui compte (...).

...nous ne sommes jamais aussi forts que lorsqu'on est amoureux et que l'on nous aime, et cette expérience met la barre si haut que, dans mon cas du moins, seule la brève étincelle du sexe peut servir de substitut, l'amour de basse intensité ne marche pas, parce qu'il n'existe pas (...). 

- Mais les types qui me plaisent sont ceux qui me donnent envie d'être plus intelligente.
J'ajoute à voix basse :
- En temps normal, ils me donnent envie d'être plus bête.
- Eh bien, ma petite chérie, s'exclame la fille en riant. Tu es bien exigeante. 

Milena Busquets, Ca aussi, ça passera.

29 juin 2015

Inside Out

...quelle drôle d'idée de l'avoir titré Vice-versa ? Sens dessus-dessous aurait déjà été mieux... Le film est fabuleux. Incroyablement inventif, en même temps que très juste. Destiné aux enfants de tous les âges. Bouleversant. J'ai retenu mes larmes dix fois - à chaque évocation de la famille en fait - et cette petite Riley, enfant ou pré-ado, a tellement de choses en commun avec mon Elsa de cette année... Et déjà pendant le court métrage. Bref. 

Mais ce qui m'a émue tout particulièrement ce matin, c'est d'entendre une patiente de longue date m'en parler. Une patiente d'origine étrangère que j'ai connue recluse dans l'appartement qu'elle partageait avec sa soeur, au chômage, logorrhéique, avec un évident besoin de prise en charge aussi médicamenteuse que j'ai mis des mois à négocier. Une patiente qui aujourd'hui travaille en CDI, avec un visa longue durée, et vit de façon parfaitement autonome. Qui a apprivoisé au moins un peu sa peur de l'autre, fréquente des cours d'art collectifs, s'est remise à dessiner. Une patiente qui a démonté une partie des dragons infantiles pour arriver à une perception de plus en plus nuancée et finalement tendre de ses proches, et à une bien meilleure reconnaissance de ses besoins à elle. Et qui m'a dit ce matin que le film l'avait fait penser au cheminement que nous avons fait ensemble, à son acceptation progressive de la complexité de ses propres émotions et de celles des autres. Cadeau !

25 juin 2015

Donner des ailes

Parce qu'il n'y a pas d'âge pour réaliser ses rêves
Parce qu'il y a des projets qui apportent autant de joie à ceux qui les préparent qu'à ceux qui les vivent
Parce que nous avions confiance qu'elle serait ravie et en pleine forme à l'atterrissage
Parce que la vie doit passer avant les peurs
Nous l'avons fait !
Pour ses 90 ans, et dans le plus grand secret, ses trois petits-enfants et six arrière-petits-enfants ont offert à Mémé le baptême de parapente dont elle rêvait depuis des années. Au-dessus du Lac d'Annecy.
Pour ses 100 ans, Léo lui proposait de franchir le mur du son en Rafale, mais elle préférerait tester le Wingsuit ;-).

21 juin 2015

En chantant

(...) Des coups de blues, des coups de fil,
Tout recommencera au printemps
Sauf les amours indélébiles (...)
Louane

La vie c'est plus marrant, c'est moins désespérant en chantant (...).
Michel Sardou

15 juin 2015

Rester éveillés

Le premier texte est tragiquement d'actualité, éclaire autrement les débats actuels sur l'accueil des migrants de la Méditerranée : nous n'en sommes pas encore tout à fait là. Mais nous y allons. Le deuxième gagne à être lu en entier, fait écho : sommes-nous si totalement impuissants ? Nous avons la main sur notre façon de consommer, sur l'éducation de nos enfants ; de nouveaux modèles de consommation et d'échange, de pensée du collectif, se développent. Quelles sont nos priorités ?

Vu aussi La Vague, hier, avec Léo : ça fait froid dans le dos. Parce que toutes les conditions sont réunies pour voir émerger de tels mouvements de groupe. Parce que la démonstration est implacable, et la question, incontournable : et nous, qu'aurions-nous fait ? Là encore, la question de l'éducation se retrouve au centre : ceux qui gardent leur capacité de pensée sont ceux auxquels on a donné cette force-là. 

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Welzer montre comment une société peut lentement et imperceptiblement repousser les limites du tolérable au point de remettre en cause ses valeurs pacifiques et humanistes, et sombrer dans ce qu'elle aurait considéré comme inacceptable quelques années auparavant. Les gens s'habitueront (et s'habituent déjà) aux événements climatiques extrêmes, aux épisodes de disette ou aux déplacements de population. Les habitants des pays riches s’habitueront aussi très probablement à des politiques de plus en plus agressives envers les migrants ou d'autres Etats, mais surtout ressentiront de moins en moins cette injustice que ressentent les populations touchées par les catastrophes. C'est ce décalage qui servira de terreau à de futurs conflits.

Comment tout peut s'effondrer, Pablo Servigne et Raphaël Stevens

Notre modèle de société montre son inadéquation, son incapacité à continuer. Si nous nous y accrochons, ce sera le dépôt de bilan planétaire (…) La civilisation moderne est la civilisation la plus fragile de toute l’histoire de l’humanité. Plus d’électricité, de pétrole, de télécommunications et la civilisation s’écroule. Elle ne tient sur rien du tout (…). 

Le rôle de l’éducation est souverain : et si on éduquait les enfants au contentement et non à l’avidité permanente ? Une avidité stimulée par la publicité, qui affirme qu’il nous manque toujours quelque chose. Cette civilisation du besoin chronique et permanent, sans cesse ressassé, installe dans les esprits la sensation de manque. Le phénomène de la vie, ce qui fait que nous existons, devrait avoir une place dans l’éducation des enfants (…). Aujourd’hui, les jeunes ne savent pas quelle place ils auront et s’ils auront une place dans l’avenir. Ce système-là peut-il encore perdurer ? Non. Il ne faut donc pas s’illusionner et se raconter des histoires : notre système arrive à ses limites. Il faut maintenant que l’imagination se mette en route, pour en créer un autre.

L’exigence fondamentale, c’est que tout le monde puisse manger, se vêtir, se soigner. Voilà ce qu’une civilisation digne de ce nom devrait pouvoir fournir à tout le monde. Aucun bonheur n’est possible sans la satisfaction des besoins vitaux. 

(…) Qui enrichit ces gens-là ? C’est nous. Ils s’enrichissent parce que des gens insatiables achètent de plus en plus, parce que toute une communauté humaine leur donne les pleins pouvoirs. Ils n’existent que parce que nous les faisons exister. Nous donnons très peu de place à ce qui est indispensable, à ce qui amène véritablement la joie. Et nous ne mettons aucune limite au superflu.

Pierre Rabhi, interview Bastamag

07 juin 2015

Chaleur humaine

J'adore les moments improbables, totalement inattendus : ce soir au pub un peu tristounet du coin de la rue (mais ouvert le dimanche et éclairé par un rayon de soleil), rencontre du troisième type entre un Africain body-buildé, une femme vieillissante, écrivain franco-britannique, et moi-même - et des échanges étonnants sur les familles - parents, enfants, fratries, les rêves - voyager en combi Volkswagen ou en bateau, le racisme, la solitude, quelques phrases qui fusent en anglais, et beaucoup de douceur qui circule - une tendresse perceptible, des humains réciproquement bienveillants.

05 juin 2015

Médecine douce

Mon remède à tout, mon échappée belle : la voile. Il n'y a rien qui me soigne de tout, me porte, me donne des ailes, comme le bateau... Avant même d'y être : je me suis allégée dès l'arrivée en gare de Toulon, je chantais en faisant le marché pour l'avitaillement - et longtemps après - la sensation de tanguer qui demeure, l'esprit lavé de tout, comme neuf.

Psy ou spi, comme dirait Milie ? Bah, les deux, mais là, spi. Un univers sans contraintes et sous la protection attentive d'Yves, un monde clos et flottant, sans autres devoirs que ceux qui contribuent au bien-être de tous - veiller aux repas (merci le marché !), partager l'apéro, papoter comme on ne le fait parfois qu'avec les inconnus, sans image à préserver ou objectifs à servir - juste pour le plaisir de l'échange. Loin de la terre, des news et des réseaux, en plein contact avec l'eau et le ciel, la lune qui se lève, le vent qui joue à cache-cache - en bateau, j'ai l'impression d'être "moi, mais en mieux". Et aussi de trouver un espace protecteur, réparateur, qui répond à un profond besoin d'être délestée parfois de mes responsabilités, bercée, insouciante.

J'ai appris des mots nouveaux, pas le vocabulaire marin (que je commence à maîtriser), mais ceux de notre (somptueuse) zone de nav' : "A m'ment donné" pour au bout d'un moment, "de longue" pour souvent ou depuis longtemps, "dégun" pour personne ou rien

J'ai aussi dépassé un peu ma trouille des manœuvres de port - pas peu fière d'avoir fait la dernière pour rentrer à Toulon, de nuit. Apprivoisé encore un peu plus la carte et la règle de Cras. Et retrouvé quelque chose de ce mythique départ en Corse, moment fondateur de mon amour de la mer : apprendre, oui, mais pas comme une fin en soi - apprendre pour naviguer d'un endroit sublime à un autre (Porquerolles, Port-Cros, Le Levant), pour savoir quand lâcher le contrôle (gilets et chaussures remisés dans les cabines), pour décider de plonger dans l'eau turquoise, pour improviser une course avec un bateau inconnu. Bref, la rigueur, oui - mais au service de la liberté. Jamais stage croisière n'aura mieux porté son nom, et c'est très bien ainsi : après tout, le but ultime n'est pas de savoir faire des empannages parfaits ou de récupérer un homme à la mer en trois minutes, mais bien de naviguer...

C'était chouette de le partager avec ma cousine préférée - qui s'est adaptée à vitesse grand V et dont la joie faisait plaisir à voir, de retrouver Yves, de découvrir un nouvel équipage : le minot, la brute et le méchant, dixit notre chef de bord - à dire vrai, beaucoup d'humour et de gentillesse de tous côtés -  et même un attachant "nouveau sauvage", anarchiste et marginal vivant à l'année sur son bateau avec femme, enfant et chien - un fracassé comme je les aime... mais un amour à distance prudente, désormais.

A peine atterrie, déjà l'envie de repartir, avec la chance d'avoir un horizon à court terme, puisque j'y emmène les enfants dans un mois  : un autre rêve qui se réalise, leur ouvrir la porte de ce monde de la mer et du vent.

27 mai 2015

Rhizome

Je ne vais pas frimer, je n'ai pas lu Deleuze - mais dans ce que j'ai compris de la notion de rhizome, il y a quelque chose qui me parle intuitivement - un réseau protéiforme, non hiérarchique, proliférant - qui fait écho à mon intérêt pour la mise en lien, la circulation de l'information, la création de réseaux.

"...un rhizome est un modèle dans lequel l'organisation des éléments ne suit pas une ligne de subordination hiérarchique — avec une base, (ou une racine, un tronc), offrant l'origine de plusieurs branchements, mais où tout élément peut affecter ou influencer tout autre.

...tout attribut affirmé d'un élément peut affecter la conception des autres éléments de la structure, ainsi qu'influer sur les processus actifs parmi le maillage. Peu importe sa position, (la réciprocité est de mise entre tous les items), à tout moment l'initiative, autant que la validation, peuvent s'établir au moment nécessaire et suffisant.

Etant polymorphe (voire polycéphale ...) le rhizome n'a par conséquent, pas de centre (...) Sa direction peut être inopinée, sa progression chaotique. Et simultanément il n'a ni début ni fin institués par avance : il intègre l'aléatoire dans l'épanouissement de sa virtualité (...)"

Donc, hier, à la maison : expérience rhizomique :-) - dans cette mise en lien de collègues, amis, voire amis-collègues, sans projet très arrêté autre que de créer un lien incarné, une progressive re-connaissance, et de voir ce qu'il en sort - idées communes, réseau de réseaux, échanges de représentations, projets en pré-gestation.