19 mars 2008

Déboussolée

Hier – deux fois seize adolescents, les mêmes questions qu’à l’accoutumée sur le corps, ses transformations, la rencontre avec l’autre, l’abîme entre les représentations de la sexualité dans cette société et ce qu’ils ressentent, vivent, espèrent. A l’issue de l’intervention, comme souvent un mot de gratitude sur le discours que j’essaie de leur tenir, que j’espère à la fois respectueux et sans hypocrisie. Mais aussi, pour moi, une interrogation : qu’est-ce qu’il en restera le jour venu ? Est-ce que ça leur est vraiment utile ? Ou s’agit-il d’un alibi, pour l’école et les parents, qui se défaussent d’une mission délicate, pour moi, qui vient défendre – quoi ? Une certaine idée du lien et de la parole…

Hier – une Ivoirienne de 28 ans, qui vit quasi-recluse depuis dix ans, affolée à l’idée d’être ramenée chez elle de force, et que la dépression pousse aujourd’hui à demander enfin de l’aide, s’appuyer sur les services sociaux, faire enfin confiance : « C’était ça ou je devenais folle. » Hébergements précaires, ménages au noir « Je ne voulais pas descendre sur le trottoir, ça ce n’était pas possible », amours hasardeuses et souvent déçues, la télévision et ses reportages sur les retours en charter pour principale compagne, la famille là-bas, fière d’avoir une fille en France et qui la croit heureuse, s’étonne qu’elle n’aie pas les moyens de revenir les visiter… Une jeune femme ravissante, qui s’étonne de retrouver la parole, essuie une larme discrète, et escamote le tout sous le grand rire des africaines – même pas mal, même pas peur.

Hier – l’ébauche d’un projet d’interventions sur les relations garçons-filles, dans des classes où une gamine de treize ans a été violée par deux de ses camarades.

Hier – un joli bébé sur les genoux d’une collègue, dont je reconnais la mère au sortir du cabinet de gynécologie – ce bébé-là arrive après une glaçante série de fausses-couches, une ITG et une mort fœtale – quels fantômes y a-t-il derrière ces grands yeux noirs bordés de longs cils ?

Hier – dans la salle d’attente, la petite Guyanaise du post du 6 février, qui accompagne sa très enceinte copine et s’excuse d’avoir manqué son propre rendez-vous – que s’est-il passé ? Son amoureux a changé d’avis, elle a avorté la semaine passée à sa demande, comment se sent-elle ? Apparemment souriante – pas de trace perceptible, il n’est rien arrivé, cette promesse de maternité s’est évanouie, voilà tout.

Hier – une équipe désorientée par une jeune majeure désormais hors délais pour interrompre sa grossesse, et qui multiplie les passages à l’acte, nous transmet intacts son désordre et son impuissance – et je me lasse, de ne pas arriver à enclencher la pensée, de ne pas parvenir à faire saisir que nous ne sommes pas responsables de ce qui la meut et la dépasse, mais que nous avons au contraire à nous en dégager pour espérer la contenir…

Hier – je suis rentrée épuisée, découragée, à fleur de peau. Me demandant quel sens pouvait bien avoir ma présence au milieu de tout cela, et si j’évaluais réellement l’impact de cette place pour moi et les miens. La crise de larmes, la nuit passée – pour quoi, pour qui ?