16 décembre 2016

Maman Blues

Pas tous les jours facile d'être maman solo à temps plein de deux adolescents. De lutter contre la tentation du repli, portes fermées, écrans omniprésents, de défendre les repas communs, la parole vraie échangée, la création d'instants partagés, la rupture des routines. Contente des derniers - un petit restau spontané hier, la création d'un calendrier de l'Avent avec Elsa, l'improvisation d'un texte pour les 80 ans de Yoyo avec Léo, la décoration ensemble du sapin de Noël, la patinoire du Grand Palais bientôt.

Pas tous les jours facile même (et surtout) quand je suis l'unique force de proposition - la soupe à la grimace, l'ado-boulet, l'absence de remerciements spontanés, de reconnaissance de ce qui est fait - les petits gestes comme les projets de fond. De faire face à ce sentiment que tout est dû, qu'il n'y a aucune conscience des privilèges sociaux, intellectuels, culturels mais au contraire une comparaison avec quelques autres encore plus favorisés.

Pas tous les jours facile d'assurer l'intendance jour après jour, frigo rempli, linge lavé, maison rangée, copies ou carnets signés, démarches diverses faites en temps et en heure. Et de ne pas me transformer en mégère non apprivoisée pour la litière du chat jamais nettoyée, les assiettes sales non débarrassées, le rouleau de PQ non changé, les médicaments pas pris, les paquets de gâteaux vides qui traînent, les provisions manquantes et qui le restent, le ballon d'eau chaude vidé et jamais remis en marche.

Pas toujours facile de faire la part des choses entre la nonchalance adolescente "normale" et l'abus caractérisé. Pas toujours drôle de faire quinze fois la même demande, et de passer de surcroît pour la mère pénible (ce qui vaut également pour tout ce qui suit). De devoir contrôler les étapes même des tâches simples, personnelles (se préparer le matin) ou collectives (lancer une machine) - il m'arrive de me demander si je n'en fais pas autant, voire plus que lorsqu'ils avaient huit et quatre ans.

Pas être dupe que le contrôle et l’assistanat systématique renforcent cependant tristement ce type de comportement. Que faire ? Car renoncer au motif que le faire moi-même ira plus vite n'est pas non plus la solution.

De faire la part des choses entre la quantité de flemme lycéenne socialement acceptable et le semi-sabotage par manque de maturité, procrastination systématique, absence d'initiative. Lycée médiocre ? La difficulté compte double, faute de points de comparaison sains. D'être accusée d'être une Tiger Mother - et puis de voir mes craintes confirmées point par point à la première réunion parents-profs.

De faire la part des choses entre le malaise adolescent inévitable (et finalement constructif) et le vrai signal d'alerte, surtout quand il est exprimé de façon aussi intensive que spectaculaire - quitte à re-basculer dans les heures qui suivent en joie de vivre, complicité amicale et créativité (enfin, aussi longtemps qu'une nouvelle limite contrariante n'est pas posée...)

Pas toujours facile de me rendre disponible dans la seconde où c'est urgent, de mettre en sourdine ma propre angoisse, ou mon propre épuisement, de proposer des repères convaincants - surtout quand l'ado en face ne me donne aucune indication sur ce qui fait mouche ou non. Pas toujours confortable de proposer aussi un peu de prise de recul, de mise en perspective, d'appel à un peu plus d’indulgence, de tolérance voire de douceur avec soi-même mais aussi avec autrui.

Pas toujours facile de prendre du recul face aux inévitables reproches adolescents, de dédramatiser, de garder mon calme - ne pas me laisser blesser, ne pas laisser passer non plus, garder en tête le mot de Winnicott - la seule mission des parents d’adolescents ? Survivre. Pour le bien de tous.

Pas facile d'attendre trop souvent en vain que le mot pour remercier, la joie partagée, la petite attention, les croissants du petit déjeuner, le service spontanément rendu, le cadeau pour le plaisir ou au moins à date officielle - bref, la prise en compte de l'autre, pour moi-même comme pour tous les adultes qui les entourent pourtant tous de leur mieux, ne soient pas à sens unique. D'appeler à un peu plus d'empathie, de générosité, un peu moins d'égocentrisme.

Pas toujours évident de les garder plus ou moins à l'abri des conflits des adultes, des soucis  ou des charges professionnels, et des angoisses matérielles, qu'il faut pourtant bien gérer de front.

Pas facile de se demander tous les jours si on en fait trop, ou pas assez, si tel ou tel comportement est tolérable, ou inacceptable, normal, ou inquiétant, d'avoir constamment le sentiment d'être coupable, insuffisante, voire impuissante - malgré tout l'amour et la bonne volonté du monde.

Pas facile de faire passer le message que dans le contrôle, l’exigence, l'appel à la responsabilité, il y a bien plus d'amour et de confiance dans leur capacité à grandir que dans la complaisance, le nivellement par le bas et la facilité.

Et pas facile enfin, dans ce contexte, de lutter pour garder de la bonne humeur, de la disponibilité, de l'humour, du plaisir de vivre ensemble, des projets communs, de la solidarité, de la joie qui font pourtant tout le bonheur d'être une famille, non :-)?

Envie de câlins, de fous-rires, de simplicité, d'amoûûûûûr ! De garder un regard émerveillé, parce qu'il y a aussi de quoi - devant ces adultes en devenir, si pleins de charme et d'intelligence malicieuse, de promesses à venir.

Bref - je crois qu'il est temps que mes ados partent en vacances... pour mieux les retrouver.