17 novembre 2016

Trajectoires

Pas de posts ces dernières semaines ? Rien qui m'ait marquée ? En fait si. L'extraordinaire diversité et le courage des humains que mon métier me donne la chance de rencontrer, parfois brièvement, parfois au contraire dans un accompagnement au long cours. Le privilège de la confiance qu'ils m'accordent. L'émotion devant leurs tâtonnements, leurs questions, leurs avancées. Instantanés :

- cette femme qui a perdu il y a deux mois sa compagne d'un cancer, après dix-neuf ans d'amour - et leur incroyable parti-pris d'être dans la vie jusqu'au bout, de se réjouir de chaque possibilité restante, même réduite - conquise sur une fin pourtant inéluctable

- cette migrante mauricienne, qui a changé deux fois déjà de pays, de langue, perdu ses deux parents sans pouvoir revenir chez elle, sans papiers, qui porte à bout de bras un mariage dysfonctionnel, un mari hospitalisé et un enfant à la santé fragile, et qui me dit, je consulte parce que je me sens un peu fatiguée...

- cette très vieille dame aveugle, espagnole, dont le père a disparu dans les geôles de Franco et qui vient me raconter son récent voyage à Saint-Jacques de Compostelle et son sentiment de s'être réconciliée avec ses racines

- cette jeune femme adoptée qui a retrouvé la trace de sa mère de naissance, une démarche d'autant plus vitale qu'elle a perdu aussi sa mère adoptive, et qui nomme de plus en plus clairement la difficulté qu'il y a à entrer de plain-pied dans le monde adulte lorsque ce regard aimant vous a fait par deux fois défaut

- ce matin cet homme qui rencontrait un psy pour la première fois de sa vie, arrivé alcoolisé et amer, reparti ému et curieux, peut-être prêt à s'aventurer finalement sur ce chemin de connaissance de soi

- cette jeune adulte gravement accidentée à l’adolescence et qui retraverse avec courage les douleurs de cette période, construisant peu à peu un sentiment de sécurité et d'intégrité qui ne s'était jamais  complètement reconstitué depuis

- cette autre qui apprivoise petit à petit les absences dont elle était inconsolable pour avancer à petits pas timides dans une nouvelle relation, retrouver confiance en elle et en l'autre

- et cette dernière qui a survécu à une relation infiniment destructrice, et que j'accompagne depuis le début de ce mouvement de survie qui la laisse aujourd'hui épuisée mais libre, lumineuse, incroyablement fragile mais vivante psychiquement, preneuse de toutes les pistes, téméraire parfois (c'est toute sa question, jusqu'où aller trop loin, apprendre à se protéger, à être douce avec elle-même) mais déjà sauvée.

Les trois dernières ont remarquablement avancé aussi grâce aux outils de l'EMDR ; même à mon niveau de grande débutante, je ne cesse d'être émue par la puissance de cet outil, que je n'utilise pourtant certainement que dans une faible mesure de ses possibilités.

Ce qui me vient à me relire c'est de la gratitude : j'apprends sans cesse à leur contact, je réfléchis, je me laisse émouvoir, je remets en perspective, je progresse aussi, professionnellement grâce à leur confiance mais aussi, j'espère, humainement. C'est un drôle de métier ; mais je n'en ferais pas d'autre.